C'est une initiative originale, née à Lyon, et qui connaît un certain succès. Les "Petites Cantines" proposent aux habitants d'un quartier de se rencontrer autour de la préparation d'un repas, et de sortir de la solitude. Ces lieux, soutenus par des financements participatifs et des prix libres, se développent de jour en jour. Explication avec Diane Dupré La Tour, co-fondatrice, sur le plateau de "Vous êtes formidables"
Huit « Petites Cantines » ont déjà ouvert en France, en l’espace de six ans. Ce sont des petits restaurants de quartier solidaires et participatifs, créés pour pallier à la solitude et l’isolement. Diane Dupré la Tour en est la co-fondatrice, avec Etienne Thouvenot. Une douzaine d’ouvertures supplémentaires sont en projet, notamment à l’étranger.
Et pourtant, née à Paris et ancienne étudiante à la Sorbonne, Diane n’était pas forcément destinée à se lancer dans cette aventure. « Au départ, ce que j’adorais, c’était le journalisme. Cette idée qu’un media puisse connecter plusieurs personnes entre elles. Et qu’il puisse aider les personnes à changer de regard. Avec les « Petites cantines », c’est un peu la même finalité, mais avec un regard différent », justifie-t-elle.
En 2008, elle rejoint Lyon en tant que rédactrice en chef d’un journal économique. Elle mène une vie confortable avec son conjoint et ses trois enfants. Jusqu’à ce jour dramatique où son destin bascule. Son conjoint et ses enfants sont victimes d’un grave accident de voiture. Seuls ses enfants survivent et, à l’âge de 32 ans, elle se retrouve veuve.
C’est à ce moment qu’elle décide d’abandonner son emploi. « J’avais un sentiment de vacuité. L’impression d’être comme un cobaye qui pédale dans sa cage. Et qui devra toujours aller de plus en vite. J’avais un sentiment d’un manque de sens, et de passer à côté de ma vie. » Elle en tire des conclusions « Ayant compris, avec la perte de mon conjoint, que la vie était très courte, je me suis rappelé toutes ces choses sur lesquelles on s’était pris la tête alors, qu’en fait, ce n’était pas si important que ça. »
Pas question, pour elle, de passer aussi à côté de l’essentiel. « Je me suis dit, en fait, que je courais plus de risque à poursuivre la même vie, plutôt que de me recentrer sur ce qui comptait vraiment pour moi », résume-t-elle.
Se rendre disponible pour la rencontre
Elle se lance alors dans la création des « Petites cantines », dont l’idée est née sur la base de la générosité dont Diane a bénéficié, elle-même, après le drame qui l’a touchée. « Il y avait un contexte porteur, un terreau favorable. Cet élan de solidarité qui s’est fait dans mon quartier. Et puis la rencontre avec Etienne Thouvenot a été l’élément déclencheur. C’est lui qui a eu l’idée des « Petites cantines ». »
Il va l’aider à concrétiser son intention de profiter de l’essentiel. « C’est dur de se retrouver avec ce sentiment de vacuité, mais ne pas savoir quoi en faire. Il y a un moment où il faut décider d’arrêter quelque chose, et laisser un espace vide. C’est un champ des possibles qui s’ouvre à soi. Ce qui permet de se rendre disponible pour la rencontre. C’est justement ce que l’on propose aux gens. De sortir de chez eux et de se rendre disponibles pour… On ne sait quoi », détaille notre interlocutrice.
Au moment de cette rencontre, Etienne Thouvenot, lui, travaille dans le groupe électroménager Seb, dont le siège est basé à Ecully. Il est ingénieur, et fourmille d’idées. « C’est un grand créatif, qui a l’habitude de s’engager, et qui est un passionné du lien social. » Ils ont rapidement définit un point en commun. « On avait envie de faire quelque chose ensemble. Mais on ne savait pas quoi. »
Un projet forcément tourné vers les autres ? « C’est que l’on pense, mais, en réalité, c’est d’abord tourné vers soi. C’est en s’écoutant soi-même que l’on s’aperçoit de cette soif, de cette faim, qui consiste à se décentrer de soi. Donc c’est un mouvement un peu paradoxal. Mais on a eu envie que ce projet soit tout de suite collectif », rectifie Diane.
Ils décident alors de partager leur idée. « On a installé une petite table sur deux tréteaux à la sortie du métro dans le quartier de Vaise, à Lyon. Et, très vite, les habitants sont venus. Ils ont proposé de nous aider. Le projet est vite devenu très collaboratif. »
On peut vivre entouré et avoir le sentiment qu’on est seul au monde
Une association naît en 2015. La première « Petite Cantine » voit le jour en 2016. « Cela ressemble à une grande cuisine ouverte. Avec des grandes tables et des chaises un peu dépareillées. Les habitants peuvent venir prendre le repas de midi, s’assoir à table les uns avec les autres. Ceux qui le souhaitent peuvent venir cuisiner avec nous le matin. »
Tout le monde peut donc y participer. « On ne sait jamais qui viendra cuisiner. Il peut y avoir des personnes âgées, des étudiants, des travailleurs indépendants, des personnes en recherche d’emploi, des demandeurs d’asile, des jeunes en décrochage…» énumère-t-elle. « On s’est retrouvés à mettre le doigt sur un tabou, qui est celui des solitudes invisibles. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas pris en charge par un organisme social, et étiqueté « fragile », qu’il n’existe pas, en vous, comme un sentiment de solitude profonde, même lorsque l’on est au milieu des autres. On peut vivre entouré et avoir le sentiment qu’on est seul au monde. »
Elle fait ce constat : « Je trouve alors que l’on est pris en enclume entre, d’abord, ce tabou sur la solitude, avec un regard très négatif, voire honteux sur ce sujet : sortir seul pour manger au restaurant devant tout le monde, c’est vraiment la honte, dans notre société hyper connectée… » et, dans le même temps « La difficulté d’affronter le lien social. On parle de vivre ensemble, à tous bouts de champs, mais c’est dur de vivre ensemble ! D’aller vers les autres ! C’est beaucoup plus facile d’aller vers des gens qui nous ressemblent. Mais aussi beaucoup moins nourrissant », dénonce Diane Dupré La Tour.
