VIDEO. "Il ne faut pas que j'en perde une miette" : Jean-Yves Fredriksen raconte son vol historique depuis le sommet du K2

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Le 28 juillet 2024, Jean-Yves Fredriksen descend en parapente du K2, au Pakistan.
L'alpiniste et parapentiste Jean Yves Fredriksen vient tout juste de rentrer du K2 après ses exploits réalisés fin juillet, sur l'un des sommets de 8000 m les plus exigeants du monde. ©FTV / S. WORRETH, I. PERNET-DUPARC, S. VILLATTE

Le 28 juillet dernier, quatre alpinistes français effectuaient au Pakistan les premiers vols en parapente en haut du K2, l'une des montagnes les plus difficiles au monde. Parmi eux, le guide Jean-Yves Fredriksen, parvenu à bout des 8600 m d'ascension seul, sans oxygène et par une voie atypique. Rencontre à son retour en vallée d'Abondance, en Haute-Savoie.

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Le 28 juillet, Jean-Yves Fredriksen réalisait un exploit et un "rêve de gosse" au Pakistan. Le guide de haute montagne, connu sous le nom de "Blutch" dans la vallée d’Abondance, atteignait le sommet du K2 en solitaire et sans oxygène. Avec Benjamin Védrines, Liv Sansoz et Bernard Roche, il s’offrait aussi une première : la redescente en parapente de ce 8000, réputé comme l’un des plus exigeants du monde. De retour en Haute-Savoie, il revient pour France 3 sur son épopée.

Ce projet - une ascension du K2 en solo et sans oxygène, avec un vol en parapente inédit à la clef -, qu’est-ce qu’il représentait ?

"C’est un vieux rêve depuis ma traversée de l'Himalaya, il y a huit ans. Je rêvais du K2 plus que de l'Everest parce que ça reste une montagne très haute [8611 m, deuxième sommet le plus haut du monde, ndlr] et elle a la réputation d'être technique. Elle a malheureusement la réputation d'être dangereuse, en particulier à la descente. Ce qui faisait que ce projet d'ascension en style alpin [ascension sans corde fixe, porteur ou oxygène, ndlr] et avec une descente en parapente, ça avait du sens."

Comment est-ce qu’on se prépare pour une expédition si particulière ?

"Je m’engage sur le projet il y a plus d'un an. Le film de l'arrivée au sommet et du décollage, je l'ai répété sur mes montagnes de la vallée d'Abondance X fois. Je sais exactement à quoi m'attendre. Je me suis entraîné à le faire avec des énormes mitaines, avec un masque de ski, avec des gros souliers et la combinaison en duvet. La voile, elle est pliée d’une certaine manière. Les suspentes sont pré-démêlées, etc. Il y a plein de petites choses qui sont complètement automatisées."

Pour l’ascension, vous n’êtes pas passé par la voie normale mais par un itinéraire associant l’éperon Cesen et la voie dite "des Basques". Pourquoi ce choix, que vous définissez vous-même comme "hors des sentiers battus" ?

"Il y a deux choses. D'une part, la boutade de mon mentor, Jean Troillet qui, juste avant de partir me dit : "Hey, Blutch, tu ne fais pas la voie normale, hein !" Déjà, c'était une évidence pour moi. Après, on arrive au pied de la montagne. On sait qu'il ne faut pas avoir un objectif trop précis parce qu'il faut s'adapter aux conditions, c'est la montagne qui décide où on va grimper. Cette combinaison d'itinéraires me faisait de l'œil. Il y avait beaucoup de neige donc une face sud, c'était quand même plus approprié. De grimper sur les traces de Jerzy Kukuczka, de Messner, de Cesen, ça me faisait kiffer. Et surtout d'être tout seul au milieu d'une grande face de 3 600 m, ça me faisait rêver."

Comment s’est passée l’acclimatation, nécessaire pour supporter les conditions à ces altitudes ?

"J’ai été amené à faire quelques camps intermédiaires. Au fur et à mesure, je remontais ma tente, mon sac de couchage et tout mon bazar un peu plus haut. J'ai buté à 6 600 mètres au pied d'une gigantesque barre de séracs [des blocs issus du glacier, qui présentent un risque de chute, ndlr]. C’est un peu sur un éperon, donc les avalanches passent un coup à gauche, un coup à droite. A partir de là, il faut faire la fameuse traversée Messner qui traverse sous cette gigantesque barre de séracs. Ça dure à peine dix minutes, mais c'est la barrière de séracs la plus abominable qui soit. […] Elle est vraiment imposante et on se fait tout petit. Je ne voulais la traverser qu'une seule fois, donc je me suis acclimaté plusieurs fois - six fois pour être exact - jusqu'à 6 600 mètres. Mais au-delà, je ne voulais pas traverser à plusieurs reprises cet endroit dangereux. Donc je l'ai fait qu'une seule fois, le jour de l'Ascension."

Après, c'est direction le sommet ?

