Si le rugby pro prend aujourd'hui très au sérieux la prévention des commotions cérébrales, le secteur amateur est moins armé face à ces blessures le plus souvent invisibles. Le kinésithérapeute du petit club de rugby de Saint-Julien-en-Genevois en Haute-Savoie tire la sonnette d’alarme.
Ce médecin du sport a fait part la semaine dernière de sa préoccupation lors d'un symposium international organisé sur le thème par le club de rugby de l'ASM Clermont Auvergne.
"On est encore à cent lieux de pouvoir protéger correctement les joueurs d'un point de vue médical. On explique aux proches, aux familles qu'il faut être vigilants (face) à tels ou tels signes mais c'est tout. Le joueur concerné est ensuite dans la nature", regrette le kinésithérapeute de ce XV amateur de quatrième série, le dernier échelon en championnat régional amateur.
Pourtant dans ce sport, touché de manière inquiétante par la multiplication des accidents ces dernières années, la prise de conscience des risques est bien réelle.
Outre le protocole commotion mis en place en 2012 et désormais copiée en partie par d'autres disciplines (handball, football, ski, etc...), la Fédération française de rugby (FFR) a élargi cette saison au Top 14 et à la Pro D2 l'utilisation du "carton bleu", déjà expérimentée en Fédérale 1 et Top 8 (féminines). L'arbitre peut ainsi faire sortir un joueur présentant des signes évidents de ce type de commotion.
"Au rugby, les clubs, les familles attendent que les joueurs se sacrifient pour l'équipe. Décider de sortir un joueur n'est pas chose facile", relève M. Perrot.
Suite à des blessures et chocs répétés lors de matches au "rapport de force inadapté" face à des équipes de plus haut niveau, son équipe a récemment dû déclarer forfait pour "préserver la santé des joueurs", parfois débutants.
La fréquence des commotions "sous-estimée"
Contrairement à l'élite, "la difficulté, c'est d'avoir des médecins. En Bretagne, il y a une soixantaine de clubs de rugby, mais seuls sept d'entre eux ont des référents compétents. Dans les campagnes, c'est vraiment compliqué", abonde Patrice Nagssa, président de la commission médicale de la Ligue dans la région.
D'aucuns relatent la difficulté de consulter rapidement pour les sportifs touchés, en particulier dans les "déserts médicaux".
"La fréquence des commotions est sous-estimée et dans certains cas ignorée ou banalisée. Les licenciés sont moins informés", observe Gilles Einsargueix, consultant au ministère des Sports.
Faute de vidéo en championnat amateur, les signes mêmes de ces traumatismes ne sont pas toujours visibles. Les vertiges, maux de tête ou pertes de connaissance ? Un petit KO pour des sportifs, qui en parlent souvent comme d'un fait d'armes.
Dans ce contexte, l'urgence dans le sport amateur est désormais à "l'éducation". "On a mis en place des dispositifs pour le monde professionnel qu'on ne peut pas appliquer au monde amateur. Il faut former tous les acteurs avec ses outils simples", prône le professeur Philippe Decq, neurochirurgien, expert auprès des instances du rugby,
Médecins, éducateurs mais aussi joueurs, petits et grands. "Il faut expliquer aux enfants dans les écoles que la commotion est une blessure grave. Ca va prendre du temps car c'est un changement de philosophie et de mentalité", confirme l'ancien neurochirurgien de l'ASM, Jean Chazal.
Dans les écoles, l'apprentissage des gestes a déjà évolué avec l'interdiction des placages au-dessus de la ceinture jusqu'en catégorie U12 en rugby.
Face aux dangers, les jours des rugbymen du dimanche pourraient être comptés. "Aujourd'hui, dans le rugby amateur, il faut s'entraîner régulièrement. On ne joue plus seulement entre copains parce que c'est sympa. Il faut entretenir la maîtrise technique", assume encore le directeur technique national, Didier Retiere.