Les champs colorés de lavande, emblèmes de la Provence et de la France, pourraient bientôt faire partie du patrimoine mondial architectural et naturel reconnu par l’Unesco. C’est le projet de plusieurs dizaines d’agriculteurs et producteurs d’huile essentielle de lavande, notamment en Drôme provençale, mais aussi des plus grands parfumeurs mondiaux et nationaux.
“À 15€ le kilo d’huile essentielle de lavande, on s’en sort plutôt bien, mais aujourd’hui c’est parfois à 8€ qu’on veut nous l’acheter ! Et là ce n’est pas possible. On ne peut pas rentrer dans nos frais”, déplore Lionel Barral, lavandiculteur à Piégros-la-Clastre, dans la Drôme.
Cultiver et récolter la lavande, ce n’est pas évident tous les jours. Surtout après ce printemps 2024 très pluvieux. Les cultivateurs que nous avons rencontrés au milieu de leurs champs nous ont fait part de leurs difficultés mais aussi de leurs espoirs. Pour Lionel Barral, les intempéries ne sont que passagères et sa récolte devrait pouvoir s’en relever. Ce qui est beaucoup à moins simple à affronter pour lui, c’est la concurrence des pays à faible coût de main-d’œuvre qui fait chuter les prix.
Une économie très profitable
Le constat est le même pour Alain Aubanel, installé à Chamaloc à côté de Die, dans la Drôme. Ce lavandiculteur cultive une cinquantaine d’hectares et distille la lavande avec ses associés du GAEC des 4 Vallées. Eux, maîtrisent assez largement les débouchés pour leur production avec beaucoup de ventes directes. Mais la baisse sur le marché mondial du prix de l’huile essentielle, impacte également la rentabilité de leur exploitation.
Alain Aubanel est aussi président du syndicat national des producteurs de plantes à parfums aromatiques et médicinales. Il décrit concrètement la répartition de la valeur de vente entre tous les acteurs des revenus du “produit lavande” : “la lavande c’est 1€ pour le producteur, 2€ pour le miel, 10€ pour les transformateurs, et 100€ pour le tourisme. C'est une économie très profitable et c'est très bien. Mais on dit aux transformateurs, faites retomber vos profits sur les producteurs qui vous alimentent en matière première.”
L'idée d'une reconnaissance par l'Unesco
Sans affrontement ni conflit, mais avec beaucoup de forces de conviction, en se réunissant avec d’autres acteurs de la filière, Alain Barral a imaginé valoriser au niveau international la puissance de l’image de la lavande de Provence. Très vite, pour lui comme ses partenaires de la filière, l’idée d’une reconnaissance par l’Unesco s’est imposée.
Le classement par l’Unesco c'est la meilleure assurance vie pour nos exploitations. Mais ce peut être aussi très profitable pour toute la filière, des parfumeurs aux entreprises du tourisme.
Alain AubanelSyndicat national des producteurs de plantes à parfums
Un point de vue très largement partagé dans l’association "Maison du patrimoine culturel lavandicole de Provence." Cette structure créée pour promouvoir la culture de la lavande de Provence et monter le dossier de candidature reçoit le soutien de Nadia Bedar, une personnalité qui a l'expérience de ces candidatures, “ça va être long, très dur et laborieux, mais ce dossier a toutes les chances d’être reconnu”.
Nadia Bedar a déjà accompagné la reconnaissance des savoir-faire liés aux parfums de Grasse, et le dossier de candidature des savoir-faire liés à la ganterie en pays de Millau. Côté procédure, elle connaît tous les obstacles à venir.
“C’est sans doute le dossier le plus complexe parmi ceux que j’ai accompagnés. Mais celui-ci provoque vraiment l’émerveillement ! Avec la lavande, c’est un ensemble de sensations, d’odeurs et de contemplations que chacun a pu ressentir dans son enfance ou dans sa vie. Tous ceux qui ont eu entre les mains un brin de lavande gardent forcément en mémoire cette odeur si particulière”.
Un dossier prometteur en construction
C’est pour cela que dans un premier temps le titre du dossier pour l’Unesco visait à la reconnaissance des « paysages olfactifs et poétiques de lavandes ». Aujourd’hui, le dossier de reconnaissance par l’Unesco vise à un classement parmi le patrimoine architectural et naturel mondial.
Les paysages de lavande c’est un mélange de nature et de culture, d’agriculture et d’arts, d’architecture et d’industries. Et c’est tout ce mélange que le dossier de candidature doit comporter.
Nadia BedarMaison du patrimoine culturel lavandicole de Provence
Pour Nadia Bedar comme pour Alain Aubanel, les débuts du dossier sont plutôt prometteurs. Tous les deux soulignent la diversité des intervenants dans l’association qui portera la candidature à l’Unesco. On peut citer des producteurs de lavande de Provence et Haute-Provence, les plus grandes maisons de parfumerie du monde, des universités, les départements et les collectivités locales, les parcs régionaux, mais aussi les musées concernés et l’Abbaye de Sénanque ! La liste est longue.
La première étape, ce sera pour 2026 : la reconnaissance officielle parmi les biens français de la lavande de Provence, sa culture et son parfum. Un premier classement qui ouvrira la porte vers une candidature pour un classement Unesco. Mais là, au mieux, ce ne sera pas, avant 2030. Il faudra vraiment beaucoup de persévérance à tous les passionnés de la lavande de Provence, pour obtenir cette reconnaissance internationale.