Depuis de nombreuses années, Eva Thomas et son association "SOS inceste" dénoncent des actes insupportables. Sur le plateau de l'émission "Vous êtes formidables" sur France 3, elle livre le récit de son histoire. Et son courageux parcours pour trouver la force de survivre à ce qu'elle a subi.
Ancienne institutrice, Eva Thomas est la première française connue pour avoir dénoncé le fait d’avoir été victime d’un inceste. En 1986, elle a témoigné, à visage découvert, avec beaucoup de courage pour cette époque, dans une émission de télévision très célèbre : les "Dossiers de l’écran".
« Ça s’est passé une nuit. Bon… La nuit, c’est terrible, il y a aussi les rêves, les cauchemars » raconte-t-elle ce jour-là sur ce plateau, entourée de nombreux invités. Elle y explique qu’elle a mis 30 ans à retrouver la mémoire de ces faits: « Le lendemain, quand je me suis réveillée, j’avais un trou noir dans la tête. Un blanc dans ma tête. Je ne savais plus ce qui s’était passé. J’étais horriblement angoissée. J’avais le souvenir de mon père sur moi, et c’est tout. »
On m’a expliqué que les enfants racontaient n’importe quoi. Que les enfants mentent. Qu’on ne peut rien faire…
Après une vie bien remplie, c’est un acte similaire qui l’a poussera à parler ainsi publiquement dans les années 80. « Deux ans avant l’émission, j’étais éducatrice dans une école et une petite fille, qui s’appelait Aline, m’a dit que son père l’avait violée. Quand, le week-end, elle allait chez lui, il abusait d'elle. Elle m’a demandé de l’aider. Evidemment je lui ai répondu que son père n’avait pas le droit, que c’était interdit. Et, comme elle était sous la protection de la sauvegarde de l’enfance, en famille d’accueil, je suis allée les voir pour leur dire de sauver cette enfant, de la protéger. »
Mais rien ne s’est passé comme elle l’espérait. « Nous étions en 1983. On m’a expliqué que les enfants racontent n’importe quoi. Que les enfants mentent. Qu’on ne peut rien faire… En sortant de cette réunion, j’ai senti en moi une espèce de rage profonde. »
Le psy a fait dire aux gens qui participaient à mon groupe de thérapie que j’avais le droit de coucher avec mon père.
Elle décide alors de se mettre à écrire son histoire. A une période où, en France, le sujet n’était guère abordé, voire… ce genre d’actes toléré. « C’était très tabou, personne ne voulait voir cette situation d’un père violant sa fille ou son fils. C’est tellement l’impensable, que tout était bon pour camoufler ces histoires. Nous étions dans un déni total. »
Elle se replace dans le contexte particulier de notre pays à cette époque. « Après 1968, il y a eu la « belle » période de la pédophilie à la télé. J’ai essayé de trouver de l’aide auprès de psychothérapeutes. Sentant une forme d’emprise, je ne voulais pas en rencontrer qu’un seul. Je suis donc allée dans des groupes de thérapie, où j’espérais être entourée de témoins, au cas où on me manipulerait. »
Malgré ces précautions, le psy l’a fortement déçue en lui disant « Vous avez eu une belle histoire d’amour avec votre père. Vous pourriez être contente de l’avoir vécue… » Et, allant même au-delà : « Il a fait dire aux gens qui participaient à mon groupe de thérapie que j’avais le droit de coucher avec mon père. »
C’était à moi de puiser, en moi-même, la manière de m’en sortir
Mais cet enchainement infernal ne s’arrête pas là. « Ensuite, j’ai refait deux autres tentatives, avec d’autres thérapeutes. Et eux ont eu des relations sexuelles avec moi. A partir de là, je me suis dit que je ne trouverai pas d’aide. C’était à moi de puiser, en moi-même, la manière de m’en sortir. J’avais des crises d’angoisse… » Elle trouve cette issue dans l’art-thérapie. « J’ai commencé à peindre sur une grand table avec du papier kraft blanc. Je considère comme une chance d’avoir pu trouver, grâce à l’imaginaire et la créativité, la force de travailler sur moi-même », commente-t-elle aujourd’hui.
