Procès de Gabriel Fortin, surnommé "le tueur de DRH" :"c'est une vraie descente aux enfers", la douleur de Mathieu Caclin

La deuxième semaine du procès de Gabriel Fortin s'achève. Ce vendredi 23 juin, c'était au tour de l'époux et du fils de Géraldine Caclin de prendre la parole. Une matinée pleine d'émotions : des proches éplorés face à un accusé obstinément mutique.

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"C'est une vraie descente aux enfers. Je suis shooté aux médicaments non-stop. Pour mes enfants j'imagine combien c'est difficile de voir tout ça. J'ai perdu toute confiance en moi. Je n'arrive plus à être dans des conversations où il y a des conflits, je fuis". C'est un homme brisé qui vient s'exprimer à la barre. La confession est déchirante.

Mathieu Caclin explique ce qu'est devenue sa vie après la disparition brutale de son épouse. Géraldine Caclin est la dernière victime présumée de Gabriel Fortin. La DRH de l'entreprise Faun Environnement a été abattue dans son bureau, le matin du 28 janvier 2021. Sa famille est venue témoigner ce vendredi matin de la femme qu'elle était et du vide qu'elle a laissé. Car la quinquagénaire prenait beaucoup de place dans cette famille soudée. 

"C'est éprouvant mais c'est nécessaire. Les familles ont besoin de parler de dire leur souffrance, leur colère et souvent leurs espoirs. Elles ont besoin de parler des disparus, de les faire connaître et mesurer à quel point leur absence est lourde," a expliqué Me Dominique Arcadio, avocat de la famille Caclin avant l'audience du jour.

Un mari effondré...

"J'avais prévu de lire un texte mais il s'est passé quelque chose ce matin au palais", annonce Mathieu Caclin devant la cour après avoir décliné son identité. Il poursuit : "dans la salle d'audience, il y a mon fils qui a 18 ans. Et il y a une très jeune fille : Esther. Elle n'a pas encore 16 ans et elle a eu le courage de venir ici. Elle a explosé en larmes tout à l'heure". La scène s'est déroulée à l'écart des regards. Mais l'adolescente ne prendra pas la parole, à aucun moment. "Esther est très timide et c'est déjà une épreuve incroyable d'être dans le palais", a-t-il déclaré un peu plus tard à la barre.

Et le père endeuillé poursuit d'une voix maîtrisée, à peine teintée d'indignation."Ici, il y a un grand absent, c'est intolérable ! Un chef d'entreprise qui n'est pas aux côtés de ses salariés. Vous avez tous débattu des conditions de licenciement de Gabriel Fortin. Je ne pourrai pas vous en parler, elle cloisonnait énormément", indique Mathieu Caclin. Sur la personnalité de son épouse, décrite comme une battante, il tient à rectifier : "elle était prévenante. Elle s'est battue très jeune (..) Ce n'est pas la personne froide qui est décrite."

"Ça m'est très difficile d'exprimer l'amour que j'avais pour Géraldine. C'est mon jardin secret. 33 ans ensemble, on s'est connu très jeunes. Les deux enfants que nous avons eus peuvent être fiers de ce qu'ils sont. Ils sont la digne représentation de leur mère", explique le père au bord des larmes. Il explique aussi qu'Augustin et Esther sont retournés à l'école trois jours après la disparition de leur mère. Sur sa situation personnelle et sa douleur, il explique pudiquement sa "descente aux enfers", les antidépresseurs, les anxiolytiques. La manière dont il a appris la mort de sa femme."France Bleu relayait l'information : Pôle Emploi, Faun. Je crois avoir compris tout de suite (...) Dans les minutes qui ont suivi, il y avait trois voitures de police dans le jardin, j'ai posé la question : est-ce que c'est Géraldine ? Oui, m'a-t-on répondu. C'est comme ça que je l'ai appris". Mathieu Caclin peine à retenir ses larmes.

Mathieu Caclin ne souhaite pas s'adresser à Gabriel Fortin. Il n'a d'ailleurs pas un regard pour l'accusé. Il ne souhaite pas voir les photos de sa femme. Ce qu'il attend du procès, il répond au président :

Ce que je veux pour Géraldine et les autres victimes : une juste réponse de la société. Que la société les reconnaisse comme pleines et entières victimes.

Mathieu Caclin

Partie civile, époux de Géraldine Caclin

... Un père qui s'accroche

Malgré la douleur, le père est resté debout, pour soutenir ses deux jeunes enfants dans l'épreuve. "C'est moi qui suis venu au lycée, avec mon ami Vincent et un policier. C'est indescriptible le regard de vos enfants, c'est extrêmement dur (...) C'est une scène que je revis régulièrement, elle m'a énormément marquée : apprendre à ses propres enfants ce qui s'est passé, explique le père. J'ai une peur viscérale pour eux, je les vois tétanisés et avoir peur de perdre leur second parent", confie Mathieu Caclin.

