Interview : le président de la commission d'enquête sur les attentats Georges Fenech très critique sur la lutte antiterroriste

Voici l'interview intégrale de George Fenech, ancien magistrat, député du Rhône et président de la Commission d'enquête parlemenatire sur les attentats. Il  critique l'absence de "patron" du renseignement ou encore la non-gestion du retour potentiel des 2000 français engagés en Syrie et en Irak.

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=>Télécharger en pdf le rapport d'enquête parlementaire relatif aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Interview de Béatrice Tardy et Mathieu Boudet

 

La semaine dernière, la commission d'enquête parlementaire sur les attentats -présidée par Georges Fenech- proposait notamment la création d'une agence nationale du renseignement. Suggestion retoquée par le Ministre de l'Intérieur, qui estimait que cela ajouterait un nouvel état au "millefeuille", se montrant très réservé sur les recommandations des députés.

Pour conduire cette agence nationale, la commission proposait de créer une direction générale chargée de coordonner l'action de tous les services de renseignement et s'assurer qu'il n'y a pas de déperdition d'information entre services. Soulignant qu'il existe déjà un coordinateur national du renseignement en la personne de Didier Le Bret, rattaché à l'Elysée, Bernard Cazeneuve a également rétorqué : "Dès lors que nous serons en situation d'établir en quoi un directeur général apporterait plus qu'un coordinateur, nous pourrons évoquer cette question ensemble".

La commission d'enquête parlementaire, qui a auditionné 190 personnes pendant quelque 200 heures sur les cinq derniers mois, préconise une nouvelle refonte en profondeur du renseignement.

"La réforme qui est intervenue en 2008 supprimant les Renseignements généraux a fait perdre à notre pays beaucoup d'efficacité en matière de suivi des signaux faibles sur le territoire", a d'abord acquiescé le ministre de l'Intérieur. Avant d'asséner: "Vous proposez d'aller encore plus loin en confortant le renseignement territorial, c'est ce que nous faisons, et ce que nous allons continuer à faire".

Il a rappelé que 1.500 emplois avaient été créés dans le renseignement territorial depuis un an et demi et que les crédits de fonctionnement des services avaient été augmentés de 236 millions d'euros "pour leur permettre d'être enfin numérisés et d'être à la hauteur".

Quant à la proposition de fusionner l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), récemment créé au sein même du cabinet du ministre de l'Intérieur, avec l'Unité de coordination et de lutte antiterroriste (Uclat) de la direction générale de la police, "je ne suis pas absolument favorable à la fusion de ces deux structures, qui constituerait une véritable perte en ligne par rapport à ce que nous faisons", a estimé M. Cazeneuve.

Il a proposé de rencontrer prochainement M. Pietrasanta et le président de la commission Georges Fenech (Les Républicains) "pour voir
les conditions dans lesquelles nous réserverons les suites les plus utiles aux propositions".
Les 40 propositions de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats depuis le 5 janvier 2015
Proposition n° 1 : Augmenter le nombre de cartouches tirées chaque année par les personnels des unités élémentaires de la police et de la gendarmerie nationales dans le cadre des séances d’entraînement au tir auxquelles ils participent.

Proposition n° 2 : Augmenter les effectifs de l’unité de coordination des forces d’intervention (UCoFI) pour lui permettre de faire face aux missions que lui
assigne le nouveau schéma national d’intervention des forces de sécurité.

Proposition n° 3 : Engager dans les meilleurs délais une réflexion sur le traitement médiatique d’une attaque terroriste afin de définir : 
– le rôle et les obligations des journalistes et des réseaux sociaux à l’occasion d’une crise de cette nature
– les modalités de la collaboration entre les pouvoirs publics et les médias dans un contexte de ce type.
Ce travail pourrait aboutir à l’élaboration d’un protocole signé entre tous les acteurs intéressés.

Proposition n° 4 : Créer une infraction caractérisée par la diffusion – sur tout support – d’une information susceptible de causer un préjudice à toute personne présente sur le lieu d’un attentat.

Proposition n° 5 : Constituer au plus vite sur l’ensemble du territoire national des colonnes d’extraction des victimes en zone d’exclusion composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d’intervention.

Proposition n° 6 : Étendre le plan « Rouge Alpha » à l’ensemble des services de sapeurs-pompiers du territoire national.

Proposition n° 7 : Former l’ensemble des équipes de secours et médicales françaises à la médecine de guerre et aux techniques de damage control.

Proposition n° 8 : Organiser une grande campagne nationale d’initiation aux gestes qui sauvent.

Proposition n° 9 : Étendre rapidement à l’ensemble des équipes de secours et des équipes médicales l’usage du système d’information numérique standardisé (SINUS) pour suivre les personnes prises en charge et les recenser dans une base de données unique.

Proposition n° 10 : Clarifier les critères qui permettent aux victimes d’être inscrites sur la liste unique des victimes.

Proposition n° 11 : Étendre l’aide juridictionnelle à la phase transactionnelle devant le fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres
infractions (FGTI). 

Proposition n° 12 : Pérenniser dans notre organisation administrative un secrétariat d’État chargé de l’aide aux victimes disposant d’une administration
dédiée.

