Les visages de Malik Boutvillain et de Nicolas Suppo ont été affichés sur la façade de l'hôtel de ville d'Echirolles, près de Grenoble, alors que la justice s'apprête à décider si elle classe ces deux affaires de disparitions ou si elle ordonne une reprise à zéro des enquêtes.

Silhouette longiligne, cheveux grisonnants, elle s'est avancée devant le micro, sur le parvis de l'hôtel de Ville d'Échirolles, émue et chancelante, les yeux rouges d'avoir trop pleuré. Badra, la mère de Malik Boutvillain, fête ce samedi 6 mai, le triste anniversaire de la disparition de son fils. 13 ans sans nouvelles, treize ans sans avancée dans l'enquête, treize ans à vivre "entre espoir et désespoir", a-t-elle dit dans un discours poignant.

"J'ai mal, j'ai trop trop mal de ne pas savoir, peut-être que je mourrai et je ne saurai jamais, et ça, ça me hante, ça m'obsède", a déclaré cette mère dont "la douleur est terrible". "La disparition d'un enfant, c'est comme un cancer qui vous ronge à l'intérieur. Ça ronge, ça ronge, ça ronge, matin, midi et soir. Je n'en peux plus, je suis à bout. Aidez-nous", a-t-elle lancé aux 80 personnes réunies ce vendredi matin.

Toutes s'étaient rassemblées pour soutenir les familles de Malik Boutvillain, mais aussi de Nicolas Suppo. Les deux Echirollois sont portés disparus respectivement depuis 11 et 13 ans. Une banderole à leur effigie a été déployée ce vendredi sur la façade de l'hôtel de ville. Sous leurs visages est inscrit un message : "Le combat continue pour leurs familles. Soutenons-les !"

Devant le micro, les proches des deux hommes se succèdent. Jeanine Garnaud est elle aussi très émue, et tient Badra Boutvillain par le bras.

"Depuis bientôt 13 ans que Nicolas a disparu, la justice ne nous a pas écoutés. La justice est restée inerte et on est en colère aujourd'hui, contre cette inertie, contre quelque chose que je ne sais pas qualifier, mais qui est insupportable. C'est une souffrance insupportable", déclare la mère de Nicolas Suppo. "Imaginez ce que cela veut dire une disparition. Imaginez que, du jour au lendemain, vous ne savez pas où est votre fils, vous ne savez pas s'il a été assassiné, s'il s'est suicidé, s'il a été enlevé. Toutes ces hypothèses sont toujours là et on a aucune réponse".

"On a l'impression d'être face à un mur. Vers qui nous tourner si la justice ne nous aide pas ? Aidez-nous à garder le dossier de Malik ouvert, celui de Nicolas aussi parce que nous sommes des mamans, des parents", renchérit Badra Boutvillain. 

Un cri du cœur et coup de pression

Un cri du cœur, autant qu'un coup de pression sur la justice. Car dans quelques jours, une nouvelle épreuve attend les familles. Elles seront auditionnées par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble pour décider de la suite à donner à ces dossiers. Il y a quelques mois, Dalila Boutvillain s'inquiétait du risque de voir l'affaire classée. 

"On est meurtris par toute cette histoire et on espérait vraiment avoir de l'aide de la justice et des enquêteurs, mais on se rend compte que onze ans après rien n'est fait. Il faut vraiment faire changer la loi pour qu'il n'y ait plus de non-lieu sur les dossiers de disparitions inquiétantes et les meurtres non résolus", dit-elle devant l'assistance. 

"On a l'impression que ces dossiers, ce sont des poids pour les magistrats"

Les deux familles sont conseillées par Me Bernard Boulloud, spécialiste des affaires de cold cases"Il ne faut pas enterrer ces dossiers", dit-il. L'avocat a demandé dans chaque affaire le déssaisissement des deux magistrats, la nomination de nouveaux juges d'instruction et la transmission des dossiers d'enquête au groupe cold case de la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble.

"Un cold case, ça commence toujours par une enquête qui est mal ficelée, par des enquêteurs qui ne sont pas forcément impliqués, par des magistrats qui ne le sont pas davantage", estime Me Boulloud qui regrette le manque de considération dont font preuve les magistrats envers ces deux familles de disparus.

"Le temps passe, les années passent. Quand elles demandent des auditions, on leur dit toujours non, que ça viendra plus tard ou qu'elles ne sont pas utiles. Alors que c'est un droit d'être reçues tous les quatre ou six mois, selon les cas. Quand on fait des demandes d'actes, on nous dit que ce n'est pas utile. On a l'impression que ces dossiers, ce sont des poids pour les magistrats et qu'elles veulent se débarrasser de ce poids pour traiter d'autres dossiers peut-être plus intéressants. Alors que ces dossiers peuvent s'avérer être des crimes", dit-il. 

Le 10 mai, la chambre de l'instruction va donc entendre les familles et leur avocat avant de trancher. Elle peut soit décider d'un non-lieu, soit accéder aux demandes des familles et relancer les affaires en les confiant à de nouveaux magistrats et enquêteurs. 

"Je crois encore un peu en la justice"

"En ne lâchant jamais prise, on a réussi à faire avancer des enquêtes", poursuit Bernard Boulloud qui a accompagné les proches d'Eric Foray ou de Marie-Thérèse Bonfanti, deux cold cases qui ont connu récemment des avancées significatives. Le meurtrier présumé de Marie-Thérèse Bonfanti a notamment été arrêté.

"Avec les nouvelles techniques, avec l'ADN, on fait avancer les dossiers. La plupart du temps, ça marche", estime-t-il, "avec des interrogatoires poussés qu'on fait avec des analystes comportementaux". "Il faut tout reprendre à zéro mais il faut se donner les moyens de le faire et il faut avoir la volonté de le faire", martèle-t-il. 

"Si, dans quelques années, un chasseur ou un ramasseur de champignons découvre un crâne comme cela arrive, il n'y aura rien derrière, il n'y aura pas de poursuites et pour moi ce n'est pas possible", insiste Dalila Boutvillain. 

Les familles devraient être fixées à la mi-mai, quant à la décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble. Jeanine Garnaud est optimiste, malgré tout : "Je crois encore un peu à la justice, j'ai encore espoir que les choses vont bouger, c'est ce qui m'aide à vivre." 

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