La mort de Thomas à Crépol, en novembre 2023, a eu des répercussions qui ont largement dépassé les frontières de la Drôme. L'affaire est remontée jusqu'au sommet de l'Etat. Des partis et groupuscules politiques d'ultra-droite n'ont pas hésité à utiliser ce drame pour mettre en avant leurs idées.
Une stèle rendant hommage à l'adolescent et aux blessés de cette funeste soirée de Crépol a été inaugurée dimanche 17 novembre dans la commune. La mort de Thomas avait provoqué une immense vague d'émotions mais aussi de violences. Les répercussions ont été nationales.
Un adolescent tué à Crépol
Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023, Thomas Perotto, 16 ans, est victime d'un coup porté avec une arme blanche devant la salle des fêtes du village de Crépol. L'adolescent a succombé à ses blessures : il est décédé lors de son transfert vers un hôpital lyonnais. Une vingtaine de personnes, dont de nombreux jeunes, sont également blessées lors de cette rixe. Certains sont gravement touchés. La bagarre a éclaté en pleine nuit. Le bal de village organisé pour la jeunesse du secteur se termine dans un bain de sang.
Rapidement, les enquêteurs ont identifié un groupe de jeunes venus de la commune voisine de Romans-sur-Isère, plus précisément du quartier de la Monnaie. Thomas, jeune joueur de rugby, était également scolarisé à Romans-sur-Isère. Bagarre entre bandes rivales ? Expédition punitive ? Une altercation qui dégénère ? C'est peu à peu vers ce dernier scenario que les enquêteurs vont pencher.
Rumeurs
Dès le début de l'enquête, le travail d’enquête a été pollué par des propos et rumeurs, provenant notamment de la droite ultra. La thèse d’une attaque raciste, "anti-blancs" et préméditée émerge. Neuf des 104 témoins prétendent avoir entendu des propos hostiles "aux blancs" le soir du drame.
Quelques jours après le drame, une centaine de personnes, se revendiquant de l'ultradroite converge alors vers Romans-sur-Isère, quartier de la Monnaie, pour en découdre. C'est de ce quartier que sont originaires certains des jeunes interpellés par les policiers. Face à ces déferlements de haine, les habitants sont choqués. Ceux qui n'hésitent pas à faire part de leurs craintes préfèrent garder l'anonymat.
Fin 2023, c'est finalement le scénario d'une provocation mineure à l’intérieur de la salle des fêtes qui se dessine. Un membre du groupe des jeunes "rugbymen" se serait moqué de la coupe de cheveux d’un jeune de la Monnaie. La moquerie dégénère et se serait transformée en bagarre généralisée à l'extérieure de la salle des fêtes. Puis, plusieurs des convives romanais ont sorti des armes blanches... jusqu'à l'issue fatale.
Émotion et médiatisation
Une marche blanche, quelques jours après la mort du lycéen avait rassemblé plus de 6000 personnes dans les rues de Romans-sur-Isère. Du jamais vu dans la petite cité drômoise. Si le meurtre de Thomas a suscité beaucoup d’émotions au niveau local, les répercussions ont été inattendues au niveau national. Le village de Crépol s'est retrouvé durant plusieurs semaines au cœur de l'actualité. L'affaire est même remontée jusqu'au chef de l'Etat.
L'effroi et l'émotion ont cependant vite laissé place à la polémique politicienne. Le dossier a immédiatement enflammé la classe politique, la droite et l'extrême droite s'emparant du sujet pour dénoncer une insécurité croissante dans les campagnes venues selon elles des banlieues sensibles. La droite a réclamé un tournant sécuritaire. L'extrême droite a vu dans ce fait divers survenu dans la Drôme un mobile raciste lié à l'immigration.
Rassemblements de l'ultradroite "pour Thomas"
Alors que rien dans l'enquête n'accrédite un mobile raciste, la rumeur persiste. La colère et la haine enflent. Les noms et les adresses de certains suspects sont même dévoilés sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes ont d'ailleurs été condamnés par la justice fin octobre. Les habitants de plusieurs villes assistent à des manifestations à la tombée de la nuit. Elles sont menées tambour battant par des individus cagoulés qui scandent des slogans racistes et des propos injurieux. Dans plusieurs villes de l'hexagone, des rassemblements non autorisés prétendent appeler à "venger" la mort de Thomas. Une violence qui atteint son paroxysme lorsqu'une descente est organisée dans le quartier de la Monnaie.
Émaillés de slogans racistes et réclamant "justice pour Thomas", des tags et inscriptions fleurissent également sur les murs. Certains n'hésitent pas à arborer dans leurs affichages sauvages, le visage souriant et poupin de l'adolescent décédé.
Instrumentalisation
L'utilisation de ce fait divers tragique correspond à une logique d'instrumentalisation, selon Erwan Lecoeur, sociologue et spécialiste de l’extrême droite. Une récupération qui oppose la France rurale à la France des banlieues.
"Il y aurait d'un côté des jeunes du rural, natif du cru et d'un autre côté, des jeunes issus de banlieues, issus d'ailleurs et qui en plus, seraient des délinquants, voire des criminels et des agresseurs", explique le sociologue. "Cette façon de voir le monde permet au Rassemblement National de dire : nous avons raison depuis longtemps. Le problème c'est l'immigration", ajoute-t-il.
Alors que le drame était encore dans tous les esprits, la commune de Crépol a placé le candidat RN Thibaut Monnier en tête dès le premier tour des législatives anticipées. Ce dernier a ensuite remporté la circonscription.
Bis repetita
Dramatique coïncidence. Presque un an après, la tragédie s'est de nouveau invitée dans le club de rugby où jouait Thomas. La mort de Nicolas Dumas, un autre jeune drômois de 22 ans, a ravivé les plaies. La nuit d'Halloween, Nicolas est mort lors d'une fusillade alors qu'il se trouvait dans la file d'attente d'une boîte de nuit, à Saint-Péray, en Ardèche. Cette nouvelle disparition tragique pourrait même relancer les manifestations de l'ultra droite. Certaines sont déjà prévues dans les prochaines semaines.
Où en est l'enquête sur la mort de Thomas ?
Un an jour pour jour, toute la lumière n'a pas été faite sur la mort de Thomas Peretto. Quatorze personnes, dont trois mineurs, ont été mises en examen pour "homicide volontaire et tentative d'homicides volontaires en bande organisée". Le parquet, faute d'éléments de preuve en ce sens, n'a pas retenu de circonstances aggravantes liées à "la race, ethnie, nation ou religion".
Huit des mis en cause dans l'affaire de Crépol ont été placés en détention provisoire. Des zones d’ombre persistent sur le déroulement de la soirée et sur l’identité de l’auteur du coup fatal. Elle n'a toujours pas été établie malgré des centaines d'auditions, la présence d'une centaine de témoins directs et l'existence de vidéos. Tous les accusés nient leur responsabilité dans la mort de Thomas.