Fermeture des remontées mécaniques : "L'impact économique s'étend bien au-delà de notre territoire"

INTERVIEW. Maître de conférence à l'université de Grenoble, Nico Didry souligne le lourd impact économique engendré par la fermeture des remontées mécaniques à Noël. Des secousses qui s'étendent au-delà des Alpes et risquent d'engager une vaste remise en question pour les stations de ski.

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A l'aube des fêtes de fin d'année, la fermeture des remontées mécaniques jusqu'en début d'année 2021 a fait couler beaucoup d'encre. Le monde de la montagne a fait part de son incompréhension face à cette décision prise pour limiter la diffusion du Covid-19. Nico Didry, maître de conférences à la faculté d'économie de l'université Grenoble-Alpes, souligne l'impact économique majeur de cette mesure, bien au-delà de nos massifs. L'ancien entraîneur de l'équipe de France de snowboard pointe le "manque de pédagogie" des décideurs politiques qui "confortent des préjugés faux et négatifs sur la montagne", ajoutant à l'incompréhension.

Commerces locaux, investisseurs... Quel est l'impact économique de la fermeture des remontées mécaniques pour les vacances de Noël ?

On n'imagine pas toutes les ramifications économiques que cela implique. Même des gens du cru, qui sont au cœur du monde de la montagne, ont une vision réductrice de cet univers. Et les discours des politiques font perdurer des préjugés selon lesquels la montagne est un microcosme, les stations des petits parcs d'attractions, et si on n'habite pas à la montagne, on ne sera pas impacté. Mais non. Il faut imaginer que l'impact économique s'étend bien au-delà de notre territoire, et au-delà de la temporalité de l'hiver.

Concrètement, qu'est-ce que cela implique ?

Par exemple, les propriétaires d'appartements, qui ne vivent pas forcément en station, verront leurs revenus diminuer. Il y a d'autres répercussions directes, sur la réduction du nombre de TGV montagne par exemple. Qui est impacté ? Ce sont les salariés de la SNCF dont certains risquent d'être placés au chômage partiel. Si on reste sur les transports, il y a aussi tous les taxis qui vont de l'aéroport de Grenoble aux stations. Tous ces transporteurs seront aussi impactés, même s'ils ne vivent pas directement sur le territoire.

Pour ce qui est des investissements, ça ne va pas seulement toucher les entreprises situées sur le territoire, ça peut être des médias [avec la baisse des revenus publicitaires, NDLR], des agences de conseil en dehors du territoire. C'est tout l'écosystème économique de la vallée de Grenoble, Chambéry et Annecy, voire Lyon, qui est touché. Le monde de l'industrie et de l'événementiel va aussi en souffrir, et pas seulement cet hiver.

Vous déplorez une forme de déconnexion du milieu politique vis-à-vis du monde de la montagne...

Il y a vraiment un travail de pédagogie à faire. Il y a à la fois des maladresses, ou de la méconnaissance ou de l'incompétence. Jean Castex a dit que les stations allaient rester ouvertes, mais une station, c'est un territoire, il y a des gens qui y vivent. Ce n'est pas possible de raisonner comme ça parce que ça renforce l'idée que la station est un parc d'attractions. C'est aussi le retour de boomerang pour les stations qui avaient beaucoup communiqué sur le ski. Quand les politiques prennent une décision, il faut avancer les bons indicateurs et ça n'a pas été le cas. Ils confortent des préjugés faux et négatifs qu'on peut avoir sur la montagne.

Eric Piolle a déclaré sur BFMTV que le ski ne concernait qu'"une toute petite partie de la population française", que "ce n’est pas un sujet majeur". Qu'en pensez-vous ?

