"Ça n'est même pas le combat de David contre Goliath" : en Isère, une pâte à tartiner aux noix tente de résister au géant Nutella

Sur un juteux marché de la pâte à tartiner en plein boom depuis la pandémie, Nutella, une "antique" marque d'au-delà des Alpes, régnait sans partage depuis la nuit des temps. Mais dans les provinces de l'empire, la concurrence fait rage désormais. A l'image de Noixtélix, une pâte du Dauphiné, que les aléas de la guerre commerciale ont transformé en irréductible "dauphi-noix".

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"Face à un géant comme le groupe Ferrero, (producteur du célèbre "Nutella") ça n'est même pas le combat de David contre Goliath... mais plutôt celui de l'ombre de David contre Goliath".

Même pour parler du lancement passablement compliqué de sa pâte à tartiner, Nicolas Idelan, producteur de noix à Saint-Romans, en Isère, ne laisse pas son humour au vestiaire. Il faut dire que les habits de gaulois irréductible qu'il a choisi d'endosser après ses mésaventures avec le géant mondial de la spécialité (460 000 tonnes de Nutella vendues dans 160 pays en 2021) lui ont donné, une fois de plus, une belle occasion de rebondir.

Une pâte sortie d'une catastrophe climatique

"En 2008, j'ai pris la grêle et j'ai perdu 96 % de ma récolte en seulement 4 minutes. C'est à ce moment-là, que j'ai pensé à faire des produits dérivés pour améliorer mes marges bénéficiaires", explique encore Nicolas. 

La quasi-totalité des coquilles de ses 70 tonnes de noix étant alors marquées : impossible de les commercialiser comme "noix de Grenoble". D'où l'idée de fabriquer avec ses cerneaux intacts, de l'huile, des noix pralinées, de la moutarde aux noix... Puis en 2017 : une pâte à tartiner nommée "Noixtella".

"Le nom était inscrit sur les pots en noir et rouge, avec quatre lettres en rouge et le reste en noir... Ça reprenait les codes de l'autre marque mais c'était suffisamment différent pour que le consommateur ne se trompe pas", explique doctement le nuciculteur isérois. 

Pas assez convaincant pour les avocats luxembourgeois du groupe Ferrero. Quatorze mois après son début de commercialisation dans plusieurs magasins de producteurs de la région grenobloise, Nicolas se voyait contraint de se plier aux injonctions de la lettre recommandée de la multinationale italienne. Dix jours pour retirer les pots des étales, et abandon du nom "Noixtella", trop proche de celui de la reine des marques des pâtes à tartiner aux noisettes.

"Dans la lettre, les avocats faisaient état d'un jugement de la cour européenne de justice. Il condamnait une chaîne de supermarché belge, qui avait copié le nom de Nutella pour commercialiser sa propre pâte aux noisettes. Car ils sont propriétaires du "N" de début..., et du "ella" final... Et je ne suis pas assez "perché" pour croire que là où un grand distributeur a échoué, un paysan comme moi peut s'opposer à une multinationale comme Ferrero."

Ils voulaient que j'enlève aussi les couleurs noire et rouge du nom. Mais là, je leur ai dit, qu'en France, ces couleurs-là : c'était soit Stendhal, soit Jeanne Mas, mais pas Ferrero.

Nicolas Idelon, producteur de pâte à tartiner.

Grâce à son humour gaulois, Nicolas a donc pu garder les couleurs du nom d'origine de sa pâte à tartiner. Et pour transformer plus complètement encore sa mue en irréductible gaulois, il a choisi un nouveau nom "astérixien" à sa production et flanqué ses pots d'un "fabriqué en Gaule", sous-entendant ostensiblement sa résistance à l'invasion "romaine".

Une pâte copiée et recopiée

La mésaventure de Noixtélix n'a rien d'étonnant vu d'Italie : "On ne compte plus les artisans ou les grandes industries qui, depuis que le Nutella existe, se sont lancées dans son sillage", explique Gigi Padovani, auteur d'un livre traduit en français : "Nutella 40 ans de plaisir" et de "Passion Nutella", co-écrit avec son épouse, Clara Vada Padovani. "Ici dans le Piémont, on a les grands groupes chocolatiers Novi, ou Caffarel. Il y a même Barilla qui s'y est mis. En fait, dans toutes les régions où il y a des noisetiers, comme le Lazio (Rome), la Campanie (Naples), ou le Piémont, même des agriculteurs se mettent à en produire".

Un mouvement arrivé plus tard, mais qui se confirme en France. Depuis le confinement de 2020, les marques telles que Milka, Bonne Maman, ou Nestlé derrière lesquelles se cachent d'autres géants de l'agro-alimentaire, ont lancé leur propre pâte à tartiner. Conséquence : "Nutella", dans son bastion français, détenait encore 85 % du marché il y a 10 ans, contre 65 % en 2021. 

"Ferrero n'a fait que défendre sa marque, comme le groupe le fait contre n'importe quel producteur : grand ou petit", explique encore Gigi Padovani, l'un des rares spécialistes italiens ayant réussi à écrire sur l'empire Ferrero/Nutella. Reste à savoir si, à présent qu'il s'appelle Noixtélix, ce ne sont pas les héritiers de Gosciny et Uderzo, qui ne vont pas lui chercher querelle", conclut-il dans un sourire.

Rien de la sorte encore, pour l'heure. Dans sa ferme du Vercors, après un creux des ventes après le changement de nom, la croissance est plus que jamais de retour pour sa production de Noixtélix : 22 000 pots vendus l'an dernier, soit le best-seller de ses produits dérivés, vendus sur l'agglomération grenobloise et sur Chambéry désormais. "C'est une vraie révolution que l'on vit dans ce secteur de l'agro-alimentaire", conclut l'iséro-gaulois. Et il y a tout lieu de le croire quand les dernières statistiques du secteur disent que chaque famille française achète désormais en moyenne cinq pots de pâte à tartiner chaque année.

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