Les 20 et 27 juin, les Français voteront pour les élections départementales et régionales. Dans un contexte d'épidémie de COVID, le Premier Ministre a voulu se "donner le temps utile" et a décalé les élections d'une semaine. Deux politologues expliquent quel impact aurait une faible participation.
Les élections départementales et régionales ont été repoussées une première fois du mois de mars au mois de juin en raison de la crise du COVID 19. Mardi 13 avril, Jean Castex a plaidé devant les députés le maintien en juin des élections départementales et régionales, mais en décalant d'une semaine les deux tours. Les élections auront donc lieu les 20 et 27 juin prochains. Le Premier Ministre a déclaré : "Le principe, c'est celui du maintien, car l'élection est un élément majeur de la démocratie, et de surcroît, les élections dont nous parlons ont déjà été reportées". "Un décret en Conseil des ministres interviendra dès la semaine prochaine pour fixer les élections aux 20 et 27 juin au lieu des 13 et 20 juin", a déclaré le chef du gouvernement avant un débat et un vote consultatif des députés. Les élections se tiendront forcément dans un contexte particulier.
Mathias Bernard, président de l’Université Clermont Auvergne et professeur d’histoire contemporaine, explique : « Les élections auront lieu comme l’année dernière dans un contexte de crise sanitaire. Il y aura un impact sur la manière de faire campagne, car une partie des modalités directes de campagne électorale, la présence sur les marchés, les meetings, les rassemblements publics, vont disparaître et vont être remplacés par d’autres formes plus distancielles via le numérique. Il y aura aussi un impact sur la participation, comme on a pu le constater lors des élections municipales. Globalement, les priorités qui peuvent être abordées dans le cadre de ces élections peuvent changer : des problématiques politiques passent au second plan derrière les préoccupations sanitaires immédiates ».
S’il y avait une faible participation, ça ne serait pas un phénomène nouveau pour ces élections
Lors des régionales de 2010, le taux d'abstention avait atteint 53,6 % contre 49,5% au premier tour en 2015. Lors du premier tour des élections départementales de 2011, l'abstention était montée à 55,6% contre 49,9% en 2015.
Pour Mathias Bernard, le risque de forte abstention n’est pas seulement lié au contexte sanitaire : « Pour ces élections-là, la participation est depuis plusieurs scrutins extrêmement faible. En 2015, lors des départementales et des régionales, la participation avait plafonné à 50 %. S’il y avait une faible participation, ça ne serait pas un phénomène nouveau pour ces élections. Il y a une différence avec les municipales, qui, traditionnellement, sont des élections à forte participation. La forte abstention de l’année dernière a été plutôt une surprise. Là, s’il y a une faible participation, ce sera moins une rupture par rapport aux scrutins antérieurs. Ce n’est pas sûr que l’ordre de grandeur change car on part d’une participation plus faible au départ et car, j’ai le sentiment que, malgré tout, on n’aura pas autant de personnes que l’année dernière qui ne viendront pas voter par crainte de la contamination. Cela fera 15 mois qu’on s’habitue à vivre avec le virus, qu’on pratique les gestes barrières. La population âgée, qui s’est pas mal abstenue l’année dernière, va être très majoritairement vaccinée au moment du scrutin. L’année dernière, l’abstention liée au contexte sanitaire avait été majorée de 20 points. Ce n’est pas sûr que là on ait une telle majoration par rapport à ce qui se pratique habituellement. On n’aura pas le même biais que celui qu’on a constaté pour les municipales de 2020 ».
Une particiation sociologiquement différenciée
Florent Gougou est enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble. Pour lui, le déclin de la participation pourrait profiter à certains partis : « Lors des élections régionales passées, la participation avait déjà été en baisse. C’est une dynamique qu’on observe depuis une trentaine d’années en France. A priori il n’y a aucune raison structurelle qui ferait que la situation puisse être inversée. Cela a des effets sociologiquement différents, avec une moindre participation dans les milieux populaires et une plus forte participation chez les personnes les plus diplômées. Il s’agit d’une déformation du corps électoral. Ce phénomène a plutôt tendance à défavoriser le Rassemblement national dont l’électorat est plus populaire et à favoriser le camp des forces gouvernementales, LREM, avec un électorat marqué par un niveau d’instruction élevé. De la même manière, le camp écologiste pourrait davantage être favorisé ».
