Justice en manque de moyens. Une ancienne juge parle." Il nous arrive souvent, au réveil, de nous demander si on a pris la bonne décision" (PODCAST)

La justice manque de moyens... Et elle mérite mieux que les reproches qu'on lui adresse. Ancienne magistrate lyonnaise, Marie-Pierre Porchy, n'hésite pas à critiquer et à défendre son ancienne institution. Elle s'inquiète, en particulier, de la distance qui s'installe entre la justice française et les citoyens. Echanges argumentés sur le plateau de "Vous êtes formidables"

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Durant près de 36 ans, Marie-Pierre Porchy, a œuvré pour la justice française. Juge d’instruction et juge pour enfants, vice-présidente du tribunal de grande instance de Lyon, juge des libertés et de la détention, substitut du procureur de la République… elle a multiplié les rôles, avant de prendre une retraite bien méritée.


Beaucoup de magistrats ont eu cette révélation très tôt. Mais pas Marie-Pierre. « J’ai fait des études de droit parce que je ne savais absolument pas ce que je voulais devenir. C’est au cours de mes études que j’ai préparé différents concours. J’ai raté le concours d’avocate… Et j’ai ensuite réussi celui de la magistrature », précise-t-elle. « Mais je me dis que j’ai vraiment eu beaucoup de chance parce que je pense que c’est un métier magnifique. »


Pour y parvenir, elle évoque même un parcours presque banal. « J’ai fait des études de droit après ma terminale. J’étais une élève très moyenne. Après ma maitrise en droit, j’ai préparé ce concours que j’ai réussi du premier coup.»

C’est une profession où l’on est pétri de tout ce qui est humain.


Aujourd’hui, le Ministère de la Justice multiplie les portes d’ouverture vers la magistrature. « On estime que le fait d’avoir exercé un autre métier peut, effectivement présenter un certain intérêt pour cette profession très particulière. Dans d’autres pays, comme, par exemple, en Grande-Bretagne, il faut avoir été avocat avant d’être magistrat. » Elle approuve ce principe. « C’est une très bonne chose, je crois, d’avoir fait un autre métier avant. C’est une profession où l’on est pétri de tout ce qui est humain. »


En revanche, cela n’est pas si facile. « Il faut beaucoup travailler. C’est un concours difficile. Et il y a de la place pour ceux qui travaillent beaucoup», rit-elle. « Chaque année, un certain nombre de postes sont offerts, et on ne garde qu’à peine 10% des postulants. Les places sont chères. »

je m’inquiète beaucoup de cette espèce de divorce qui existe entre les citoyens et leur justice. Je trouve que c’est un vrai problème.


Et cela ne suffit pas. « Pour réussir le concours, il faut certaines qualités. Et pour devenir magistrat, je pense qu’il en faut encore d’autres. Et pas forcément les mêmes. » Mais elle ne saurait, encore aujourd’hui, définir exactement ce qu’est un bon magistrat. « C’est une bonne question. Que je me pose d’autant plus que je suis, à présent, à la retraite, avec un regard différent. Je pense qu’un magistrat, c’est quelqu’un qui est dans la société. Moi, je m’inquiète beaucoup de cette espèce de divorce qui existe entre les citoyens et leur justice. Je trouve que c’est un vrai problème. »


Selon Marie-Pierre Porchy, le magistrat doit vraiment réfléchir à son positionnement dans notre société. « Il est au sein de cette société. Que cela soit pour les divorces, pour réprimer des trafics de stupéfiants… etc… il est au cœur des difficultés. Et quand la société a l’impression qu’elle n’est plus en phase avec ses juges, je pense que c’est un problème. »

Etre au sein d’un tribunal, cela n’est pas forcément être coupé des préoccupations des citoyens


La cause de ce divorce amorcé est-il dans la distance que crée la « mise en scène » des juges, et leur apparence dans un tribunal ? « Je crois qu’il faut que l’instance judiciaire soit un peu en amont. Etre au sein d’un tribunal, cela n’est pas forcément être coupé des préoccupations des citoyens. Au contraire. »