Si ses déclarations sont entrecoupées de silence, le quinquagénaire ne se laisse pas submerger par l'émotion. Son fils Augustin, qui prend sa suite à la barre est impressionnant de maîtrise malgré son très jeune âge. Mais avant cela le président Yves de Franca demande à son père : "les épreuves de votre fils qui passait le bac, ça s'est passé comment ? Il a assuré comme toujours", répond le père, non sans fierté. 

"La première fois que je voyais mon père pleurer"

Chemise blanche, petites lunettes, le jeune homme s'est avancé franchement à la barre pour faire sa déclaration. Nullement impressionné, soucieux d'être entendu. "Le 28 janvier 2021, avec ma sœur on était en classe, un surveillant est venu nous chercher pour aller dans le bureau du directeur. Je me suis dit que c'était grave. On voyait bien avec ma sœur que tous les adultes devant nous étaient assez tendus, explique le jeune homme. Vers midi ou 13h, un officier de police est entré, puis mon père et son ami Vincent. On a compris que c'était grave : mon père était en train de pleurer, c'était la première fois qu'on le voyait pleurer. Il nous a pris dans ses bras et il nous a dit qu'elle était décédée, que quelqu'un l'avait tuée et qu'il serait toujours là pour nous. Et il s'est effondré," raconte Augustin Caclin. Malgré sa maîtrise, le discours du jeune adulte est entrecoupé de sanglots à ce moment-là. Et il ajoute : "je ne comprenais pas. Je ne voyais pas pourquoi quelqu'un aurait pu lui en vouloir". 

"Pendant plusieurs jours, c'était comme vivre dans un rêve en regardant de l'extérieur. Une part de moi s'est effondrée", explique-t-il à la cour. Derrière lui, sur le banc des parties civiles, son père l'écoute avec attention. Sur sa vie de famille dévastée et cette perte, les propos du jeune homme de 18 ans sont bouleversants."C'est compliqué de continuer à avancer. Ça a tout changé, on se projetait dans l'avenir. C'est comme si tout était remis à zéro : avec une mère pas là, un père qui ne va pas bien et ma sœur qui ne parle pas. C'est dur !" Emotion dans la salle. Dans le box des accusés, Gabriel Fortin semble impassible.

C'était une maman très présente. Même si elle travaillait beaucoup, elle a toujours été présente.

Augustin Caclin

Partie civile, fils de Géraldine Caclin

Le président Yves de Franca questionne Augustin Caclin sur ses études."J'ai voulu retourner en classe tout de suite, mais les gens ne savaient pas comment nous parler, se comporter avec nous. Ma mère a toujours tenu à ce qu'on travaille bien. C'était important pour elle. Elle aurait voulu qu'on continue, qu'on s'accroche". Tragique ironie du sort : dans la famille Fortin, la valeur travail était aussi particulièrement mise en avant.

À la barre, le jeune homme fait la démonstration d'une maturité surprenante pour son âge, soucieux de son père et de sa sœur cadette. Sur cette dernière, il explique à la cour : "au début, elle s'est effondrée. C'est toujours compliqué de savoir ce que pense ma sœur et là, c'est pire. Elle ne s'épanche pas. C'était plus dur pour elle de retourner à l'école, mais elle a réussi". Il essuie ses larmes et remet ses lunettes pour répondre aux questions.

Je me suis inquiété longtemps pour mon père, mais il m'a surpris dans le bon sens ces dernières semaines : il a réussi à venir témoigner. J'espère que ça va durer, j'espère qu'on est sur la bonne pente.

Augustin Caclin

Partie civile, fils de Géraldine Caclin

Ce que craint Augustin Caclin concernant l'accusé : "qu'on trouve des circonstances atténuantes à Gabriel Fortin", déclare le jeune homme à la sortie de l'audience.

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Augustin, le fils de Géraldine Caclin s'est adressé à la cour ce vendredi 23 juin. À la sortie de l'audience, il revient sur sa crainte concernant l'accusé Gabriel Fortin. ©France Télévisions

Se succèdent ensuite à la barre, Dorothée la sœur cadette de Géraldine Caclin et Avril, sa demi-sœur. Toutes les deux vont parler d'une sœur aimante et prévenante, soucieuse des autres. Le pilier de la famille. Des proches qui viennent tour à tour exprimer leur chagrin devant l'assistance. 

Une sœur prévenante

"J'ai passé 49 ans avec ma sœur. (...) Elle a toujours soutenu la famille. Elle me remontait le moral", explique Laura qui décrit une sœur très investie. Elle livre des instants de vie. "La dernière discussion, c'était quelques jours avant sa mort. Elle me disait : avec les enfants, on vient te voir pendant les vacances de février. Elle n'a jamais pu venir, quelqu'un en a décidé autrement. Elle ne pourra plus jamais me serrer dans ses bras et me réconforter". Elle termine : "je me sens comme amputée, j'ai une cicatrice qui ne se refermera jamais". Vient ensuite à la barre Avril, la demi-sœur de la disparue, de 15 ans sa cadette. Elle s'est fait tatouer le prénom de sa demi-sœur sur le bras, sa signature... Une manière de la garder avec elle. Elle porte aussi un t-shirt avec le visage de sa sœur.