Un rêve de gosse
Retour dans les années cinquante. Née à Caen, en Normandie, et issue d’une famille catholique, elle passait, enfant, ses vacances dans un presbytère. « J’avais un oncle curé, un autre moine capucin, et une tante religieuse institutrice, en Afrique», raconte Eva, qui voudra, très vite, faire le même métier que cette dernière. Mais, en 1952, cela n’allait pas de soi. « Tout le monde me disait : tu es une fille, tu te marieras, et tu n’as pas besoin d’un métier. Tu seras couturière, comme ta mère. Mon destin était scellé. Mais moi, je voulais une autre vie, comme ma tante : voyager, partir » se souvient-elle.
Elle décide alors de mentir. De mettre sur la volonté de Dieu ce désir de devenir enseignante. « Le curé est venu dire à mes parents ce que j’avais imaginé dans ma tête d’enfant. Expliquer qu’une telle vocation est sacrée et ne se refuse pas. » Ce dernier suggère alors de faire passer à Eva un examen d’entrée en sixième, et d’obtenir une bourse nationale, pour rejoindre le couvent de sa tante. « C’est grâce à ce gros mensonge que j’ai pu faire des études. »
Le curé, auquel j’en ai parlé en confession, m’avait même alors conseillé d’oublier ce qui était arrivé
C’est à l’âge de 15 ans, un soir d’été, qu’elle vit l’horreur. Son père abuse d'elle. Eva a immédiatement le sentiment d’un interdit. « Dans un milieu catholique, c’est évident. Toute sexualité était interdite. Mais je considère comme une chance d’avoir été abusée à seulement 15 ans. J’avais alors commis un péché mortel, dont j’étais évidemment coupable. Le curé, auquel j’en ai parlé en confession, m’avait même alors conseillé d’oublier ce qui était arrivé.» Et c’est ce qu’elle fait… « Mais j’ai fait une anorexie. Je me disais que, peut-être, j’étais enceinte. On a même commencé à parler d’hôpital psychiatrique. »
Cette éventualité réveille alors ses forces de résilience. « J’avais, chevillé au corps, le projet de devenir institutrice en Afrique. C’était mon rêve. Alors je me suis remise à manger. J’ai passé mon bac. J’ai payé mes études en devenant institutrice, à 19 ans, dans les écoles religieuses. J’ai même travaillé à Caen dans une institution pour enfants sourdes. »
Je crois que l’amour de cet homme m’a protégée
Plus tard, elle part en Algérie. « J’ai eu tout de suite envie de partir pour aider les Algériens en 1964. Là, j’ai rencontré le père de ma fille, qui m’a emmené au Tchad, où j’ai passé cinq ans. » Son mari sera la première personne à croire à son histoire. « Je crois que l’amour de cet homme m’a protégée. J’étais radieuse, et tellement heureuse d’avoir réussi à vivre mon rêve. »
En 1980, son père, auquel elle écrit, ne nie pas ce qui s’est passé bien des années plus tôt. Il lui demande simplement pardon. « C’était un choc. Tant que je n’avais pas lu de mes yeux l’aveu de mon père, cela restait flou. C’était une façon de se protéger, se défendre. Et là, avec ses écrits, cela devenait un fait certain. J’ai alors pu me reconstruire à partir de la vérité. »
SOS Inceste
Eva Thomas débute une nouvelle vie à Grenoble. La ville de sa renaissance. En 1985, elle crée l’association « SOS Inceste ». Elle trouve deux amis pour en déposer les statuts. « On avait simplement une boite postale, et on essayait d’obtenir des aides de la mairie. Mais parler d’inceste n’était pas possible. » Son passage dans l’émission « les Dossiers de l’écran », a changé la donne. « Après cette émission, on a obtenu du soutien et beaucoup de personnes sont venues nous rejoindre. »
Aujourd’hui la médiatisation de son action lui permet de rencontrer de nombreuses autres victimes d’inceste. « Certaines femmes ont traversé la France pour venir nous rencontrer. En échangeant dans des groupes de parole, on s’est aperçues que l’on avait vécu les mêmes somatisations, fait les mêmes cauchemars, des détours similaires. »
Un constat salvateur. « On s’est dit qu’on était totalement normales, ni hystériques, ni folles. Mais on a simplement réagit à une violence extrême et on a trouvé des moyens de survie. Alors on a commencé à encourager les femmes victimes qui nous appelaient. On les félicitait, les confortait dans leur légitimité, et soutenait dans leur créativité. »
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