Fanny et Stéphane Boutarin sont en symbiose. Ensemble, ce couple uni produit de l'ail dans la Drôme. Ces deux agriculteurs se sont également lancés dans la confection d'un produit très aromatique : l'ail noir. Pour y parvenir, ils se sont inspirés des traditions japonaises. Découverte sur le plateau de "Vous êtes formidables" sur France3 Auvergne Rhône Alpes.
Producteurs d’ails et, plus particulièrement d’ail noir à Crest, dans la Drôme, Fanny et Stéphane Boutarin sont indissociables. Leurs familles respectives résident à 800 mètres l’une de l’autre. Ces deux-là étaient donc plutôt destinés à se rencontrer.
L’ail était déjà présent du côté de Fanny, dont l’oncle était producteur. « Je suis issue d’une famille d’agriculteurs. Ma maman était chef restaurateur. Je connaissais Stéphane depuis vraiment très longtemps. Mais j’avais envie de faire d’autres choses, et notamment de voyager. Mais cela ne m’a pas empêchée de revenir à Crest et d’épouser cet agriculteur », sourit-elle. Elle a travaillé durant 16 ans à la Chambre de commerce et d’industrie du département.
Fanny a notamment suivi deux années d’études sur la littérature anglaise en Grande-Bretagne. « C’était des études-plaisir. Apprendre pour apprendre, mais aussi s’ouvrir à une autre culture. Cela m’a amenée à avoir une ouverture. Savoir regarder le monde, adopter une capacité d’observation, d’adaptabilité », explique-t-elle.
Stéphane est, lui aussi, issu d’un milieu agricole. La disparition brutale de son frère a modifié son destin. « Mon père m’a proposé de reprendre son exploitation et on a choisi ensemble ce chemin », confirme-t-il. « Petit, j’étais plutôt porté sur le service en restauration. Sans savoir vraiment ce que je souhaitais devenir. C’était comme un signe. C’était possible, l’exploitation était là et j’ai pu travailler avec mon papa. A partir de ce moment-là, on a passé vraiment du temps ensemble et c’était extraordinaire. »
Le jour où on a envisagé notre rapprochement, on a un fixé un cadre. Moi, je serai sur l’exploitation, la production d’ail.
Fanny avait 7 ans, et Stéphane à peine 9 ans, lorsqu’ils ont fait connaissance. « En tout cas c’est notre premier souvenir de jeu ensemble. Mais on s’est croisés avant », rit Fanny. Mais ils ont d’abord fait leur chemin séparément, avant de se mettre en ménage. « J’ai acquis des compétences par ailleurs mais, à un moment donné, c’est devenu une évidence de travailler ensemble. Mais cela n’est venu que tardivement. »
Ils ont trouvé une recette pour y parvenir, comme l’explique Stéphane « Pendant longtemps, on était très séparés, avec chacun son métier. Le jour où on a envisagé notre rapprochement, on a un fixé un cadre. Moi, je serai sur l’exploitation, la production d’ail. Et elle, vraiment, sur la transformation et la commercialisation de l’ail noir. Chacun sa partie. »
L'ail, plein de couleurs, et de saveurs
C’est Stéphane qui, le premier, a cultivé de l’ail. « On a débuté en 1993. A un moment où la filière s’est structurée. La mécanisation s’est mise en place dans la récolte. Et les agriculteurs se sont regroupés pour s’offrir ces machines, et commercialiser l’ail. »
L’ail est très divers : ail blanc, ail violet, ail éléphant, le choix ne manque pas. Sans oublier l’échalote, qu’ils cultivent également. « L’ail, c’est un bulbe. Nous, on plante la gousse dans le sol, mais, en végétation, cela va davantage ressembler à un poireau. Une tige verte, fermée, avec des feuilles en mode palmier qui vont pousser. Selon les variétés, on aura plus ou moins de couleurs, allant du vert foncé au violacé et aussi plus ou moins de hauteur », explique Stéphane.
La maturité compte. « Il y a un moment précis où on doit le récolter », confirme-t-il. « On compte le nombre de peaux qui entourent les caïeux (les gousses) au niveau de la tête. Lorsqu’il y en a 3 ou 4, c’est le moment de récolter, et on peut y aller. » C’est justement en ce moment, en juin, que cela se passe. « Nous sommes sur les variétés d’automne. Selon les dates de plantation, et la situation géographique les choses varient. Dans le Sud, ils ont attaqué un peu avant nous. Et, dans le Nord, ils ont encore un peu de temps… »
Chaque plat peut avoir son ail
En France, on consomme 40 000 tonnes d’ail par an. « Autant que les espagnols », précise Stéphane. « Sachant que ce pays est le premier producteur européen. » Sur le total de notre consommation, la moitié provient d’importation « Surtout d’Espagne, un peu d’Argentine aux mois de décembre-janvier, et de Chine. »
L’ail français a ses propres qualités. « En fait, chaque région a son type variétal, avec un goût spécifique, et sa cuisine adaptée en fonction. C’est comme pour un vin, ou un fromage. Le meilleur, c’est forcément celui qui vient de chez soi. Et l’ail de la Drôme est particulièrement bon », précise l’agriculteur en souriant.
« C’est ce qui en fait l’intérêt, en fait » ajoute Fanny. « Chaque terroir a son ail et, du coup, a sa note aromatique et sa cuisine, aussi. Et chaque plat peut avoir son ail. »
L'ail noir, tradition venue du Japon
En 2017, se poursuit un petit bouleversement dans le quotidien de ce couple uni : ils décident de se lancer dans la production d’ail noir. Un produit relativement récent originaire… du Japon. « En tout cas, il y a plus de citations littéraires, et d’histoires récentes racontées sur l’ail noir au Japon. Elles sont datées. Le premier brevet scientifique est japonais, et date de 2002. Et, avant cela, c’était une tradition orale », résume Fanny.