Proposition n° 13 : Détacher en permanence des officiers de gendarmerie au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Proposition n° 14 : Fusionner le service central du renseignement territorial (SCRT) et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la
gendarmerie nationale dans une nouvelle direction générale du renseignement territorial, rattachée directement au ministre de l’Intérieur. Partager les attributions de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) entre la DGSI et cette nouvelle direction générale du renseignement territorial. Intégrer la nouvelle direction générale du renseignement territorial au premier cercle de la communauté du renseignement.

Proposition n° 15 : Accélérer la mise en place, les recrutements et détachements de moyens afin de parvenir au plus vite à un véritable bureau du renseignement pénitentiaire pleinement opérationnel.

Proposition n° 16 : Poursuivre le recrutement supplémentaire d’agents au sein des services de renseignement au-delà des engagements pris jusqu’en 2018 et diversifier ces recrutements plus massivement en faisant appel, le cas échéant, à des experts contractuels.

Proposition n° 17 : Créer une base de données commune à l’ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste consacrée exclusivement à l’antiterrorisme mais exhaustive, avec des niveaux d’accès adaptés aux besoins des services.

Proposition n° 18 : Créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée directement au Premier ministre, en charge de l’analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle.

Proposition n° 19 : Fusionner l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT).
Repositionner l’ensemble auprès du ministre de l’Intérieur et non au sein de la direction générale de la police nationale (DGPN). Recentrer les missions de l’ensemble sur le pilotage et l’animation des directions du ministère dans la lutte antiterroriste.

Proposition n° 20 : Renforcer les prérogatives du coordonnateur national du renseignement, en lui octroyant notamment une capacité d’arbitrage budgétaire, pour en faire le directeur national du renseignement.

Proposition n° 21 : Engager une réflexion sur l’assouplissement du cadre juridique du statut de « repenti » dans le domaine du terrorisme.

Proposition n° 22 : Exclure les personnes condamnées pour des actes terroristes du bénéfice du crédit de réduction de peine automatique prévu à l’article 721 du code de procédure pénale.

Proposition n° 23 : Mettre en œuvre, dans les meilleurs délais, un plan de recrutement dédié aux juridictions spécialisées dans le traitement des affaires de terrorisme.

Proposition n° 24 : Adapter les obligations prononcées – sur le fondement de l’article 138 du code de procédure pénale – dans le cadre du contrôle judiciaire au profil des personnes mises en examen pour des infractions à caractère terroriste et renforcer les modalités de contrôle du respect de ces obligations.

Proposition n° 25 : Augmenter les capacités d’accueil du parc carcéral.

Proposition n° 26 : Lancer deux plans nationaux d’investissements dans la vidéoprotection et le déploiement de portiques équipés de lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation (LAPI).

Proposition n° 27 : Engager une réflexion avec les collectivités territoriales sur la sécurisation des accès des équipements scolaires et de petite enfance actuels et futurs.

Proposition n° 28 : Engager une réflexion sur un changement des dispositifs de sécurité des aéroports internationaux français afin d’intégrer des méthodes de screening rénovées et une plus grande densité d’agents de sécurité.

Proposition n° 29 : Lancer un troisième plan de lutte antiterroriste pour le recrutement de 2 000 policiers et gendarmes afin de leur permettre de tenir la
posture du plan Vigipirate dans la durée. 

Proposition n° 30 : Diminuer progressivement le volume des effectifs engagés dans l’opération Sentinelle afin, à court terme, de le concentrer sur la seule
protection de certains points stratégiques. 

Proposition n° 31 : Doter les soldats de l’opération Sentinelle d’armes de poing en complément de leur dotation actuelle et les faire bénéficier d’une formation pour intervenir en milieu clos.

Proposition n° 32 : Accompagner la montée en puissance des entreprises de sécurité privée.

Proposition n° 33 : Engager une initiative forte auprès du gouvernement irakien et de la coalition internationale pour intervenir militairement plus massivement en Irak, y compris au sol, avec un objectif militaire et une stratégie de sortie définis préalablement en commun, afin de reprendre les derniers territoires occupés par Daech.

Proposition n° 34 : Engager une initiative forte auprès du gouvernement turc et de la coalition internationale pour sécuriser la frontière turco-syrienne afin
d’arrêter le flux des combattants francophones qui transitent par la région de Manbij.

Proposition n° 35 : Inciter les États membres de l’Union européenne à accroître leur participation à Europol. 

Proposition n° 36 : Organiser l’accès total d’Europol au système d’information Schengen (SIS 2) en consultation, recherche et signalement.

Proposition n° 37 : Donner à l’agence Frontex un accès complet au SIS 2.

Proposition n° 38 : Multiplier le nombre des agents d’Europol en Grèce pour appuyer l’action conduite par Frontex, dans chaque hotspot, dans le domaine de la gestion des flux migratoires.

Proposition n° 39 : Prévoir, dans le SIS 2, une mention spécifique de la menace terroriste potentielle de la personne signalée, soit dans le corps même du
signalement (article 36 de la Décision cadre), soit dans les catégories de données attachées à la personne (article 20 de la Décision cadre).

Proposition n° 40 : Créer, au sein d’Europol, une cellule de veille 24/7 chargée de prendre en compte les hits détectés dans l’ensemble des États membres en lieu et place des bureaux SIRENE. 
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