La lassitude du corps électoral
Il ajoute : « On peut attendre une remobilisation de l’électorat quand c’est la première fois que les électeurs peuvent revoter après des élections nationales. On l’a vu en 2019 lors des élections européennes. Mais on peut assister à une forme de fatigue des électeurs pour les élections intermédiaires : il y a eu un vote en 2019, en 2020 et maintenant encore en 2021. Le phénomène majeur est le déclin structurel de la participation. Ce qui va encore accentuer le déclin, conjoncturellement, c’est la crise sanitaire. On pourrait observer une plus forte démobilisation des électeurs des forces gouvernementales à l’aune de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement ».
Une mobilisation en berne est le signe que la démocratie ne va pas forcément bien
Selon Mathias Bernard, une faible participation constitue un indicateur inquiétant pour notre démocratie : « Une mobilisation en berne est le signe que la démocratie ne va pas forcément bien et que notre système politique ne correspond pas suffisamment à la demande des citoyens. A mon sens c’est plus un symptôme d’un problème que la cause d’un problème. L’abstention est le révélateur d’une crise de la représentation politique. Si une majorité de gens ne va pas voter en juin, ce n’est pas à cause du COVID. Il y a eu d’autres périodes de graves crises dans la vie de la nation : on a voté pour les municipales de 1945 alors qu’on était encore en guerre et il y avait une forte participation. Si une majorité ne va pas voter c’est parce que l’offre politique n’est pas considérée comme satisfaisante. Les gens ne se reconnaissent pas ou pas suffisamment dans le personnel politique. Ils ne croient plus forcément aux promesses électorales. Il y a une distance entre la classe politique et les citoyens. Cette série de facteurs créent la crise de la représentation. La faible participation est un symptôme d’une crise de représentation qui elle, peut être une menace pour le fonctionnement de la démocratie ».
Des scrutins incertains
Il est difficile de faire des pronostics, mais le président de l’Université Clermont Auvergne émet quelques hypothèses : « Globalement, on estime souvent que la faible participation profite aux sortants. Dans la mesure où la campagne va passer en-dessous des écrans radars, en raison du contexte, les sortants et les équipes en place vont plutôt bénéficier d’une prime de situation. Cela étant, on l’a vu aux municipales de l’an dernier, cette abstention peut considérer des catégories de population qui vont d’habitude voter et cela peut aussi créer des surprises. On a vu en 2020, avec pourtant une forte abstention, que des alternances et des changements se sont opérés, notamment dans les grandes villes. On ne peut pas forcément en déduire que la prime au sortant sera systématique ». Florent Gougou s’interroge aussi sur la fragilisation de notre démocratie : « On sait que si demain la participation était égale à 0, le système politique ne pourra plus se maintenir. A 40-45%, pour l’instant, le système politique n’est pas remis à mal de manière durable. Ce n’est pas un obstacle pour gouverner. Entre 0 et 40%, il y a probablement un moment où s’opère une bascule et on pourrait s’interroger sur la survie du système politique, mais je ne sais pas à quelle hauteur. Il n’y a pas d’exemple historique où le déclin de la participation a été tellement important que ça a rendu les gouvernants incapables de gouverner ».
On pourra mesurer une certaine forme de désynchronisation des scènes politiques locales et nationales
L’enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble guettera de près les résultats de ces deux scrutins : « Ces élections m’intéressent parce qu’on pourra mesurer une certaine forme de désynchronisation des scènes politiques locales et nationales, dans la suite de ce qu’on a pu observer depuis 2017, avec une scène politique nationale dominée par l’affrontement entre LREM et le Rassemblement national, et en même temps, une scène politique locale avec d’autres formes d’affrontements politiques dominants. On peut se demander si pour les élections régionales il va y avoir une forme de nationalisation des affrontements, comme en 2017, ou à l’inverse, si comme pour les municipales de 2020, il y aura une désynchronisation des scènes locales ». Mathias Bernard ajoute : « La participation dépend de données sociologiques, comme l’âge. Plus on est jeune et moins on vote. Elle dépend aussi de la catégorie socio-professionnelle. Plus on est dans une catégorie élevée, plus on vote. Depuis une trentaine d’années, on constate une implication très différentielle de la population dans le vote. La crise COVID joue plus le rôle d’un effet de loupe que d’un facteur complètement nouveau. Le problème de la faible participation ne naît pas avec le COVID. On est sur un problème de fond ». Ainsi, lors des élections départementales et régionales, les observateurs analyseront l’impact de la participation et se demanderont si à l’issue de ces scrutins, la démocratie est fragilisée ou non.