C'est un groupe unique en France, créé au sein de la section de recherche de la gendarmerie de Grenoble. Il a permis, récemment, d'interpeller le meurtrier présumé de Marie-Thérèse Bonfanti ou d'élucider l'affaire Marinescu. Rencontre avec les enquêteurs du groupe cold cases.
Ils sont trois "à plonger dans le passé" à longueur de journées : trois enquêteurs et enquêtrices devenus spécialistes des affaires non résolues. A Grenoble, ils décortiquent des dossiers vieux de plus de vingt, trente ou quarante ans. Ils épluchent des procès-verbaux tapés à la machine, mettent le nez dans des scellés emprisonnés dans leurs enveloppes de plastique depuis des décennies.
Ils lisent, relisent, analysent.
Ils passent au crible des milliers de pages de procédure rédigées par d'autres, pour y trouver un indice, un détail, l'information manquante qui pourrait tout changer.
"On voit ça d'abord comme un challenge", explique l'adjudant-chef Olivier D., responsable du groupe cold cases au sein de la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble. "Tous nos prédécesseurs n'ont pas pu apporter de réponses pour différentes raisons : parce que la science n'était pas assez évoluée, par manque de temps, parce que les délais d'enquête à l'époque étaient beaucoup plus courts que maintenant, etc. Donc, on prend les choses comme un challenge, tout en sachant qu'il y a un faible taux de réussite, parce que, parfois, on part de rien du tout".
Sur la table aujourd'hui, un nouveau carton. Il recèle un cold case, un quatorzième dossier à étudier pour le groupe. Enquêter sur une affaire vieille de plusieurs dizaines années, c'est d'abord faire preuve de méthode.
"S'imprégner de la procédure"
"On réceptionne toute la procédure et on progresse pièce par pièce", poursuit l'adjudant-chef Olivier D. "On s'astreint à lire les pièces les unes après les autres, à les résumer de manière à pouvoir y revenir au besoin pour voir si les enquêteurs initiaux ont fait telle ou telle chose".
Quelques heures plus tard, une enquêtrice relève un détail : un nom apparaît dans plusieurs pièces. Mais cette personne n'a jamais été entendue par les enquêteurs.
"On va 'environner' cet individu pour voir quel lien il avait avec la personne qui nous intéresse et on ira le voir assez rapidement. On fait les réquisitions d'usage pour en savoir un peu plus sur cette personne et dès qu'on peut, on va programmer une audition", indique le gendarme.
Pour les enquêteurs, "c'est un plongeon dans le passé". "On va essayer de savoir en fonction de la période, ce qui était en vogue à l'époque. On sait que, dans la majorité des cas, on n'avait pas d'autre moyen de communication que le téléphone filaire. Internet n'existait pas, dans certains dossiers on en est aux prémices du minitel, donc on voit comment les gens communiquaient, comment ils se véhiculaient".
Un travail de fourmi qui ne débouche pas toujours sur une avancée, mais les enquêteurs ne lâchent rien, procèdent de nouveau à des centaines d'auditions.
Etre prudent mais offensif
"Les auditions que l'on peut refaire nous, même 35 ans après, on pourrait se dire que cela ne sert à rien, que la mémoire a pu s'effacer, se tronquer. En fait, pas du tout. Il nous arrive de réentendre des gens qui, par le passé, ont pu faire des récits très laconiques. Quand on les réentend de manière plus appuyée, cela nous arrive d'obtenir des renseignements qu'on ignorait, des éléments nouveaux qui ne nous permettent pas forcément d'identifier l'auteur mais des éléments de contexte que les gens ont oublié ou qu'ils n'avaient pas osé dire à l'époque. C'est quelque chose très important et c'est très souvent ce que cela arrive", indique l'adjudant-chef.
Ces marathoniens de l'enquête insistent sur l'humilité dont ils doivent faire preuve face à un dossier, mais aussi sur la pugnacité à déployer.
"Il faut être persévérant, résilient. Il faut être prudent tout en étant très offensif, faire beaucoup de recherches. Des fois on a de la chance et, des fois, on n'a rien du tout", dit encore le responsable du groupe cold cases.
Co-crim, Anacrim : des outils pour relancer l'enquête
Pour les aider à faire la lumière sur ces vieux dossiers, les gendarmes utilisent différents outils, comme le logiciel Anacrim.
"Un cerveau humain, même si on relit dix fois une procédure, on peut passer à côté d'une information. L'analyse criminelle va permettre de voir tous ces petits manques ou ces contradictions, c'est pour être sûr de ne rien laisser de côté", ajoute le capitaine Laurent M., commandant de la division des atteintes aux personnes au sein de la SR de la gendarmerie de Grenoble.
Les gendarmes font également appel à une pléiade d'experts pour les seconder sur certains aspects de l'enquête, à l'instar "d'anthropologues, de médecins légistes, d'experts pour retrouver des ossements", ou encore "de spécialiste en eaux et forêts pour dater des arbres et retrouver ceux qui étaient présents au moment des faits", poursuit le capitaine Laurent M.
La science est elle aussi une alliée. Elle est incarnée par le co-crim, le "coordinateur criminalistique". Ce spécialiste "reprend tout ce qui a été fait par la police technique et scientifique. Il va voir, si, avec les moyens qu'on a, on peut refaire des analyses. Par exemple, une analyse ADN qui a été faite en 1999, 2000, si on la refait maintenant, on peut avoir des résultats beaucoup plus pertinents. Dans ces années-là, il fallait énormément de matière pour faire ressortir un profil, alors que maintenant on est pratiquement au niveau de la cellule", développe le capitaine.
Et si l'étau se resserre autour d'un individu, les gendarmes s'adjoignent les services de psycho-criminologues pour préparer leur "stratégie d'audition" lors des 48 heures de garde-à-vue du suspect.
Une cellule temporaire devenue groupe permanent
Leur unité a été créée en 2021 mais son histoire est plus ancienne. La section de recherches de Grenoble avait été saisie de plusieurs affaires anciennes ou d'homicides, qui avait donné lieu entre 2008 et 2010 à la création d'une première cellule temporaire baptisée "Mineurs 38", pour enquêter sur les dossiers des disparus de l'Isère. Ces affaires non élucidées font d'ailleurs toujours partie de leurs enquêtes en cours.
La cellule a ensuite été reconduite sous un autre format en 2020. Avec la création en parallèle au niveau national d'un pôle dédié aux cold cases à Nanterre, à l'initiative du procureur général Jacques Dallest, "on avait un terreau propice ici à la création d'un groupe cold case au sein de la SR", explique le colonel Marc Brini, commandant de la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble.
Ce travail d'équipe porte parfois ses fruits, aboutissant à l'interpellation du meurtrier présumé de Marie-Thérèse Bonfanti ou à la résolution de l'affaire Marinescu, plus de trente ans après les faits. Ils sont saisis lorsque les disparitions ou les homicides se sont produits en Isère, dans la Drôme ou en Ardèche.
"On a des enquêteurs qui ont acquis une méthode de travail, un processus particulier qui permet d'être plus efficace, et des enquêteurs très investis dont l'objectif premier est d'apporter des réponses aux familles des victimes et bien sûr aussi d'identifier des auteurs qui sont potentiellement toujours en vie et qui peuvent avoir à répondre de leurs actes devant la justice", conclut le colonel Marc Brini.
Le reportage consacré au groupe cold cases de la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble est à retrouver ce mercredi 12 avril dans "Enquêtes de régions", sur les antennes de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes à 22h55, et dès ce jeudi 13 avril en replay sur la plateforme france.tv.