La tête et les jambes. Durant 20 ans, Karine Herry a remporté les plus grands titres en tant que coureuse. Une compétitrice chevronnée, qui a forgé son parcours avec la complicité de son compagnon et le soutien de ses deux enfants. Mais, par ailleurs, un médecin de campagne, installée en Haute-Loire, qui a mis a profit sa connaissance du corps pour mieux soigner ses patients.
Elle affiche un sourire modeste. Et pourtant… Cette coureuse d’ultra-fond affiche une centaine de victoires à son palmarès, parmi lesquelles les plus importants ultra-trails français, tels que celui du Mont-Blanc, la diagonale des fous ou encore le grand raid des Pyrénées. Elle a été sept fois championne de France des 100 kilomètres, et même championne du monde par équipe sur la même distance.
A plus de quarante ans, Karine Herry a stoppé la compétition. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à courir. Originaire du Finistère en bord de mer, cette bretonne semble finalement plus attirée par la montagne. « C’est vrai que, par chez nous, les montagnes ne montent pas très haut. »
J’avais conscience d’avoir envie de donner du soin
Aujourd’hui, elle est médecin de campagne en Haute-Loire. Elle a découvert récemment que c’était une activité largement partagée chez ses ancêtres. « En feuilletant un livre sur les noms de famille, je me suis aperçue de ce trait familial, que j’ignorais. Chaque famille a ses mystères. Ma grand-mère, qui nous a quittés à l’âge de 102 ans, ne m’a jamais dit que son nom était autant associé à la médecine durant les siècles précédents », témoigne-t-elle.
Elle-même voulait en fait devenir vétérinaire. « J’avais conscience d’avoir envie de donner du soin et, spontanément, plutôt aux animaux qu’aux humains», explique-t-elle. Mais son parcours passera plutôt par… la danse classique, « poussée par une fibre artistique » souligne Karine.
Une volonté de s'aérer
La course est arrivée ensuite « comme une volonté de s’aérer. Je voulais vivre la pleine nature, autour de moi. Avec mon compagnon, rencontré à Chantilly, nous avons eu l’envie de vivre la moyenne montagne. Nous sommes alors partis vers les plus hauts sommets de la planète, sur l’Everest, ou en Amérique latine… »
Les deux partenaires vivent ainsi leur émancipation « comme un ping-pong pendant plus de 20 ans », pour finalement installer leur nid douillet dans le Massif central. « Les Alpes et les Pyrénées ont parfois un côté touristique ou économique compétitif que l’on n’a pas voulu. On s’est donc installés au calme. »
Sa carrière de sportive a débuté par de simple cross. « Puis je me suis prise au jeu », enchaîne-t-elle. « Je me suis aperçue que, plus la distance était longue, plus j’étais à l’aise. Ce sport a occupé 20 ans de ma vie, que je n’ai pas vues passer, tant cela me donnait du plaisir », précise la championne.
Elle passe rapidement du simple plaisir de courir… à la compétition. « C’est une autre démarche. On se confronte d’abord à soi-même. On fait une première compétition, dont on ne sort pas toujours en bon état. Dans mon cas, c’est au gré d’une bronchite ou d’une sinusite que je me suis interrogée. Essayer de savoir comment j’en étais arrivée à une faiblesse de l’organisme. Comme j’étais déjà jeune médecin en devenir, je me suis questionné sur les causes qui me permettraient d’éviter ces écueils… »
Ses premières courses ont donc été un véritable cheminement personnel. « Si je voulais arriver au bout d’une compétition en bonne forme, avec le plaisir d’avoir couru à une certaine allure, je devais mettre en place ma stratégie, qui passait de toute évidence par un bon mental, de bonnes jambes… On réfléchit, et on s’adapte !», se souvient-elle.
