L’un des quatre aiglons relâchés l’an dernier par le parc animalier "les Aigles du Léman" bat tous les records. Ce pygargue à queue blanche vient de parcourir plus de 3000 kilomètres jusqu’au nord de la Scandinavie. Un record pour un si jeune oiseau.
Jamais il n’aurait imaginé que l’un de ses oiseaux réalise un tel périple... Mais aujourd’hui, Jacques-Olivier Travers, fondateur du parc "les Aigles du Léman", est enchanté. Depuis l’an dernier, le fauconnier mène avec succès un programme de réintroduction du pygargue à queue blanche. Son oiseau fétiche. Le plus grand aigle d’Europe, pêcheur, disparu de France il y a plus de 130 ans. Le dernier couple a été tué en 1892, à Thonon-les-Bains.
C’est à quelques encablures de là que le rapace fait donc son grand retour, depuis le parc animalier basé à Sciez-sur-Léman, point d’envol des oiseaux réintroduits. 85 devraient être relâchés d’ici à 2030.
Le parcours d'un champion
L’an dernier, les quatre premiers se sont envolés. Parmi eux, un aventurier hors-normes. Un champion toutes catégories du vol longue distance dont la balise GPS qu’il porte sur le dos est un témoin précieux et privilégié.
Parti du parc animalier le 12 août 2022, il s’est montré très précoce. Douze jours seulement après son premier envol, il s’installait en Suisse, dans une réserve animalière située au bord du lac de Neuchâtel.
Là, il a appris à pêcher mais aussi à chasser le cormoran, une espèce invasive en pleine prolifération. Fin février 2023, après avoir passé l’hiver dans cette zone propice et riche en ressource alimentaire, le champion a repris sa route.
Il a traversé l’Allemagne, d’ouest en est. Puis il a passé une quinzaine de jours en Pologne, au bord de la Mer du Nord, avant de mettre le cap au nord : direction le Danemark.
A ce moment-là, le jeune Pygargue avait déjà parcouru plus de 1000 kilomètres, battant ainsi le précédent record enregistré pour un oiseau de son espèce. Après deux semaines au Danemark, l’aventurier a traversé la mer Baltique. Un vol de plusieurs dizaines de kilomètres sans autre horizon que ces eaux froides et inhospitalières. "Je pensais qu’il n’oserait pas traverser la mer, c’était déjà une énorme surprise", confie Jacques-Olivier Travers.
Mais le voyage était loin d'être terminé. Le jeune rapace a ensuite remonté toute la Suède avant de se diriger vers la Norvège qu’il continue de découvrir et de sillonner. "Je suis content et fier car cet oiseau né en captivité démontre que son lieu de naissance n’a aucune influence sur sa capacité d’adaptation, sur sa capacité à voler. Il réalise des performances incroyables. C'est une formidable leçon, ces animaux peuvent totalement retourner dans la nature" s’émerveille le fauconnier.
Jamais un oiseau équipé d’une telle balise GPS n’avait réalisé un tel périple : 3000 kilomètres déjà parcourus depuis son lieu de naissance, en Haute-Savoie. En se livrant à un tel périple, l’aiglon aide aussi la science en livrant, via sa balise, des informations totalement inédites : "On ne sait pas grand-chose, en fait, de ces oiseaux. On est comme des enfants qui découvrent les capacités de ces aigles au fur et à mesure du périple de notre champion. On sous-estime énormément leurs capacités. L’évolution les a rendus tellement performants dans leur environnement, contrairement à nous. Ces espèces subissent une telle pression sélective que cela booste énormément leurs performances et c’est assez incroyable de pouvoir découvrir tout cela grâce à lui", commente Jacques-Olivier Travers.
Le Pygargue à queue blanche fait partie des espèces sur lesquelles nous avions beaucoup de certitudes mais tout cela vole en éclat aujourd’hui.
Jacques-Olivier Travers, fondateur des Aigles du Léman,à France 3 Alpes.
Que deviennent les autres aventuriers ?
L’an dernier, l’aventurier s’est envolé avant son frère et ses deux sœurs. Les deux femelles se portent parfaitement bien. L’une d’elles, baptisée Haute-Savoie, arpente pour l’instant la République Tchèque. Son autre sœur, elle, s’est fixée en Autriche. Tous devraient revenir s’installer sur les bords du Léman dans deux ou trois ans, à l’approche de l’âge adulte.
En attendant, elles sont parfaitement autonomes et se sont, elles aussi, particulièrement bien adaptées à la vie en liberté : "A chaque fois, ces oiseaux trouvent des endroits réellement propices. Ils ont une forme d’intelligence, une intelligence de la survie, qui leur permet de trouver à coup sûr de la ressource alimentaire", explique le fondateur des "Aigles du Léman".
Seul le deuxième mâle, nommé Sciez, a connu un destin tragique. En avril dernier, il a été abattu alors qu’il mangeait un poisson au bord d’un étang dans le nord de l’Allemagne. Une preuve supplémentaire que le succès des programmes de réintroduction ne dépend que d’un paramètre : l’attitude de l’Homme.
En septembre prochain, les trois pionniers seront rejoints par dix autres aiglons. Nés au printemps dernier, ils seront à leur tour relâchés et pourront partir à la conquête de leurs propres territoires. Parmi eux, le petit frère de l’aventurier, baptisé Châtel. Suivra-t-il les traces de son ainé ? Aux "Aigles du Léman", tout le monde en rêve déjà.