Etat d'urgence : de l'utilité des perquisitions administratives ?

Coup de com' ou véritable outil de lutte contre le terrorisme? Plus d'un millier de perquisitions administratives, effectuées de jour comme de nuit sans l'autorisation d'un juge, ont été diligentées depuis les attentats de Paris. Avec des résultats encore modestes et des interrogations.


Il est 01H00 du matin à Grenoble, dans la nuit de dimanche 15 au lundi 16 novembre. Alexandre C., 32 ans, regarde la télé dans son appartement. Soudain, des hommes du RAID défoncent la porte, le plaquent à terre et le menottent.

Ils fouillent les lieux de fond en comble et finissent par trouver, dans un carton de déménagement, un pistolet à grenaille désobstrué pour tirer des balles de 22 long rifle. Une "arme achetée il y a dix ans, sans raison particulière" sur l'ancêtre du site leboncoin.fr, expliquera Alexandre à la barre au lendemain de son interpellation.

Jeune peintre sans casier judiciaire, père de deux filles, et ne présentant pas "le profil de quelqu'un qui s'est radicalisé" aux dires du parquet, l'homme écopera quand même de huit mois de prison avec sursis. "Il est un peu traumatisé", assure son avocat Me Emmanuel Decombard, en jugeant "dangereuse" cette "procédure dérogatoire".

- 'Faire du chiffre' -

Depuis les attentats du 13 novembre à Paris et la mise en place de l'état d'urgence, 1.233 perquisitions de ce type ont eu lieu partout en France. Sur les 165 interpellations, 142 personnes ont été placées en garde à vue et 230 armes saisies, dont une moitié d'armes longues ou de guerre. Dans 90% des cas environ, les forces de l'ordre sont donc reparties bredouilles.

Devant l'Assemblée nationale mardi, Bernard Cazeneuve a défendu "l'efficacité" de ce régime d'exception, assurant qu'il "n'accepterait aucun manquement" aux principes de l'état de droit.
"Une réponse uniquement politique destinée à rassurer la population à la veille des élections", rétorque un fonctionnaire du renseignement en province.

Volonté de "faire du chiffre", "gesticulation", "affichage" : cette procédure exceptionnelle instaurée par la loi sur l'état d'urgence de 1955 et reconduite pour trois mois, ne fait pas l'unanimité parmi des magistrats et policiers interrogés dans plusieurs régions, sous couvert de l'anonymat. Même si certains y voient des avantages.

Ordonnées 24 heures après les attentats, les premières perquisitions ont été montées dans la précipitation, sans réelle réflexion quant au choix des cibles, dénoncent plusieurs sources. "C'était pour faire plaisir aux politiques. C'était pas du travail de police", explique un commandant.

"Les premières commandes, c'était déconnant. C'était compréhensible au début, mais ça va le devenir de moins en moins sur la durée. On ne se donne pas assez de temps", regrette un procureur.

Contrairement aux perquisitions judiciaires, les perquisitions administratives sont ordonnées par le préfet, et même lorsqu'aucun indice ne laisse penser qu'une infraction a été commise. Si un délit est constaté, la procédure se judiciarise alors sous l'autorité du parquet.

- 'Il était temps' -

"Cela a un mérite: c'est la simplicité. On arrive à faire en un temps record ce qui en temps normal nous aurait demandé des actes préalables, des procédures judiciaires relativement compliquées", explique un responsable policier. "Maintenant, quant aux résultats, par rapport au nombre de perquisitions qui sont effectuées, c'est pas extraordinaire."

Parmi les suspects interpellés figurent de nombreux délinquants de droit commun, sans lien établi avec des milieux islamistes. Mais "il y a une grande porosité entre banditisme et radicalisme : le trafic de stupéfiants alimente la cause, on en est certains. Pendant des années, on a été naïfs. Il était temps d'agir", souligne le responsable d'une brigade anticriminalité, précisant que les cibles sont arrêtées en accord avec la DGSI, le renseignement territorial et les forces de police locales.

"Cela permet d'agir en mettant l'adversaire en danger, dans une situation d'incertitude. C'est efficace, car sinon ils dorment sur leurs deux oreilles, croyez-moi. Il n'y a plus que les cons qui se font encore avoir sur leurs portables", abonde un magistrat, qui suggère même de pérenniser la pratique sous l'autorité du parquet: "Si le préfet le fait, pourquoi pas le procureur?"
Mais une fois l'effet de surprise passé, la pratique a-t-elle encore une utilité ? "Ce qui doit être planqué, ça a été planqué", admet un policier. "Plus ça va aller et moins on trouvera", confirme un autre.

D'autant que les effectifs ne pourront pas tenir ce rythme longtemps. "C'est très contraignant", confirme un responsable de la sécurité publique.
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