Il analyse le monde du ski et l'économie du ski en parlant du nombre de clients. Mais ce n'est pas le nombre de pratiquants qu'il faut voir, c'est le nombre de gens impactés par cette fermeture. Le poids économique est tentaculaire avec des ramifications partout à court et moyen terme. Eric Piolle, lorsqu'il dit ça, fait une erreur fondamentale. Parce que cette fermeture va impacter plein de gens qui sont dans une souffrance sociale et économique sur le terrain. On a l'image de Courchevel ou Méribel, mais ce n'est pas que ça.

Donc les élus locaux peuvent aussi faire preuve d'un manque de pédagogie ?

Les arrêtés pris par les maires pour interdire l'accès aux domaines skiables souffrent d'un vrai manque de communication. Quand le maire d'une commune prend un arrêté, ce n'est pas pour embêter les gens, c'est pour sortir le parapluie et ne pas engager sa responsabilité en cas d'accident. Même si le domaine skiable est fermé, il est quand même responsable.

Ce qu'on a observé, notamment aux Sept-Laux, c'est que la station n'a pas communiqué sur l'arrêté. Ca n'a pas été mis en ligne sur son site, ni sur les réseaux sociaux. Il n'est affiché nulle part. Et quand on lit l'arrêté, on peut penser qu'ils veulent tout interdire. Ce n'est pas le cas, mais il n'y a aucune explication fournie. C'est de l'information purement administrative. En ayant une approche liée à l'interdiction plutôt que préventive et pédagogique, ça crée une réaction de rejet, voire une volonté de violation des directives. Ca rajoute à l'incompréhension.

Jean Castex l'a souligné dans son allocution du 26 novembre, les remontées mécaniques restent fermées mais pas les stations. Un séjour à la montagne est-il concevable sans ski ?

Jusqu'ici, ça ne l'était pas. Des études montrent que jusqu'à 95% des clients des stations viennent pour le ski. Mais ça peut éventuellement changer. Ca commence avec les stations qui proposent des activités de raquettes, randonnées, etc. Des activités hors ski, forcément, pour les vacances de Noël. C'est l'un des seuls points positifs. Les petites stations y étaient déjà un petit peu préparées du fait des aléas climatiques et du manque de neige.

Donc les perdants sont les grands domaines skiables ?

Oui, car eux ne sont pas préparés à cette situation. En plus, la clientèle internationale manque donc pour eux, c'est double peine. Ils ont aussi une capacité de réactivité même si au départ, ils n'en étaient pas capables. Le point positif, c'est que cette situation va montrer aux acteurs qu'il faut réfléchir à une montagne hivernale qui n'est pas 100% dépendante du ski. Montrer qu'on peut faire autre chose que du ski même si ça reste le moteur économique de l'activité hivernale.

L'idée, c'est que les territoires de montagne puissent se prémunir de cette dépendance au ski à la fois en développant une offre globale quatre saisons. Là, il y a tous les œufs dans le panier hiver.

Pourquoi les acteurs de la montagne n'y ont-ils pas réfléchi avant la fermeture imposée des remontées mécaniques ?

Beaucoup de gens y ont pensé, notamment des chercheurs. Beaucoup de travaux sont faits à ce sujet mais il y a encore une résistance au sein des stations et avec les socioprofessionnels. Et il y a une culture du ski qui est prégnante parce qu'il n'y avait pas forcément, sur une vision cout-termiste, de nécessité de se réinventer puisque ça marchait.

N'y avait-il pas, avant la crise, des éléments qui laissaient penser que ce modèle s'essoufflait ?

On peut voir des signaux qui permettent d'imaginer que le modèle est fragile. Il y a notamment une érosion du nombre de skieurs et un vieillissement de la population, notamment du fait de l'abandon des classes de neige qui permettent une vraie acculturation à la montagne.

Le ski est une activité difficilement accessible, notamment d'un point de vue technique. Si on ne l'a pas appris quand on était petit, ça occasionne des résistances. Il y a aussi le côté pratique : beaucoup de choses ont été mises en place pour faciliter le parcours client mais ça n'est pas encore, à mon sens, assez banalisé.

 

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