Elle tient à rectifier l’image « égocentrée » que l’on attribue parfois aux athlètes. « Certains le sont, malheureusement. Pour ma part, cela a été un moment de partage énorme auprès des miens, de mes amis, que j’ai appris à connaître et côtoyer pendant 20 ans, même si nous étions d’horizons différents. C’est comme un fil d’Ariane, qui tisse des liens de pays, de cultures différentes. J’ai eu la chance, grâce à mes sponsors, de voyager aux Etats-Unis, en Afrique noire, en Nouvelle Calédonie… »
Un duo de compétition
Sans oublier une certaine éthique : avec Bruno, son mari et entraîneur, elle partage une conviction : la nutrition est la seule alternative au dopage. « Effectivement. Je suis fière de ce parcours de 20 ans au plus haut niveau, que j’ai réalisé en progressant tout doucement, d’années en années, grâce à ce que j’ai pu apprendre. Et en trouvant les bons éléments pour aller de l’avant », résume-t-elle.
Ce duo complice a bien fonctionné. « Bruno a eu ce regard externe et neutre, dont on a besoin, dans le quotidien. Il m’a découverte vierge de toute intention de faire ce genre de parcours. Et il a su détecter, comme il le dit, mes capacités avant que moi-même je ne les connaisse » souligne Karine.
Les victoires devenaient à chaque fois un trophée commun. « Avec la difficulté, pour chacun, de parvenir à trouver sa place. Et, notamment, qu’il accepte, lorsque j’ai commencé à parler de ma retraite sportive, que nous puissions mettre un terme à ces vingt années de collaboration. Il fallait qu’il s’adapte, lui aussi à ce parcours. »
Elle évoque avec humour ce jour si marquant. « Je me rappelle de ses oreilles qui sont devenues toutes rouges » sourit-elle. « Il a su me donner du temps, pour m’épanouir en tant que femme, en tant que médecin et en tant que sportive… »
J’ai dû faire ce choix entre maman et sportive… et c’est compliqué.
Sans oublier leurs deux enfants, un garçon et une fille, jumeaux âgés aujourd’hui de 21 ans, qui ont dû partager leur maman avec sa vie de compétitrice. « Pas si mal que cela, j’espère ! » sourit-elle. « J’ai des photos qui les montrent fiers de mes victoires. Peut-être à d’autres moments ont-ils eu l’impression que leur maman était aspirée par un monde qu’ils avaient du mal à comprendre. »
Elle se souvient notamment d’un choix difficile, et même douloureux pour elle. « J’ai dû les laisser, à l’âge d’un an et demi, pour partir faire une grande traversée de l’Islande. On faisait ce genre de grande traversée, avec mon conjoint, et des amis, pour se préparer physiquement, aux objectifs compétitifs de l’été. J’ai donc dû faire ce choix entre maman et sportive… et c’est compliqué. »
J’ai appris à soigner différemment
Aujourd’hui, Karine Herry exerce sa profession dans le village de Lantriac, où elle est implantée depuis 2018. Elle estime que la pratique sportive de haut-niveau l’a aidée à mieux soigne les gens. « En quête de réussite dans mes compétitions, j’ai eu à comprendre comment fonctionne le corps humain, le mental. Travailler sur tout cela. Et ensuite, enrichir les cours, les conférences que j’avais suivies, pour appréhender les choses au niveau de l’assiette. Et, tout cela, j’ai cherché à le redonner au centuple aux gens qui venaient me voir. »
Cela a beaucoup influé sa pratique. « J’ai appris à soigner différemment une angine. Pas que par des traitements adaptées, mais, aussi, par des tensions adaptées à l’hygiène de vie de la personne. Ce sont des questions qui demandent davantage que cinq minutes d’investissement, mais qui sont passionnantes…»
Et la compétition, dans cette nouvelle vie ? « Elle ne me manque pas parce que c’était une jolie boucle, que j’ai souhaité fermer en 2014. J’y suis retournée un petit peu, en participant au trail du Saint-Jacques, au Puy-en-Velay… Mais je crois que j’avais fait le tour des choses que je voulais aborder. Et consacrer du temps à l’adolescence de mes enfants et à leurs études… Reprendre un autre fil de vie… »