Aujourd'hui, je suis Géraldine, mais je pourrais être Estelle ou Patricia aussi.

La demi-sœur de Géraldine Caclin

"La dernière conversation physique que j'ai eue avec elle, c'était 11 jours avec le drame (...) On devait se réunir le dimanche pour fêter l'anniversaire d'Augustin et le mien". La jeune femme attend "une peine à la hauteur de notre peine" avant d'ajouter à l'attention de la cour et des jurés : "je vous demande de nous protéger de ce danger social". Elle ne manque pas d'évoquer le nom de l'accusé, le rapprochant de son attitude : "un Fortin, dans le dictionnaire c'est un petit fort. C'est la définition de quelqu'un qui s'est construit une forteresse, qui s'est empierré, qui voit le monde à travers une meurtrière", explique-t-elle.

Sa déclaration à Gabriel Fortin, enfermé dans son silence, elle la fait en rimes : "tu es un lâche et en prison tu te caches" ou encore "tu ne manqueras à personne. Il est enfin temps d'être un homme". Pas davantage de réactions du côté de l'accusé.

"On a vu un père qui s'inquiétait pour son fils. On a vu un père et un fils qui parlent pour la fille. On a vu une famille déchirée, délitée mais qui se sert les coudes. Une famille portée par le souvenir d'une personne aimée. C'était un temps d'audience très puissant parce qu'il y avait de l'amour, beaucoup d'amour. Finalement dans ce procès, on aura vu l'amour de beaucoup de victimes et face à cet amour, ce mur d'indifférence," a souligné Me Arcadio en fin de matinée.

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De l'amour face à un mur d'indifférence. ©France Télévisions

Isabelle Tallaron, témoin privilégié

Les proches de Géraldine Caclin ont pris la parole aussitôt après le témoignage d'Isabelle Tallaron, témoin privilégiée de la mort de la DRH ce 28 janvier 2021, dans les locaux de Faun Environnement. Cette dernière est intervenue juste après le visionnage de la reconstitution des faits survenus dans les locaux de Faun Environnement. Pendant ce temps, l'accusé prend des notes.

Isabelle Tallaron est le témoin direct de la mort de Géraldine Caclin. Elle se trouvait dans son bureau avec Géraldine Caclin lorsqu'un individu armé a tiré sur sa responsable. "J'étais dans mon bureau avec Géraldine, on était en audio avec une collègue. Véronique est arrivée pour nous dire que quelqu'un voulait la voir. Elles sont sorties du bureau, j'ai entendu crier puis elles sont revenues en courant, on a essayé de fermer la porte. Mais, il avait tiré dans la vitre, raconte Isabelle Tallaron, encore choqué. J'essaie de le dissuader de tirer, mais il tire quand même", explique-t-elle. Elle explique avoir essayé de la protéger. L'arme du tireur s'enraye, il tire à nouveau. "J'ai entendu le 3e tir, mais je ne l'ai pas vu. Je lui tourne le dos au moment du 3e tir". Isabelle Tallaron ne se souvient pas avoir entendu l'individu dire un mot. À aucun moment, l'individu ne s'en est pris à elle.

Les détails sont passés au crible par la cour mais il est aussi question de ses rapports entretenus avec sa supérieure hiérarchique Géraldine Caclin. "On formait une sorte de duo dans l'entreprise, on travaillait ensemble. On s'appréciait. Je l'admirais beaucoup aussi", explique le témoin. Intégrée en 2010, Isabelle Tallaron était stagiaire en reconversion au moment des faits. Elle n'avait alors jamais connu Gabriel Fortin. Elle est aujourd'hui la nouvelle DRH de Faun Environnement.

Géraldine Caclin était juste et équitable. Dans ce métier, c'est difficile.

Isabelle Tallaron

témoin

 Après le témoignage d'Isabelle Tallaron, tout comme après les déclarations de la famille de Géraldine Caclin, Gabriel Fortin a répété au président : "je n'ai rien à dire Monsieur !". Une attitude qui finit par agacer Yves de Franca. "Ça ne suscite rien de votre part ?", "Je n'ai rien à dire Monsieur !", a inlassablement répété l'accusé. "J'imagine que comme chacun d'entre nous vous ressentez des émotions". La réponse de Fortin est cinglante : "une enquête à charge, c'est tout merci !"

Gabriel Fortin en dira-t-il davantage la semaine prochaine lorsqu'il sera interrogé ? Le verdict est attendu le 30 juin prochain. Accusé de trois assassinats et d'une tentative d'assassinat, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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