Elle développe : « Quand on voit qu’aujourd’hui, il faut plus d’un an pour saisir un juge aux affaires familiales, quand on a une question de garde d’enfant urgente… tous les magistrats sont extrêmement soucieux de ces problématiques. Le fait d’être au sein d’un tribunal ne leur enlève nullement la capacité de s’en préoccuper. Moi je pense, au contraire, que les palais de justice sont absolument nécessaires. »

Une multitude de juges différents


Etre juge, c’est la possibilité d’exercer plusieurs métiers différents. « Les magistrats du parquet sont ceux qui initient les procédures lorsqu’une infraction est commise. Ils donnent des instructions aux services de police et de gendarmerie. Et qui décident de poursuivre…ou pas. Lorsqu’un procureur de la République décide de poursuivre, il représente les intérêts de la société au moment de l’audience. Il ne juge pas, il requiert…»


On connaît peut-être mieux les magistrats du siège. « Ce sont ceux qui jugent. Seuls ces magistrats sont véritablement inamovibles et bénéficient de cette garantie fondamentale pour que le pouvoir exécutif n’influe pas. Pour les magistrats du parquet, ce fameux cordon ombilical n’est pas complètement coupé, malgré les promesses de bon nombre de politiques… »


Marie-Pierre a donc exercé son métier… des deux côtés. «Toutes les fonctions m’ont vraiment passionné. Le regard croisé entre toutes ces fonctions m’a d’ailleurs fait apparaître un certain disfonctionnement de la loi pénale concernant les infractions de nature sexuelle sur les enfants. » Elle développe d’ailleurs ce constat dans un livre intitulé, « Les silences de la loi – une magistrate face à l’inceste. »

Ce qui devrait nous inquiéter c’est surtout la quantité de dossiers qui sont classés sans suite,


On y apprend, entre autres, qu’au tribunal de grande instance de Lyon, un tiers des affaires qui sont jugées sont des agressions sexuelles sur mineurs. « Et ce chiffre est un peu faux. Lorsque j’ai écrit ce premier livre, il y a 20 ans, j’étais très émue du disfonctionnement de la loi pénale. Aujourd’hui, je pense que ce taux est bien plus élevé. » Mais pour notre interlocutrice, ce n’est pas le plus grave. « Ce qui devrait nous inquiéter c’est surtout la quantité de dossiers qui sont classés sans suite, actuellement, parce que trop nombreux. »


Elle travaille d’ailleurs sur un prochain ouvrage. « Il portera sur la distinction que l’on doit faire entre le consentement, en matière de relation sexuelle, et les éléments constitutifs d’infraction de violence, contrainte, menace, surprise. Le consentement n’étant pas pris en compte par le juge, ni par la loi », détaille-t-elle.

En dessous de 15 ans, on ne s’intéresse pas à l’attitude de la victime. C’est interdit…


Et pourtant, cette dernière a récemment évolué. Aujourd’hui, les mineurs de moins de 15 ans ayant eu une relation sexuelle avec un adulte ne peuvent pas être considérés comme consentants. « C’est vrai. Sauf qu’en réalité, la loi ne parle jamais de consentement. Pour être précis, on ne peut pas considérer que jusqu’à l’âge de 15 ans, une relation sexuelle puisse être autre que des violences. » Elle se satisfait de ce changement. « J’espère avoir fait partie, depuis 20 ans, de ceux qui faire réfléchir à cette question, qui a abouti, enfin, à la loi d’avril 2021. En dessous de 15 ans, on ne s’intéresse pas à l’attitude de la victime. C’est interdit… »

On doit faire ce métier avec passion mais, dans ses méthodes, être absolument distancié


On le constate en écoutant la parole de cette grande professionnelle. On peut donc représenter la justice... et la critiquer. « Je pense que oui, si l’on respecte les règles prévues dans le cadre de notre mission. » Et sans doute, éviter les réactions passionnées. « On doit faire ce métier avec passion mais, dans ses méthodes, être absolument distancié. Ainsi, lorsque l’on écoute des enfants victimes d’infractions sexuelles, il faut tout à fait être en empathie par rapport aux enfants et, en même temps, resté « collé » à ce que dit l’enfant. »


