Covid-19 : les espaces de co-working misent sur la montée en puissance "du travail flexible" en entreprise

A l'heure de la seconde vague de la pandémie du Covid-19 qui s'installe, comment résistent les espaces de co-working qui ont fleuri ces dernières années ? Le bilan est mitigé, selon le type de société, mais tous misent sur le développement du travail flexible, notamment dans les grandes entreprises.

La France indéniablement est à la traîne en la matière, si l'on compare sa situation aux pays anglo-saxons. Il n'empêche, les espaces de co-working ont fini par percer dans le paysage, certains ont réussi à fleurir, d'autres ont fané avant l'heure.

A Grenoble et dans l'agglomération, plusieurs sites ont vu le jour, avec des "personnalités, des profils et des philosophies différents".

Col’inn, par exemple, à deux pas de la gare, proposait sur 320 m2, deux open spaces, des bureaux fermés, un espace café et des salles de réunion. Sa co-fondatrice, sur sa page FB aujourd'hui muette, expliquait vouloir en faire "un écosystème de gens qui s’impliquent dans le lieu, s’entraident et partagent leurs expériences, une sorte de colocation professionnelle améliorée pour travailleurs nomades".
 


Le concept a fonctionné un temps, Col'inn a déposé le bilan, après sept années d'existence, en janvier, soit un mois avant le confinement. Impossible de se relever à l'arrivée du Covid-19. Les lieux sont depuis tristement abandonnés et à louer.
 

A quelques encablures de là, au 22 de la rue Abbé Grégoire, entre le Cours Berriat et la place Saint-Bruno, Cowork venait en revanche tout juste de s'installer, en janvier, dans ses nouveaux locaux, chez l'incubateur Moonshot Lab, "parce que notre société, le vent plutôt en poupe, avait besoin de plus d'espace pour se développer", explique son fondateur Mathieu Genty.

Le confinement n'a pas sonné le glas de l'aventure qui dure depuis 2012, qui a commencé rue Servan, avant de rejoindre la French Tech Totem en 2015 : "A l'époque, j'étais parmi les 10 premiers du genre à m'installer en France, alors que que le télétravail n'était pas du tout dans les moeurs dans le pays. C'était à la fois le bon momemt, mais en même temps un peu tôt pour les mentalités. La sauce a mis un peu de temps à prendre, mais c'est venu tout doucement", raconte le fondateur de Cowork.
 

"On a failli fermer et mettre la clé sous la porte des dizaines de fois", se souvient avec un léger sourire ce "pionnier de la toute première heure", "parce qu'il fallait défricher le marché, et parce qu'à Grenoble, ce marché est restreint. La ville n'est pas très étendue, et les gros employeurs ont des structures immobilières suffisantes".

Plutôt que de clients, Mathieu Genty parle de communauté: "On part souvent en week-end ou en vacances ensemble, on fait des fêtes ensemble, comme dans une très grande famille. On partage aussi des projets professionnels à l'occasion ensemble, quand l'un a besoin d'un autre qui a la compétence requise."

La communauté Cowork, avec son autre bureau à Voiron, compte aujourd'hui 800 membres, 50 personnes sur site par jour habituellement, hors contexte Covid-19. Ils sont pour la plupart free-lance, indépendants, auto-entrepreneurs, ou salariés d'une très petite société. Ce ne sont pas des développeurs, tous utilisent les outils numériques, mais il y a des représentants de tous les statuts, de tous les métiers. Leur profil commun : pouvoir travailler de n'importe où.

Ce jour de septembre, dans la vaste pièce commune en effet, des domaines d'activité les plus variés : une avocate, un urbaniste, un designer, une étudiante en master, la plupart du bassin Grenoblois, venus à l'origine à cette formule "précisément pour ne pas rester cloitré chez soi à télétravailler dans la solitude . En choisissant le co-working, c'est aussi une ambiance, une atmosphère, qu'ils recherchent, et qu'ils trouvent ici".
 

Alors le 17 mars, quand tombe le couperet du confinement "ça a été compliqué de digérer la nouvelle, aussi brutalement". Nous avons comme tout le monde bouclé nos portes, et chacun a dû repartir s'isoler chez soi, comme avant". Ils se sont appelés, se sont donnés des nouvelles, ont fait des apéros zoom, mais n'avaient qu'une hâte, retrouver leur bureau partagé.

 

"Financièrement, nous avons éclusé le fonds de nos réserves de trésorerie."


Les comptes de la société ont dû encaisser les effets négatifs de cette inactivité forcée, "tout juste à l'équilibre, en puisant dans le fonds de nos réserves de trésorerie". Le plus gros poste de dépenses qui a pesé : le montant du loyer (Cowork ne compte que deux salariés permanents). Alors que certaines sociétés ont pû négocier le report des échéances avec leurs bailleurs, Cowork s'en est acquitté.

En signe de solidarité, les co-workers dans leur grande majorité ont choisi et décidé de régler tout de même leur abonnement, comme les supporters de foot offraient des matches annulés, ou les amateurs de culture des concerts, preuve s'il en est de leur "attachement profond au lieu".