"Après, c'est direction la voie normale que je rejoins à 8 000 mètres, au niveau du camp 4. En gros c'est 3 000 mètres hors des sentiers battus et ensuite je finis par l'itinéraire classique que je rejoins, malheureusement, derrière les sherpas népalais et leurs clients. C’est un peu prétentieux parce que j'étais content de retrouver une trace. Parce que j'en ai vraiment bavé […]. Mais, quelque part, intimement, j'aurais trouvé ça super élégant de faire la trace jusqu'en haut."

Vous avez douté, pendant l'ascension ?

"A un moment donné, au milieu de la Cesen à 7 500 m, je me dis : "Ah, c'est une bonne idée d'aller chercher la bonne neige à gauche, ça sera moins fatigant et moins scabreux que le rocher." Je perds des heures à faire un aller-retour, j'ai de la neige jusqu'au nombril, je fais la limace, je n'avance plus à rien. Je reviens sur mes pas. Je rejoins le rocher et là je me dis : "Mince, il faut que je continue sur cette arrête effilée technique recouverte de neige..." Et là, il y a un petit moment de doute. Mais j'ai tellement envie et je me fais tellement plaisir…

C'est le plaisir qui m'a fait avancer et qui a complètement occulté la souffrance. Je n'ai pas souffert, j'étais bien et j'ai pris énormément de plaisir. Chaque fois que j'étais épuisé, j'avais un petit réchaud, je me suis fait du thé sucré… C'est mon Côte-Rôtie, ça !"

Au sommet, la suite du projet, c’est la redescente en parapente. Un vol inédit avant ce jour : avec Benjamin Védrines quelques heures plus tôt, puis Liv Sansoz et Bernard Roche en biplace, vous réalisez une première. Vous nous le racontez ?

"J'arrive en haut, je fais deux photos et puis tout de suite en tête, il y a le scénario qui a été répété un millier de fois dans ma tête. Je dégrafe mon sac à dos, je sors mon parapente, je l'étale sommairement. Je rentre dans mon harnais, je démêle mes suspentes et je suis prêt. Et là, je réalise qu'il n'y a pas un souffle de vent."

Votre réaction ?

"Je tente, je me retrouve en bas des vingt mètres de pente de neige et puis j'arrête ma course parce que je n'ai absolument pas l'intention de sauter dans le trou comme ça, sans avoir la moindre sensation de sustentation. On est quand même à 8600 mètres et il me faut de la vitesse. Il faut de la portance […]. Je suis défoncé. Je suis fatigué par mes 36 heures d'efforts non-stop. Mais j'ai encore la lucidité de me dire : "Je n'y vais pas."  Je recommence cet effort cinq ou six fois avant de tomber à la renverse, épuisé, essoufflé. Je m'allonge, et là je m'endors. Dans ma tête, ça dure une nuit. Dans la réalité des images, ça dure 1 min, 1 min 30. Mais je me réveille, je suis refait, j'ai récupéré, un truc de malade.

Je ne suis pas essoufflé, je reprends ma voile en boule. Je démêle mes freins, je démêle mes suspentes et je remonte au sommet une énième fois. Et là, il y a Liv et Zeb [Bernard Roche, NDLR] qui arrivent. Liv me parle. Je me dis : "Te laisse pas avoir, c'est une hallucination. Elle n'est pas réelle." Je ne lui réponds pas. […] Quelques minutes plus tard, là je prends vraiment une petite rafale qui me prend en charge. Je n'hésite pas une seconde, je fonce. J’ai les pieds qui quittent le sol et instantanément je retombe dans la lucidité, dans la réalité. Je suis hyper concentré."

Comment se passe le vol ?

"J'ai conscience qu'il ne faut pas que j'en perde une miette, que ça va être certainement l'un des plus beaux vols de ma vie et qu'il faut que j'aie mes récepteurs sensoriels bien grands ouverts pour profiter de cette chance inoubliable. […] On laisse la magie du vol se faire : un petit coup la caméra à gauche, un petit coup à droite, un petit coup coincé dans la cuissarde. On vole avec des voiles hyper sûres, il n'y a pas besoin de tenir les freins. J'ai les bras en croix, je regarde le paysage et j'en profite."

Combien de temps ?

"Un des facteurs les plus troublants à très haute altitude, c'est qu'on perd complètement la notion du temps. Malgré tout, c'est hyper court. D'après la caméra et la montre, le vol ne dure que vingt minutes. […] Je descends 2 000 mètres en 20 minutes et je me pose dans une neige très molle, cinq mètres au-dessus de ma tente. Je range quand même mes affaires et j'essaye un décollage pour finir le soir au camp de base et retourner dans les bras de ma chérie. Et puis en fait, je n'arrive pas à décoller. Le vent n'est pas bon donc je dois repasser un bivouac. Mais finalement, après autant de complicité avec le K2, je crois que ça m'a fait beaucoup de bien de repasser une dernière nuit là-haut. De vraiment savourer cette réussite, d'avoir de nouveau le K2 pour moi tout seul et le coucher de soleil face au Broad Peak. Le lendemain matin, j'attends que ça chauffe un peu, je trouve du vent de face et j'arrive à redescendre mon énorme sac de 25 kilos dans la vallée en vol."

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