Alors que la famille réclame un changement de juge d'instruction dans l'affaire de la disparition de Malik Boutvillain, le procureur de la République de Grenoble a envoyé son réquisitoire aux fins de non-lieu au magistrat, laissant augurer d'un classement du dossier. Dalila Boutvillain veut faire pression pour que le cold case reste ouvert.
"Ce que je ressens, c'est de l'écœurement, du dégoût". Une nouvelle fois, Dalila Boutvillain mobilise les médias pour faire entendre la voix de sa famille. Son frère Malik Boutvillain est porté disparu depuis mai 2012 à Echirolles, dans l'agglomération grenobloise. Le trentenaire est parti un dimanche matin faire son footing, sans son téléphone et son portefeuille, et n'est jamais revenu, alors qu'il devait déjeuner avec sa mère.
Cette semaine, de nouveaux rebondissements judiciaires rendent un peu plus concrète la menace de non-lieu qui plane comme une épée de Damoclès au-dessus du dossier.
Après des mois sans avancée dans l'enquête, le procureur de la République a adressé ce mardi au juge d'instruction son réquisitoire aux fins de non-lieu.
Des recommandations d'enquête non suivies
Or, pour Dalila Boutvillain, "il faut d'abord enquêter, instruire jusqu'au bout. Après, s'il n'y a rien, il y aura un non-lieu. Mais là ce n'est pas possible, il y a des éléments. Pourquoi est-ce qu'ils veulent à ce point-là se débarrasser du dossier de Malik ? Je ne comprends pas", s'insurge-t-elle.
La famille de Malik Boutvillain attend depuis plus d'un an et demi que le rapport des policiers de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) soit suivi d'effet. La précédente juge d'instruction les avait mandatés pour analyser le dossier.
En 2021, ils ont ainsi émis une trentaine de recommandations sur la poursuite de l'enquête : points à approfondir, personnes à interroger, etc.
Cependant, aucune demande d'actes ou de commissions rogatoires n'a été instruite depuis la rédaction de ce rapport, d'après l'avocat de la famille.
"L'inertie" du juge d'instruction dénoncé
Me Bernard Boulloud, venait justement de saisir la chambre de l'instruction du tribunal de Grenoble, en début de semaine, pour dénoncer "l'inertie du juge d'instruction" dans cette affaire. Il souhaitait voir le dossier transféré à un autre juge et les investigations menées non plus par la police mais par la section de recherche de la gendarmerie.
Les réquisitions du procureur aux fins de non-lieu ont été rédigées et notifiées le lendemain de la saisie de la chambre de l'instruction, soit ce mardi 24 janvier. Difficile pour l'avocat d'y voir une coïncidence.
"La famille que je représente est extrêmement choquée de la manière dont leur affaire est traitée depuis le début. On a la police qui nous dit 'voilà, on a fait un travail approfondi sur ce qu'il faudrait revoir et le juge ne fait rien'. Depuis le début, c'est un loupé. Il y a eu des dysfonctionnements dès le départ avec des indices qui ont disparu et aujourd'hui la justice nous dit : 'comme on n'arrive pas à trouver, on classe'".
Depuis une décennie, les proches de Malik Boutvillain ont le sentiment de vivre des montagnes russes émotionnelles dans le suivi de l'affaire par la justice. D'abord classé sans suite, le dossier a été rouvert en 2018 à l'aune de l'affaire Lelandais. La disparition de Malik a fait partie des dossiers étudiés par la cellule Ariane de la gendarmerie pour voir si le trentenaire avait pu croiser la route du meurtrier d'Arthur Noyer et de la petite Maëlys. Une piste finalement écartée.
"Un enterrement en grande pompe d'un cold case"
Me Boulloud interpelle la presse : "vous vivez, avec nous, l'enterrement en grande pompe d'un dossier cold case. Pourquoi rajouter de la douleur à la douleur ?"
"C'est hallucinant, je ne comprends pas. Ce n'est pas possible", peste Dalila Boutvillain.
"Comme je leur ai dit : 'si le dossier il prend trop de place sur l'étagère, je le garde chez moi au pire, si ça sert juste à prendre la poussière'. Mais, au moins qu'ils le mettent dans un coin au tribunal et qu'il reste ouvert. Ces dossiers là ne devraient jamais être fermés parce que ça pose des problèmes de prescription et nous les familles, on ne s'en sort pas. On est toujours dans l'attente et finalement il n'y a pas de justice pour nous et pour nos disparus, il n'y a rien".
Les découvertes dans l'affaire Bonfanti et dans celle d'Eric Foray sont autant de preuves pour Dalila Boutvillain que le dossier doit rester ouvert.
"On rajoute de la douleur à la douleur"
"Il faut comme sur l'affaire Bonfanti, des profileurs, je ne sais pas...mais il faut chercher. Il y a des éléments. L'OCRVP a fait un très très bon travail et malgré tout cela on veut classer en non-lieu. Mais il faut croire que les disparitions ça ne leur rapporte rien, ce n'est pas attractif. Cela leur coûte plus que ce que cela ne rapporte", dit-elle, en colère.
L'avocat de la famille a fait parvenir à la justice ce jeudi un mémoire dans lequel il conteste les réquisitions du procureur. Il dénonce également le manque d'échanges avec les juges d'instruction qui n'ont consenti à recevoir les Boutvillain qu'à deux reprises depuis 2018.
"C'est incompréhensible. Qu'est-ce que ça coûte de recevoir la famille pour expliquer et dire pourquoi elle n'est pas favorable à nos demandes ? La famille, elle comprend, si elle nous donne des raisons valables. Mais là, on ne nous entend pas. Cette justice-là, elle est sourde. Elle ne veut pas nous entendre", regrette le conseil.
La juge d'instruction a, elle, huit jours à compter de lundi dernier - 23 janvier - pour transmettre les éléments du dossier à la chambre de l'instruction. Cette dernière devrait ensuite fixer une date d'audience dans les semaines à venir.
En attendant, Dalila Boutvillain "ne lâchera rien". "Je vais me rendre au palais de justice pour me faire entendre".
Pas question, pour elle, d'abandonner le combat pour la vérité sur la disparition de son frère. Un combat qu'elle mène, tambour battant, depuis le 6 mai 2012.