L'activité aujourd'hui a repris, un peu au ralenti, pour retrouver un rythme de croisière de 35 occupants à la journée. Pas de chiffre d'affaire précis "parce que nous venions d'emménager, et qu'on a du coup aucun chiffre significatif de référence par rapport à l'an dernier".
 


Dans les lieux cet après-midi là, on aurait pu entendre une mouche voler, dans un silence digne d'une bibliothèque. C'est qu'à présent, il faut mettre les bouchées doubles. Pour beaucoup, le carnet de commandes a marqué un coup d'arrêt, et ils n'ont pas bénéficié du chômage partiel.

Toujours est-il qu'ils sont peu ou prou tous revenus. En revanche, les nouveaux abonnements que Cowork pouvait espérer dans ce nouveau quartier n'ont pas trouvé preneur. "Ce n'est que maintenant, depuis la rentrée qu'on accueille de nouveaux arrivants. On va les recevoir tout à l'heure comme il se doit, avec un pot de bienvenue, et dans le respect des règles sanitaires préconisées".

Alors la vie a t-elle changé de visage? " C'est toujours moins sympa de ne pas pouvoir se serrer la main ou s'embrasser, mais bon, c'est comme ça". Il a fallu s'adapter, gel, masque, distance entre chacun, un poste de travail sur deux neutralisé. Chacun doit apporter son propre mug, ses couverts, l'accès à la machine à café ou à la cuisine est strictement sécurisé et désinfecté.

Pas de plexiglas, "trop claustrophobique": chacun en revanche a désormais le même bureau attribué, un peu comme son rond de serviette sur l'assiette et il n'est plus question de choisir l'endroit où s'installer comme c'était l'usage, au fil des arrivées. On s'y plie sans rechigner  "C'est un espace d'auto-régulation, on le fait déjà quand quelqu'un hausse trop la voix. Il y a toujours l'une ou l'un qui rappelle gentiment à l'ordre, et pour le masque ou le gel, c'est pareil".
 

Un des obstacles majeurs sans aucun doute, l'espace : "ce n'est pas encore arrivé parce que nous ne sommes pas revenus totalement à la fréquentation "d'avant" mais on est bien forcés de respecter la jauge, et ça c'est embêtant, on devra bloquer".

 

"Une brèche s'est peut-être ouverte dans les plus grandes sociétés" 


Une certitude en tout cas, "un nouveau confinement virerait pour nous à la catastrophe".  Mais Mathieu Genty veut rester confiant. La résilience, il connaît bien, l'anticipation aussi : il a commencé à prendre contact avec les DRH de plus grandes sociétés. "Une brèche va peut-être s'ouvrir dans ce secteur, qui sait?... si les interdictions de déplacement se réitèrent, si certains salariés supportent mal l'isolement".

"Ils ont dû s'y mettre à marche forcée les grands groupes qui ont toujours ce besoin d'une vue physique sur les salariés, alors que toutes les études récentes le prouvent : quand le télétravail est bien vécu, il est plus créatif et plus productif, et meilleur pour la santé", assure-t-il.

Toujours est-il que Mathieu Genty - qui vient de remporter l'appel d'offres à projets de la Ville au couvent des Minimes, et devrait y emménager d'ici à deux ans - guette tous les signes de frémisssement et lorgne amicalement sur ce marché potentiel dont l'évolution précise reste encore une inconnue.

Changement de site, changement de décor, dans la même rue, tout au fond du Cours Berriat, au 155, chez Regus, à l'entrée du site historique Bouchayer-Viallet. 
 

Chez Regus, on ne dit pas vraiment co-working, on parle de "flex office", les espaces de travail partagé ne représentant qu'une petite partie de l'activité. Toutes sortes de formules et de combinaisons sont possibles. De la 1/2 journée à un bail longue durée, en passant par une simple domiciliation, des salles de réunions. 80% de l'espace est privatisé.

Pendant le confinement, les portes sont restées ouvertes. Comme dans ses autres centres de l'agglomération, pas question de laisser en plan tous ceux qui continuaient à travailler. Un manque à gagner évident pour le groupe, qui a vu baisser les demandes ponctuelles d'une façon vertigineuse, en liaison directe avec la mise à l'arrêt de l'activité du secteur économique.

 

"La grande leçon de cette crise, c'est que le lieu de travail n'existe pas, enfin... plus comme avant" 



Voilà d'emblée l'enseignement que tire Christophe Burckart, le Directeur Général du département France d' IWG (International Workplace Group) .
 Le groupe côté à la Bourse de Londres, ne compte pas moins de 3500 centres dans le monde entier, et compte encore se développer.

"En premier lieu, et c'est important", nous explique Christophe Burckart qui nous a accordé cette interview par téléphone, "la crise Covid a démoli l'idée recue et pré-concue, mais tenace, que le télétravail est l'apanage du dilettante et que celui qui participe physiquement à des réunions au bureau est un as, d'autant que le télétravail ne veut pas forcément dire travailler en chaussons et en négligé à la maison, mais travailler, comme son nom l'indique, à distance".

