Affaire Cécillon. "Chantal, récit d'un féminicide" : un livre pour redonner une place à la victime, 19 ans après

Une nuit d'août 2004, Marc Cécillon, l'ancien rugbyman de Bourgoin et du XV de France, tuait sa femme de trois balles. Il fut condamné puis libéré en 2011. Lors de ses deux procès, la figure de l'ancien international a laissé peu de place à celle de la victime. Ludovic Ninet consacre un livre à Chantal, 19 ans plus tard, pour lui rendre une justice médiatique.

Pourquoi revenir, 19 ans après les faits, sur la mort de Chantal ? Pourquoi revenir sur ce crime commis par son mari, Marc Cécillon, dans la nuit du 7 au 8 août 2004 à Saint-Savin, en Isère ? L'ancien rugbyman du CS Bourgoin-Jallieu a été condamné à 20 ans de prison en première instance, une peine ramenée à 14 ans en appel. Il a été libéré en 2011.

La justice a rendu son verdict. Le coupable a été puni. Tout a été dit, lors des deux procès, sur les circonstances de ce meurtre. Tout ? Non.

Pour Ludovic Ninet, l'histoire n'a pas retenu l'essentiel, elle n'a pas laissé de place à la victime, mais a projeté toute la lumière sur son bourreau, star du rugby hexagonal, sélectionné 46 fois en équipe de France. Marc Cécillon, légende locale et ancien capitaine du XV de France.

"Il y avait une injustice concernant la mort de Chantal et puis une injustice aussi de son effacement du récit en quelque sorte", nous confie-t-il. Il le sent, d'abord, en se replongeant dans les articles de presse de l'époque, dans les minutes des procès, dans les nombreux coups de fils qu'il passe pour en savoir plus sur l'affaire. Ses interlocuteurs sont peu loquaces, ils semblent vouloir oublier le drame.

"Amender un récit tronqué"

Il est frappé aussi, par la découverte de la tombe de la victime, sur lequel ne figure que son prénom.

Chantal. Qui était-elle ? L'ancien journaliste sportif rencontre ses proches, notamment Céline, l'une de ses filles, mais aussi sa mère et l'une de ses amies d'enfance. C'est ainsi que naît "L'affaire Cécillon : Chantal, récit d'un féminicide", paru aux Presses de la Cité. 

"Leurs paroles ont empli un espace où, insidieusement, le silence avait été imposé", écrit-il dans les premières pages. "Leurs paroles ont nourri ce texte qui vient amender le récit tronqué, devenu la principale version de la mort de Chantal". Il apporte, selon lui, "les moyens de se faire une idée, disons, plus juste de l'histoire d'une famille et des racines d'un crime misogyne"

Ludovic Ninet parle de "crime misogyne", de "crime d'orgueil" et de féminicide. Des mots que personne n'employait en 2004, ni même en 2008. Eric Dupond-Moretti, l'avocat de Marc Cécillon lors de son procès en appel devant la cour d'assises du Gard, dira dans sa plaidoirie, que le rugbyman bénéficie de "circonstances atténuantes", estimant que ce n'est pas "un crime crapuleux", mais "un crime passionnel". Une expression qui fait bondir le lecteur de 2023. 

A l'époque, la thèse du "crime passionnel"

"Je n'ai pas eu le projet d'écrire un livre sur cette histoire pour décrire un féminicide. C'est venu au fur et à mesure de mon travail. Mon intuition, cette vibration m'ont fait me pencher là-dessus et en arriver à la conclusion que c'était un féminicide qui prenait ses racines, bien au-delà des quelques mois qui précèdent le drame, et que tout cela n'avait pas été raconté", explique l'auteur.

Ludovic Ninet montre comment le meurtre de Chantal est devenu, au fil des audiences et au fil du temps, "la tragédie de son assassin", "le dégât collatéral d'une vie de pulsions non contenues", "un acte dans l'existence de celui qui a donné" la mort. 

Le livre permet à Céline, la cadette du couple Cécillon, "d'honorer la mémoire de sa mère", cette femme décrite par l'entourage du couple comme "parfaite", parce qu'elle supportait les affronts de son mari violent, alcoolique et infidèle.

