"Ces hommes ont flingué leur jeunesse" : Malleval, le "premier Oradour de France" selon l'abbé Pierre, commémore son massacre par les nazis

Le 29 janvier 1944, l'armée allemande cernait le maquis de Malleval-en-Vercors avant de massacrer 42 résistants et civils. La commune commémorait, ce lundi, les 80 ans de la tuerie qualifiée par l'abbé Pierre de "premier Oradour de France".

Des militaires, des écoliers et des descendants de résistants. Ils sont venus rendre hommage, lundi 29 janvier, à celles et ceux, qui 80 ans plus tôt, ont perdu la vie lors du massacre de Malleval-en-Vercors, en Isère. Une tuerie qui a marqué tout le plateau et au-delà, qualifiée par l'abbé Pierre de "premier Oradour de France".

"Il faut rendre hommage à ces gens qui ont payé. C'était dur. Quand j'étais gamin, j'ai vu mon père se réveiller la nuit en hurlant. Cela vous marque. (...) Il avait 22 ans. Ces hommes ont flingué leur jeunesse", témoigne Jean-François Bulle, le fils de Paul Bulle, survivant du maquis de Malleval.

Le petit village du Vercors compte quelques maisons et un clocher qui se dressent au bout d'une route suspendue. Cerné par d'imposantes falaises, il regroupe une centaine de maquisards à la fin de l'année 1943. Certains y ont été accueillis par l'abbé Pierre, alors vicaire de la cathédrale de Grenoble, qui s'est engagé dans la résistance, notamment pour prendre en charge les réfractaires au service du travail obligatoire (STO) instauré en Allemagne.

Un combat inégal

D'abord établis en Chartreuse puis sur le plateau de Sornin, les camps de résistants émigrent dans la cuvette de Malleval, jugée plus sûre. L'abbé Pierre assure le ravitaillement et l'entraînement des maquis, aidé notamment de Lucie Coutaz, sa principale collaboratrice. Mais le maquis, terre libre avant l'heure, paye très cher son héroïsme.

Le 29 janvier 1944, au petit matin, 1 800 soldats allemands s’élancent à l’assaut du village pour anéantir les deux camps installés dans le cirque de Malleval. Beaucoup de résistants sont absents, notamment ceux qui travaillent en plaine, chez les paysans.

Il reste néanmoins 106 personnes dont une cinquantaine de jeunes maquisards. Le village est cerné par le bas, à partir de Cognin-les-Gorges, et par le haut, à partir des falaises et des pas surplombant le cirque. Le combat est inégal. Les résistants sont battus et les blessés achevés sur place. Le village est incendié, la mairie et l’église dynamitées.

"Les forces militaires que les nazis ont fait monter sur les cimes qui dominaient le cirque de Malleval étaient considérables. Ils sont arrivés des deux côtés avec des centaines d'hommes parfaitement équipés", se rappelait Henri Grouès, plus connu sous le nom de l'abbé Pierre, dans le documentaire Vercors 44, le rêve des hommes jeunes (2004).

"Quand l'aube s'est levée, le village brûlait"

Vingt-huit résistants et 14 civils trouvent la mort, abattus sur place, brûlés dans leur maison ou plus tard, en déportation. L'abbé Pierre, alors en convalescence, est absent le jour des combats. Trois maquisards, hébergés par des agriculteurs dans la vallée, échappent eux aussi au drame. Parmi eux, Jean Luyat, dit "Bob", a perdu un ami dans la tuerie. Il a fait de la tragédie un poème : "L'agneau de Malleval".

"Pendant deux jours et deux nuits, les gars de Malleval ont subi les assauts de la horde. Malgré le courage que la colère donne, ils n'ont pu contenir ce déluge infernal. Quand l'aube s'est levée, le village brûlait. Tombé devant son poste, Jacques la sentinelle gisait là, bras en croix, fusil à la bretelle. Tout près de lui, perdue, une brebis bêlait", récite-t-il, de mémoire, dans le documentaire de Patrice Morel.

Quand les Allemands repartent, ils laissent 42 cadavres dont des femmes et des enfants. Huit personnes sont déportées. Cinq n’en reviennent pas. Cette tuerie préfigure l'attaque générale du massif du Vercors par les forces allemandes quelques mois plus tard, à l'été 1944.

"Il ne faut pas qu'on oublie"

L’abbé Pierre inaugure, en 1947, le "Gisant", un monument de pierre réalisé à la mémoire des martyrs de Malleval. "À Monsieur Chauvet, qui a su dans la pierre fixer le cri et l’offrande de ceux qui à Malleval soutinrent les premiers combats de l’année libératrice, écrit le fondateur d'Emmaüs dans une note adressée au sculpteur. Avec l’affectueux merci du fondateur de ce premier maquis magnifique et tragique."

Pour les 80 ans du massacre, une salle de mémoire a été inaugurée le 29 janvier. À l'origine de ce lieu de mémoire, une médaille militaire et des clichés retrouvés par le maire de Malleval alors qu'il classait les archives de la commune. "Je suis tombé sur une feuille avec huit photos clandestines prises le 2 février 1944", retrace l'édile, Christophe Durand.

"Elles sont inédites, tout simplement. Elles sont dures. On voit des corps allongés dans l'église, une église qui est chargée d'histoire. Mais une salle de mémoire porte bien son nom, il ne faut pas qu'on oublie", ajoute-t-il, béret des chasseurs alpins sur la tête.

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Malleval-en-Vercors commémore les 80 ans du massacre perpétré par les nazis ©France Télévisions

Cette salle de mémoire est accessible à tous pour honorer la mémoire des disparus et le combat des résistants. À ce jour, plus personne n'est là pour témoigner. Tous les survivants du massacre du 29 janvier 1944 se sont éteints.

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