Rencontre avec le professeur Laurent Fanton, chef du service de médecine légale de Lyon, l'un des plus modernes en France, et installé, depuis 2019 à l'hôpital Edouard Herriot. Une profession qui est confrontée à de nombreuses idées reçues. Loin des fictions, le légiste travaille énormément sur l'écoute des victimes. Découverte sur le plateau de "Vous êtes formidables" sur France 3
“C'est faux !” répond sans hésiter Laurent Fanton, quand on lui sert ce fameux cliché : le médecin légiste serait un homme... qui décortique des corps toute la journée.
La réalité, c’est que ce médecin traite la majorité de ses quelques 3800 patients par an dans le cadre de la médecine légale... du vivant. “Effectivement. A la demande d'une autorité, telle qu’un gendarme, un enquêteur ou un autre représentant de la République, on prend en charge une personne qui a été victime de violences physiques, sexuelles, verbales ou psychologiques, dans le cadre de violences intrafamiliales ou de tout autre type de violences ” précise-t-il.
Un tiers des cas traités dans ce cadre sont des mineurs, et un quart le résultat de violence conjugale. Une violence qui peut être physique mais aussi psychologique. “Nous sommes souvent les premiers médecins à prendre en charge des victimes, notamment en cas de violences sexuelles. J’ai tendance à penser que la qualité de la prise en charge est, de mon point de vue, et pour l'ensemble des médecins de mon équipe, un acte thérapeutique à part entière.”
A l'écoute des victimes
C’est un fait. Cette prise en charge psychologique des victimes a pris de plus en plus d’importance avec le temps.” C’est quelque chose qui a fait son chemin grâce à des travaux de certains médecins légistes, qui ont libéré un peu la parole des victimes. Progressivement, l’ensemble des médecins légistes, mais également les magistrats, ont compris l'importance de recueillir cette parole“, confirme-t-il.
Un travail qui n’est pas sans importance. “Il y a deux types de situations lorsque les victimes viennent de se faire agresser. Notre rôle est d’abord de les écouter. Puis de décrire toutes les violences que leur corps a du supporter (ecchymoses, plaies, morsures...). Il faut également évaluer, immédiatement, le retentissement psychologique des faits que les victimes ont subi. Enfin, nous sommes effectivement amenés, parfois, à l'occasion d'expertise, à rentrer un peu plus précisément dans les dossiers et ça c'est une autre histoire …" décrit notre interlocuteur.
Pour recueillir ces informations douloureuses, une bonne formation est indispensable. “Aujourd'hui les jeunes médecins légistes sont effectivement bien formés à recueillir la parole. Il y a des techniques d'entretien qui sont adaptées à l'âge des victimes. On n’écoute pas un mineur comme on écoute un majeur” confirme le professeur.
Avec une particularité récente : “Il y a encore peu de temps, nous intervenions uniquement en deuxième ligne sur réquisition. Mais depuis quelques mois, une circulaire interministérielle justice-santé prévoit que des victimes, notamment de violences sexuelles, qui ne souhaitent pas porter plainte puissent être prises en charge dans des CHU par des médecins légistes, et se voir remis un certificat. Elles n’ont pas à passer par une procédure judiciaire immédiate, ce qui leur laisse le temps de réfléchir un petit peu à ce qu'elles veulent faire des certificats. Et si, effectivement, elles souhaitent, dans un second temps porter plainte... C’est vraiment quelque chose d'important” signale-t-il.
C'est une espèce de puzzle. Vous avez le travail de police scientifique, le travail des enquêteurs, et le vôtre
Le reste du temps, le médecin légiste effectue ses missions sur des “patients” décédés. Soit environ un millier d’autopsie par an. La démarche suit toujours la même logique. “L'objectif, c'est de déterminer la cause médicale du décès. C'est à dire mettre en évidence la ou les lésions qui ont entraîné le décès.” Puis vient la seconde étape : "Le travail médico-légal vise à déterminer les circonstances dans lesquelles le décès est arrivé. Et surtout, puisque pour la justice c'est la problématique principale : écarter l'intervention d’un tiers ou au moins préciser dans quelles conditions cette intervention est survenue. Je parle naturellement des homicides.”
Le médecin légiste participe donc activement à la recherche de la vérité, pour faire aboutir l’enquête. “Le fait criminel est un fait dont l'appréciation repose sur l'addition de compétences. C'est une espèce de puzzle. Vous avez le travail de police scientifique, le travail des enquêteurs, et le vôtre. Mais c'est le magistrat qui va faire la synthèse et qui va construire ce puzzle. Donc le légiste n'est pas un enquêteur. C'est un des éléments importants d'une enquête criminelle.”
l'ADN a été incontestablement un progrès
Nous voilà presque au cœur d’une série tv policière. A quelques différences près. Autant oublier les scènes où le légiste est capable de donner immédiatement ses analyses. La réalité est toute autre. “Les techniques varient de 1h30 à de nombreuses heures. Par exemple, on réalise des prélèvements pour examiner sous microscope une plaie, ou pour évaluer le profil toxicologique de la victime au moment du décès. Ces analyses secondaires vont nécessiter effectivement un certain temps.” explique l’expert. “Ce délai peut être raccourci mais globalement on considère qu'on ne peut pas rendre des résultats primaires en moins de 48 à 72 heures. Le rendu moyen est autour de 2 mois pour des dossiers qui sont vraiment complexes, avec le retour de toutes les médiations qu'on a réalisées.”