Chantal, une femme "lumineuse"

Chantal, ce petit bout de femme "pleine de vie, tirée à quatre épingles" tenait un magasin de prêt-à-porter dans le centre-ville de Bourgoin. Ses amies et sa famille parlent d'elle comme d'une "lumière". Elle "pétille. C'est un boute-en-train. Elle est tout le temps joyeuse, positive". Sous la plume de Ludovic Ninet, Céline confirme : "Même si lui faisait des conneries, elle était toujours droite, elle ne s'effondrait pas". 

Cette femme "gracieuse", "attirante", dont l'absence est "immense, criante" au procès devant la cour d'assises de l'Isère, et que tous semblent avoir oubliée. "On accorde trop d'attention à la mauvaise personne, dans ce tribunal", dira Céline. Le monde du rugby s'est déplacé et "fait corps autour de son Marco, avec sa famille à lui, la famille Cécillon, et organise le silence", écrit l'auteur.

Céline face au clan Cécillon à l'audience, "accusée autant que l'accusé"

Le récit de ce féminicide est aussi celui de la violence verbale et incidieuse, subie par les enfants du couple. Au fil des pages, se dessine en creux le portrait de Céline, marquée au fer rouge par les amis et les proches de son père lors des audiences où elle se sent "tout autant accusée que l'accusé". Elle ne veut pas pardonner ce père qui lui a arraché sa mère. Les regards réprobateurs après son témoignage à la barre semblent dire : "Tu lui en as mis un sacré coup à ton père".

"C'est vraiment ce qui m'a marqué dans nos échanges", relate Ludovic Ninet "d'autant que dans la presse on a présenté les parties civiles comme des familles unies alors que c'est bien plus complexe que cela. C'est vrai qu'elle a toujours eu des positions extrêmement droites et dures à l'égard de son père, ce qui se comprend assez facilement. Quand elle a commencé à me parler de tout cela, je me suis dit que c'était incroyable qu'on n'en ait pas mieux rendu compte à l'époque. Cela a accentué le sentiment d'une injustice". 

Les journalistes sportifs, "soldats de l'illusion" ?

Ancien journaliste pigiste à l'Equipe, passionné de sport, Ludovic Ninet fait aussi dans ce livre son autocritique et celle de la presse sportive. Il s'y décrit comme un "petit soldat de l'illusion".

"Je pense que lorsque l'on a un être qui est brillant dans une discipline sportive, on va peut-être avoir tendance à le glorifier un peu pour le rendre accessible ou intéressant et il y a des choses qu'on ne dira pas. Et dans ce cas-là, pourquoi est-ce qu'on ne les dit pas, et pourquoi est-ce qu'on dirait les autres ? Je n'ai pas vraiment de réponse. Il faudrait beaucoup de mesure, probablement plus que ce que l'on a, et encore je fais une généralité, car chaque journaliste a son curseur", estime-t-il. "Dans le cas de Marc Cécillon, il y avait quand même beaucoup de choses qui étaient dites sous cape", poursuit-il. "Cela revient aussi à poser la question de l'idolâtrie, de pourquoi on adule des gens", dit-il.

"Lui, ça doit aller, en revanche, ma mère, elle est six pieds sous terre"

Céline

fille de Chantal et Marc Cécillon

Depuis sa libération en 2011, Marc Cécillon a poursuivi ses filles en justice pour avoir mal géré le patrimoine familial pendant son incarcération. Lors d'une audience de conciliation en 2014, il leur a dit : "J'ai purgé ma peine. Je n'ai rien à me reprocher".

Difficile à entendre pour celles qui ont perdu leur mère. Ludovic Ninet raconte comment Céline a vécu cette "indécence", comment elle gère, aussi, au quotidien tous ceux qui lui demandent des nouvelles de son père. "Lui, ça doit aller, en revanche, ma mère, elle est six pieds sous terre", finit-elle par répondre pour couper court. 

Le livre de Ludovic Ninet tente, en 184 pages, de rééquilibrer la balance de la justice médiatique pour que cette histoire ne soit plus seulement celle de la descente aux enfers de Marc Cécillon, mais avant tout, celle de Chantal, victime d'un féminicide à l'âge de 44 ans. 

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