"De nombreux postes correspondent déjà à cette définition. Les commerciaux, les responsables de clientèle, les patrons d'entreprises, 50 % de nos clients se déplacent, notamment, et c'est précisément en pensant à eux, que nous avons créé une "base". Ils peuvent se poser, être plus confortablement installés pour des visio-conférences".

 

C'est cette clientèle qui a fait défaut, en cette période de crise : des avions cloués au sol, des frontières bouclées, mais il y a toujours des déplacements, même moins loin, les visio-conférences se sont du coup développées, et tous ces modes de communication et équipements sont à disposition chez Régus.

 

"La demande est repartie à la hausse, plus forte même qu'avant l'arrivée du Covid-19"



A l'heure du bilan des comptes de la période qui vient de s'écouler depuis l'arrivée du Covid, les chiffres de fréquentation et les bénéfices de Régus ont enregistré un recul important : baisse de 80% de la demande en mars, et 10 % des clients habituels sur site. En mai, ils étaient 30%, puis en juin-juillet, ils étaient entre 40 et 45%.

"C'est en septembre que tout a vraiment repris, avec même une demande à la hausse de 25%  par rapport à l'avant Covid-19. Et ça, c'est un signe qui ne trompe pas, cela veut dire qu'inexorablement le mouvement est enclenché", analyse Mr Burckart.

Comme partout, il a fallu adapter l'environnement aux règles sanitaires. Plexiglas, masques, gel, sens de circulation, désinfection des lieux, sous le contrôle d'un bureau spécialisé. Le plus compliqué peut-être a été d'aider les entreprises à réorganiser l'espace, pour faire en sorte de respecter les impératifs de distanciation lors de réunions par exemple, comme au sein de toute entreprise lambda, du reste. Un surcoût minime de l'ordre de 0,01 %.

Des règles faciles à faire respecter ? "Oui, sans réel problème. Nous n'avons jusqu'à présent pas de cluster, nous n'avons exclu qu'un seul client, comme nous avons le droit de le faire, pour non-respect du dispositif sanitaire", se félicite-t-il.

 

"La crise est en train d'accélérer le mouvement du changement dans le monde du travail"


Le concept de Régus, - et des autres marques du groupe - tient moins de la vie en communauté professionnelle, comme d'autres lieux. Ce sont surtout des espaces résidentiels avec même des baux conventionnels de 3, 6, ou 9 ans. Le tiers de clients sont des TPE et PME.

"Cela aussi risque de changer. Le phénomène est en cours, on a tendance à dire que les grands groupes trainent des pieds mais pas tant que ça. Nous avons parmi les groupes du CAC 40, 36 clients chez nous en France. Engie par exemple, a développé son département numérique du côté de la gare Saint-Lazare, avec 120 salariés, qui n'avaient pas du tout envie d'aller s'installer à la Défense, c'est aussi plus de possibilités d'attirer les meilleurs talents", estime le directeur .

La pression immobilière également a oeuvré, et ce n'est pas nouveau. Les sociétés ont quitté Paris intra-muros, pour aller en périphérie. "Résultat", constate Mr Burckart, "des salariés tiraillés entre faire deux heures de route, ou se rapprocher, mais habiter là où, ni eux ni leur famille, ont forcément envie de vivre". 

Le responsable de la branche France vient de prospecter une nouvelle fois dans les grandes sociétés : "j'ai fait tout le tour et le changement est en cours, en tout cas le débat est partout amorcé. Dans certains secteurs, cela prendra du temps, il faut passer par les négociations avec les organisations syndicales, ce sera sans doute à l'échéance 2021". Le débat sur le télétravail n'est pourtant qu'à ses balbutiements, et suscite bien des inquiétudes.

Mais Christophe Burckart, fort de son expertise, en est persuadé : "elles vont forcément s'y mettre, d'abord parce que certaines ont déjà trop tardé pour faire revenir sur site, certains ont déjà pris le pli, d'autres ont aimé la formule mais seraient à l'aise dans un espace... ensuite, parce que l'on ne sait pas comment tout cela va évoluer. Le Covid a d'ores et déjà signé l'arrêt de mort de l'open-space au bureau".

A l'heure où l'on parle de qualité de la vie au travail, et de protection de l'environnement, "la France va rattraper son retard j'en suis persuadé, et il faut s'en féliciter car à mon sens, le télétravail, c'est une expérience de vie, au service d'un enjeu professionnel".

La marge en tout cas est large : à titre de comparaison le groupe a déjà 200 centres à Londres contre 70 seulement à Paris.


*Pour aller plus loin, si le sujet vous intéresse, à lire, cette histoire goûteuse de notre consoeur Marie-Adélaïde Scigacz de France télévisions :"le bureau au temps du coronavirus : du "pool" de secrétaires à la "start up nation", une petite histoire de l'open space" ou pourquoi, selon son récit "les plateaux et autres bureaux partagés ne disparaîtront pas de sitôt".

*
A voir : "La face cachée du télétravail" , Complément d'enquête du 10/09/20 de France 2 : "Travail, ton univers (encore plus) impitoyable!"

 
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