Elle entre dans les détails qu’elle en sait : « Ce serait le fruit de l’histoire d’un marin, parti en mer, qui aurait mis de l’ail dans la cale de son bateau. La combinaison entre la température des moteurs, de l’humidité et de la salinité auraient, après 90 jours de voyage, donné naissance à ce produit », avance-t-elle, tout en ajoutant « Il existe plusieurs histoires, et on ne sait pas vraiment laquelle est vraiment à l’origine de l’ail noir.. »
Vous savez, au Japon… Tant que vous n’êtes pas quelqu’un, vous n’êtes personne
Reste que cet ail noir est bien le résultat d’une transformation. « Ce n’est pas une variété. Il n’existe pas d’ail noir que l’on va sortir de terre », confirme-t-elle. A l’exploitation, Fanny est en charge de l’ail noir, et Stéphane de l’ail blanc. « Nous avons eu la chance de pouvoir aller au Japon, mais pas pour apprendre cet art…» débute Stéphane. « Non. Vous savez, au Japon… Tant que vous n’êtes pas quelqu’un, vous n’êtes personne. Au tout début, j’ai cherché à entrer en contact avec le grand maître de l’ail noir japonais, mais je n’étais personne. Donc cela n’a pas fonctionné. Alors j’ai travaillé le sujet, pendant une année, pour comprendre pendant la transformation. Une fois que j’ai obtenu la reconnaissance par des chefs français, les japonais ont eu écho de cette reconnaissance, et sont venus vers moi », complète Fanny.
Ils sont très fier de ce geste. « Cela a été un grand moment. On s’en souvient encore », confirment-ils en chœur. « Le grand maître de l’ail noir est un agriculteur. On a des pratiques et des valeurs communes. Et puis il y a sa rigueur, celle qui permet d’avoir un beau produit. C’est cet amour des choses bien faites et du respect d’un produit du début jusqu’à la fin qui nous a plus, dans l’ail noir, et dans le lien avec les japonais », précise Fanny.
Il est vrai que cette rigueur est indispensable. « Pour le coup, avec l’ail noir, il faut être très attentif, avec des paliers de températures. Et puis, il faut accepter d’attendre 30 jours. On pourrait avoir envie de le faire plus vite, etc… mais non…» précise-t-elle.
Dans le détail du processus, ils livrent quelques détails. « On utilise une variété particulière, parce qu’elle donne un parfum particulier. Elle donne le parfum que l’on recherchait. C’est comme le vin, comme un cépage » expliquent-ils. « On pourrait le faire avec d’autres variétés, mais pour avoir ce parfum-là, il faut avoir la variété de chez nous. »
Produire de l'ail, comme produire un vin
Fanny va plus loin. « C’est un peu comme être un vigneron, et avoir des pieds de vigne avec lesquels on ferait un vin de table… Et découvrir un jour qu’avec ce raisin, on peut faire aussi du bon vin. Lorsque l’on a découvert l’ail noir, on était un peu en quête du goût. Notre quête, c’était comment faire aimer l’ail. » Et même au-delà : « Beaucoup de gens ont du mal à digérer l’ail. Il s’agissait de réconcilier l’ail avec le plus grand nombre. Quand on a découvert l’ail noir, on s’est dit : c’est un deuxième produit, que l’on est capable de proposer avec une même production agricole. C’est un plus, mais tout à fait différent… »
La variété qu’ils ont choisie n’est guère un secret. « On utilise un ail de la Drôme, donc IGP. On va le mettre simplement dans une sorte de four, et monter en température. Les sucres naturels vont se caraméliser. L’ail, qui contient de l’humidité, va transpirer naturellement. Il va cuire à basse température -65 degrés- dans cette humidité naturelle, pendant trente jours », raconte Fanny. En précisant que ses fours viennent du japon, par respect pour la tradition. « Ils sont très étanches, et ne laissent pas partir l’humidité.. » ajoute Stéphane.
Une fois confectionné, l’ail noir va offrir plusieurs parfums. « On va avoir une très légère acidité, avec une « sucrosité ». Au premier contact, en bouche, on va avoir du réglisse. Après un petit goût d’ail va arriver, qui est assez surprenant. Puis arrive un côté torréfié, entre chocolat et café. La surprise va venir de la longueur qui va se mettre en place. On a alors un parfum de terrain, de sous-bois, presque de cèpe, qui restera en bouche par la suite », décrit méticuleusement Stéphane.
Même avec du chocolat
Fanny ajoute : « C’est un ingrédient incroyable, en cuisine. Comme Stéphane l’a dit, il est très aromatique. On a démarré d’abord avec les chefs en restauration, pour faire connaître le produit. Dans l’assiette, il va amener un équilibre un peu différent. Par exemple, avec des tomates, il va apporter un côté balsamique. Avec une purée de potimarron, il va donner un côté un peu pruneau. Avec le fromage, il amène une sorte de confiture de figue, ou un confis. Avec une viande, il ajoute un côté champignon, sous-bois… » Plus surprenant, on le trouve aussi avec le chocolat. « Grâce à son côté réglissé, épicé. Il apporte un peu d’acidité et de sucre. »
Quid du prix ? Il paraît que c’est un peu cher… Pas de quoi désarçonner notre productrice « Cette gousse, par exemple, on va en faire des lamelles. Nous, dans la Drôme, on a les ravioles. Deux lamelles d’ail noir dans les ravioles suffiront pour donner du pep’s à l’assiette. Mais cela reste moins cher que la truffe », rassure-t-elle.
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