Pendant 33 ans, le facteur Joseph Ferdinand Cheval se consacra à une seule chose, construire pierre après pierre un palais idéal. Ce lundi 19 août, un hommage est rendu au Drômois, décédé il y a 100 ans jour pour jour : son mausolée - partie intégrante de l'œuvre - sera illuminé de centaines de bougies pendant toute une nuit. Retour sur l’histoire de cet édifice hors du commun.
Première publication en avril 2024.
Avril 1879. Ferdinand Cheval effectue sa tournée de courrier à Hauterives, à 40 kilomètres de la Drôme lorsqu’il bute sur une pierre. Il s’arrête pour l’observer. Sa forme, sa couleur, le facteur est interpellé et la ramasse. Le lendemain, Ferdinand est de retour au même endroit pour récolter de nouvelles pierres.
L’aventure commence pour l’homme de 43 ans. Chaque jour, il revient, repère des pierres qu’il vient collecter le soir munis de sa brouette. Et chaque nuit, il s’attèle à la construction du palais de ses rêves.
33 ans de construction pierre après pierre
Enfant de la région, d’abord boulanger, puis ouvrier agricole, Joseph Ferdinand Cheval a tout le temps de ses tournées à pied, 30 kilomètres par jour, pour réfléchir à sa construction. Il récupère des pierres, mais aussi des coquillages récoltés par un cousin, le tout mélangé à de la chaux, du mortier et du ciment. La méthode se rapproche du béton, qui n’existait pas encore à l’époque.
Il commence par une fontaine au départ et peu à peu il va racheter les parcelles de terrain attenantes. Il faut imaginer que c'est un peu comme un potager avec des parcelles de potagers les unes à côté des autres. Il va toutes les racheter jusqu'à ce que le Palais atteigne les dimensions qu'on lui connaît aujourd'hui, soit 12 mètres de haut, 14 mètres de large et 26 mètres de long.
Frédéric LegrosDirecteur du Palais Idéal du Facteur Cheval
"Et il faut noter qu'il ne taille jamais ses pierres", renchérit Frederic Legros "par contre avec la chaux il va venir les modeler et ça va créer des formes, des animaux des objets...". C’est ce que l’on observe sur la façade Est du bâtiment, la première édifiée par le facteur. Ensuite vient la façade Ouest dotée d’une grande terrasse, puis les façades Nord et Sud. Ferdinand Cheval consacrera 33 années de sa vie à bâtir cet édifice.
"1879-1912, 10 mille journées, 93 mille heures, 33 ans d’épreuves", rappelle laconiquement une inscription en lettres majuscules à l’entrée du Palais du facteur Cheval. Certains qualifient d’ailleurs le facteur de “pauvre fou qui remplit son jardin de pierres”.
Mais fièvre bâtisseuse ne s’arrête pas là. En 1912 en France, une loi lui interdit d’être enterré dans son palais. Ferdinand Cheval décide alors de construire son propre tombeau dans le cimetière de la commune. Cette tache lui demande huit ans de travail et lui permet d’accomplir ses objectifs deux ans avant sa mort.
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Un pêle-mêle des cultures du monde
Ses inspirations lui viennent de partout, des représentations bibliques, des revues, des livres et cartes postales qu’il distribue au cours de sa tournée.
Cela explique que les plantes exotiques côtoient des momies, des boas ou des ours, que les architectures du monde entier se retrouvent dans son œuvre, de la mosquée au chalet suisse en passant par un temple hindou. Cela explique que l’exubérant et le surréalisme se mélange.
Et sans jamais sortir de sa région, puisque "Ferdinand Cheval n'a jamais voyagé plus loin que Lyon, n'a jamais vu la mer" précise Frederic Legros, l'artiste donne à voir des éléments du monde entier. Une œuvre presque à vocation pédagogique, en témoigne l’inscription sur l’une de ses façades :
"Pour les hommes de bien, tous les peuples sont frères. Notre devise à nous est de les aimer tous".
Classé “Monuments historiques”
On pourrait presque croire que l’édifice sort tout droit d’un film de Sciences. C’est ce qui attire chaque année des milliers de touristes du monde entier. Ils étaient 270 000 l'année dernière. Ouvert à la visite en 1905 par l’artiste lui-même, le Palais idéal du Facteur Cheval, bâtiment non habitable, est classé “Monuments historiques” en 1969 sous l’impulsion d’André Malraux.
"En un temps où l’Art Naïf est devenu une réalité considérable, il serait enfantin de ne pas classer, quand c’est nous, Français, qui avons cette chance de le posséder, la seule architecture naïve du monde, et d’attendre qu’elle se détruise", déclare-t-il, s'opposant ainsi aux nombreux détracteurs jugeant l’édifice hideux.
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D’autres, ont choisi de s’inspirer de cette œuvre dans leurs créations, à l’instar de Pablo Picasso, Max Ernest ou encore André Breton. Le Palais du Facteur Cheval est aujourd’hui la propriété de la commune d’Hauterives.
100 ans plus tard, un timbre à son effigie
A l’occasion du centenaire de sa mort, un timbre collector à son effigie est mis en vente dans les bureaux de poste de France, quarante ans après l’édition originale (1984). On y voit au premier plan Ferdinand Cheval et à l'arrière, des façades et des détails significatifs de son Palais Idéal à Hauterives dans la Drôme.
Mise en illustration par Sophie Beaujard dans son atelier à Bourg-de-Péage, le timbre a été édité à 350 000 exemplaires. "On a éprouvé un engouement très populaire, au-delà des philatélistes", souligne Frederic Legros, directeur du site touristique, "puisque 3500 timbres ont été vendus" rien que sur les deux journées du vendredi 19 et du samedi 20 avril.
Le responsable du site, admiratif du travail du facteur, confie avoir lui aussi acheté quelques exemplaires du timbre."Quand j'étais petit, ma tante travaillait à La Poste. C'est elle qui m'a emmené visiter le Palais et j’avais commencé une collection de timbres que j'ai continuée par la suite. Donc forcément je me suis acheté des timbres et forcement je lui ai envoyé une carte postale avec le timbre du premier jour", explique-t-il. Frédéric Legros continue de découvrir le Palais et son histoire.
Le monument a pris part à l’aventure Paris 2024 en accueillant le 20 juin dernier le passage de la flamme olympique.