Elle s’explique. « Je dis toujours qu’il faut sortir de cet effet de balancier qui est très mauvais : être sans cesse soit dans la défiance de la parole de l’enfant ou, au contraire, être dans la croyance absolue de ce qu’il dit. Ce n’est pas le terrain du juge. »

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Face à Alain Fauritte ©france tv


Avec, en ligne de mire, la recherche de la vérité. « Ecoutez, on essaye de l’approcher. Sachant que –c’est bien toute la problématique- la vérité de l’un n’est jamais la vérité de l’autre. C’est cette quête-là qui est intéressante. » En prenant soin de distinguer la vérité… de la réalité. « C’est n’est pas tout à fait la même chose… », sourit-elle à nouveau.

il est vrai qu’il nous arrive souvent le lendemain matin au réveil de nous demander si on a pris la bonne décision


On décide rarement seul. « C’est vrai que nous sommes souvent en collégialité. C’est tout de même une garantie de bonne justice. Mais, parfois, quand on rentre chez soi le soir et que l’on décidé tout seul de quelque chose -comme, par exemple, un statut de garde d’enfant- il est vrai qu’il nous arrive souvent le lendemain matin au réveil de nous demander si on a pris la bonne décision. » Quitte, parfois, à ne pas pouvoir dormir à cause d’une affaire. « Cela arrive…. Et heureusement. Il ne faut pas le faire trop souvent, car cela est très inconfortable. Mais je crois qu’il en va de même des médecins et toutes ces professions à forte responsabilité. »

on audience des affaires un, voire deux ou trois ans après les faits. Cette lenteur n’est pas le fait des juges


Les magistrats se plaignent, souvent d’un manque de moyens pour travailler. Pour notre interlocutrice, c’est un problème fondamental. « Les magistrats sont tous très concernés par la qualité de la justice. Sauf que, parfois, ils sont privés de la possibilité de bien travailler. On n’imagine pas la quantité de dossiers qu’ils sont amenés à juger, et sur lesquels ils doivent requérir. On n’imagine pas la pression que cette masse peut représenter sur les juges. » Ils sont d’ailleurs déjà descendus dans la rue pour le dire. « Pour qu’on en arrive à cela, alors que les juges n’ont pas le droit de manifester, il faut véritablement que l’on ait envie de crier ce manque d’effectifs. Le président actuel a fait la promesse de nommer plus de juges. Mais il y a un tel retard… »


Un manque de moyens qui accentue la lenteur de notre justice, qui est l’un des nombreux reproches qui lui sont attribués. « Parfois, on audience des affaires un, voire deux ou trois ans après les faits. Cette lenteur n’est pas le fait des juges. » On parle aussi de laxisme. « Surement pas ! Quand on voit la surpopulation pénale, on constate que l’on n’a jamais autant incarcéré. C’est donc vraiment le procès le plus déloyal que l’on peut faire aux magistrats », rétorque l’ancienne magistrate, qui rejette aussi l’accusation d’inefficacité. « On s’organise pour faire les choses le plus vite possible. Par exemple, on développe de plus en plus des jugements-type, dans lesquels on motive de moins en moins nos décisions. Ce qui diminue, au passage, la possibilité de compréhension de cette décision. »

On s’organise pour faire les choses le plus vite possible

Ce problème n’est pas nouveau. « A un moment, le retard dont je parle avait un peu été rattrapé lorsque l’on s’est occupé du pénitentiaire. La surpopulation pénale était vraiment le pivot central auquel il fallait s’intéresser. » Mais cela n’est qu’un début. « Maintenant, il faut se pencher sur le nombre de juges très insuffisant. Pratiquement deux fois moins qu’en Allemagne. Le nombre de greffiers, aussi… tout cela représente une vraie souffrance au travail

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