Surmonter tout cela n’est pas une mince affaire. « Déjà, il faut prendre conscience que l’on a peur des autres, et, ensuite, réussir à aller vers la personne. Et, pour cela, on a un ingrédient magique, aux « Petites Cantines » : c’est la confiance. Et c’est ce que l’on essaye d’expérimenter ensemble dans un cadre bienveillant et sécurisé », explique-t-elle.
Il faut commencer par s’accueillir soi, avant d‘accueillir les autres.
Au cœur de ce dispositif, on trouve un seul salarié : le maître de maison, dont le rôle est indispensable. « En tout cas, c’était ainsi lorsque l’on a lancé le projet. Mais, à force d’observer, on s’est rendus compte que ce rôle… plein d’habitants étaient capables de le tenir. » L’organisation a donc évolué. « On va former des convives qui ont envie de s’essayer à ce rôle de maître de maison. Ce sont des bénévoles qui vont recevoir une formation pour se placer dans cette position d’accueil, d’hospitalité, avec les autres habitants. »
La place de maître de maison est donc désormais ouverte à tous, avec quelques qualités. « Il faut commencer par s’accueillir soi, avant d‘accueillir les autres. Et cela se travaille. Ce n’est jamais vraiment fini. » Reste que le salarié reste sur place le garant de l’esprit « comme à la maison », pour que chacun puisse trouver sa place.
L’ensemble nécessite, à priori, un minimum d’organisation. Il s’agit de recevoir du public pour lui faire et lui servir à manger. « Ce qui est surtout prévu, c’est qu’il y aura des imprévus», rit-elle. « Du fait de la rencontre, d’abord. Et puis, on s’approvisionne essentiellement auprès de producteurs locaux, en fonction de ce qu’ils peuvent fournir. On va compléter avec des magasins bio partenaires qui nous donnent leurs invendus. Ce sont des fruits et légumes que l’on voit arriver chaque matin, et on fait ensemble le menu. »
Des prix... libres
Le prix du repas est, pour l’heure, estimé autour de 10 euros. « En fait, tout est à prix libre. Même l’adhésion à l’association, qui est obligatoire. Mais le prix libre est, je pense, une stratégie tarifaire que l’on n’a pas fini d’explorer. » Elle précise : « On a l’habitude de la société de consommation, qui donne un prix à tout, et on perd la valeur des choses. »
L’association a donc fait le choix de bien expliquer ses coûts aux habitants. « Et depuis plus de cinq ans, on travaille sur ce sujet. Quel modèle économique doit-on inventer pour s’adapter à une stratégie de prix libre ? » Diane Dupré La Tour considère cette question comme un « boulevard de recherche ». Elle voit même au-delà. « Peut-être que dans le futur, on aura des supermarchés à prix libres », estime-t-elle.
Un projet d'ouverture... à Bruxelles
Les « Petites Cantines » attirent à leurs tables des profils très variés. « Pour simplifier, en caricaturant, on voit un tiers d’adhérents de moins de 30 ans, un tiers entre 30 et 50 ans, et un dernier tiers qui a plus de 50 ans », répond la co-fondatrice.
L’association revendique une approche de l’altérité, de la différence, assez radicale, voire tranchante. « Des gens venus de l’étranger, des personnes dont le parcours de vie a été cabossé, qui le montre, ou pas…Pour que cela se passe bien, il faut avoir un apriori de confiance. C’est quelque chose qui se donne », précise-t-elle.
Oser sortir de chez soi, et s’assoir à la même table. C’est sur cette idée que repose le succès de cette initiative. « Il y a une notion de responsabilité, de se décider, à un moment, de sortir de l’anonymat, et de venir prendre sa place de convive », insiste Diane.
Un lieu similaire pourrait ouvrir prochainement dans le Vieux Lyon. Il a trouvé son local et cherche, à présent, des soutiens pour monter son plan de financement. Ces projets sont rendus possibles par des financements participatifs sur des plateformes où l’on peut faire des dons. D’autres lieux sont envisagés, comme à Villeurbanne. « La prochaine « Petite Cantine » qui doit ouvrir ses portes en juin se situera à Grenoble », annonce Diane Dupré La Tour.
L’initiative a séduit au-delà de nos frontières. Une « Petite Cantine » pourrait voir le jour bientôt… en Belgique. « La culture belge est une culture dans laquelle la chaleur humaine et l’engagement citoyen sont très ancrés », raconte notre interlocutrice. « Assez naturellement, une équipe de porteurs d’un projet similaire en Belgique est venue frapper à notre porte. On a pris le temps de se rencontrer. On est désormais en recherche de belges de tous âges ayant envie de s’investir dans le projet. Et surtout d’un local… »
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