Les connaissances en médecine médico-légale ont bien évolué avec le temps. "Oui, l'ADN a été incontestablement un progrès vraiment très important en matière criminalistique. Il a permis naturellement, via les microtraces, de pouvoir mettre en évidence des profils de l'auteur ou des auteurs supposés dans des faits criminels. C’est le cas lors d’une strangulation par exemple, car on se met en contact avec la victime, et naturellement dans des violences sexuelles.”
Aujourd'hui, on n'a pas de technique qui nous permet de répondre aussi précisément que le font nos collègues des séries télévisées
Mais la discipline a surtout progressé grâce à la radiologie. "Tout à fait. Un petit peu également avec l'anatomo-pathologie, c'est à dire l'examen microscopique des prélèvements qu'on va réaliser. Les progrès dans ces deux domaines nous permettent aujourd'hui d'avoir des réponses plus rapides sans forcément intervenir directement sur le corps, ce qui est extrêmement important pour la radiologie. L'anatomo-pathologie nous permet aussi d'être plus précis sur des questions très importantes pour le magistrat. Comme, par exemple, la datation des lésions ou encore le délai d'agonie d'une victime. Devant une Cour d’assises, ce sont des choses qui ont une très grande importance.”
Dans les fictions, on voit parfois un légiste annoncer l’heure précise d’un décès. Ce n’est pas plus réaliste. ”Alors ça il faut l'oublier. Très clairement, aujourd'hui, on n'a pas de technique qui nous permet de répondre aussi précisément que le font nos collègues des séries télévisées”.
Même si de nouvelles méthodes, inédites, se développent. “Alors là, on rentre plutôt dans le cadre de la criminalistique et des investigations policière avec l’odorologie. Effectivement, sur des scènes de crimes, aujourd'hui on va faire des prélèvements sur les corps pour capter l'odeur qui a été laissée par l'auteur supposé des faits et ensuite utiliser des chiens...”
La médecine légale et la police scientifique travaillent en symbiose permanente. “Les deux sont étroitement liés puisque pour résoudre une affaire criminelle, c’est l'addition de ces deux compétences qui est déterminante.”
Une histoire de longue date
La médecine légale n'est pas neuve. Son histoire remonte à 2000 ans avant Jésus-Christ. “Effectivement, on évoque le code de Hammurabi qui renvoie aux prémices de la médecine légale. Puis, Charles Quint qui a développé vers 1500 un corps de médecins destiné à répondre à des questions lors d’affaires criminelles. Bien plus tard, vers le 19e siècle une école lyonnaise a été vraiment très importante dans le développement de cette discipline “ rappelle Laurent Fanton.
Je le dis très souvent. Je n’autopsie pas des cadavres, mais des patients
Né à Vienne, il exerce effectivement aujourd’hui son activité difficile dans la capitale des Gaules. Un choix en conscience. “Je crois que, avant d'être légiste, on est médecin et quand on est médecin, on prend beaucoup de plaisir à soulager la souffrance ou à soigner les autres. Si j'ai choisi ce métier c'est en raison de la relation particulière que l’on avec les gens qu'on autopsie. Très sincèrement, pour nous, ce sont nos patients. Je le dis très souvent. Je n’autopsie pas des cadavres, mais des patients”, insiste-t-il. “Je réalise un diagnostic qui est important pour eux. Lequel va avoir des conséquences très importantes par rapport au respect qu'on leur doit, par rapport à ce qui leur est arrivé, mais également pour leur entourage.”
Aujourd'hui, je dirais que l'horreur n'a pas de de limite par rapport à ce que j'ai vu
Certains légistes préfèrent éviter de trop s’investir sur l’humain, et avouent se concentrer sur le corps et sa biologie. “Alors je vous dirais que, personnellement, j'ai un peu de peine à l’entendre. Certes, l'acte technique fait partie des choses qui font l'intérêt de ces disciplines, mais je crois que l’on ne peut pas complètement se départir de la question de la personne qu'on est en train d'autopsier. En tout cas, pour moi, ce n’est pas trop possible” avoue le médecin.
Il ne s’agirait donc pas d’un métier totalement froid et sans ressenti. ”Probablement faut-il prendre une certaine hauteur, pour pas être aspiré par la violence que supportent parfois les corps, que la personne soit en vie ou décédée. Mais je pense qu'une trop grande distance n’est pas forcément quelque chose de bénéfique dans ces disciplines. En tout cas, ce n'est pas mon attitude” ajoute-t-il.
Ce qui lui réserve, encore régulièrement, bien des surprises. “Aujourd'hui, je dirais que l'horreur n'a pas de de limite par rapport à ce que j'ai vu... Par rapport à ce que j'ai pu ressentir... Mais, effectivement, que je suis parfois toujours étonné du comportement que peuvent avoir des êtres humains vis-à-vis d'autres personnes.”
Retrouvez l'intégralité de cette émission mardi 12 avril à 9h sur France3 Auvergne Rhône Alpes