Parmi les secteurs économiques impactés par le Covid, le tourisme. Si globalement les Français ont malgré tout pris des vacances, ils sont restés... en France. Comment Allibert Trekking, l'un des plus gros organisateurs de trecks vit cette crise? Etat des lieux avec son directeur Frédéric Giroir.
Outre la crise sanitaire et les soucis de santé publique que provoque depuis des mois le coronavirus, sur le front économique, la lutte est... acharnée. Des mois que les acteurs économiques vivent quasiment en temps réel "suspendus" au gré de la pandémie, de ses rebonds ou non, et des mesures sanitaires changeantes qui les accompagnent.
En cette rentrée de septembre, la situation est toujours sur le fil du rasoir. La seconde vague redoutée semble bien s'installer.
Frédéric Giroir est le Directeur Général d'Allibert Trekking. Basé à Chapareillan en Isère, fondé il y a 45 ans par trois guides de haute-montagne alpins, le groupe représente l'un plus gros organisateurs spécialisés de voyages d'aventure de France, plus de 1600 circuits conçus à travers le monde entier.
Un terrain d'exploration terriblement instable et drastiquement réduit
"Précisément, notre terrain de jeu et d'exploration, c'est la planète entière, et la planète entière est tout simplement bouclée. Nous n'avons jamais vécu ça, en tant que citoyen lambda d'abord, et a fortiori, dans notre entreprise, c'est saisissant tout de même". Pour Frédéric Giroir, l'état premier a été celui de la sidération, comme pour tous. Le reste du monde s'est en effet tout à coup rétréci à la taille d'une orange. Et encore, pendant le confinement, il n'était plus réduit qu'à quelques mètres carrés, tout au plus à une rue.
Aujourd'hui, à l'heure de l'état des lieux, le constat est sévère : "c'est bien simple de faire le calcul, nous ne vendons quasiment plus...rien, taux d'activité zéro, le chiffre d'affaires a fait la bascule, en chute de 75%".
Tout s'est compliqué sérieusement dès la mi-février
Les expéditions de cette nature se préparent en général quatre à six mois, voire un an à l'avance. "En janvier, février de cette année 2020, les gens qui avaient réservé ont pu partir normalement, sans souci particulier, puis à la mi-février, l'Asie a fermé ses portes et ses grands sommets, tous les continents ont commencé petit à petit à se replier, et les frontières sont devenues infranchissables".
Le 17 mars, à l'heure du confinement, il a fallu se rendre à l'évidence, la situation allait durer :"nous avions d'abord reporté les départs, il a fallu se résoudre à les annuler". Pour partir, les clients versent 35% d'accompte au moment de leur inscription, et règlent le solde de 65% au moment du départ.
"Nous avons heureusement pu émettre des avoirs, pour garder nos clients"
Difficile de rembourser purement et simplement, car dans ces conditions le risque de voir les clients reprendre leur inscription et ne plus jamais revenir est grand sur le plan commercial. L'ordonnance du 26 mars qui modifie les modalités de remboursement dans le secteur du tourisme a été la bienvenue, émise par le gouverment "qui avait bien conscience que tous les acteurs du tourisme seraient dans la même situation".
Les agences ont donc avec soulagement saisi l'autorisation d'émettre ces avoirs "imposés", sur le même voyage ou pas, en attendant que les choses s'éclaircissent, avec une seule obligation, celle de rembourser intégralement les sommes versées, si aucune solution, aucune date ou aucune destination satisfaisante pour le client n'était trouvée au-delà de 18 mois.
Un été presque normal avec la France en tête d'affiche
Cet été en revanche, en juin, juillet, août, l'activité a retrouvé un rythme presque normal par rapport aux années précédentes. Effet du déconfinement, envie de grand air et de nature, les gens ont répondu vraiment présents. Mais les destinations ont profondément changé, beaucoup de séjours en France, dans les Pyrénées, ou à l'Ile de la Réunion, en Europe du sud, en Italie, en Grèce, à Madère.
"On avait aussi ciblé l'Islande et la Norvège, qui ont soudain mis un coup d'arrêt en août, et exigé une quatorzaine à l'arrivée. Il a fallu re-annuler, re-reporter. C'est assez usant, et anxiogène il faut l'avouer."
Un contexte et des contraintes anxiogènes
Par chance, aucun groupe n'est resté coincé dans un pays, pris au piège d'une fermeture soudaine. Toutefois, les effets psychologiques et anxiogènes de la situation se ressentent : "Beaucoup de nos voyageurs avaient peur précisément de se retrouver coincés à l'étranger, d'attraper le virus et de devoir se faire soigner dans des hôpitaux pas forcément bien équipés, partir en vacances dans le stress, sous le poids des contraintes, et avec l'angoisse, ce n'est pas l'idéal, il faut le reconnaître ni pour eux, ni pour nous, ni pour les partenaires locaux avec lesquels nous travaillons sur place".
L'agence a totalement réorienté sa campagne d'affichage sur son site, en mettant en avant la France. "Ceci dit, c'est tout de même un manque à gagner dans la mesure où ces séjours ont des tarifs moindres. Chaque jour en fait, nous perdons de l'argent", souligne Frédéric Giroir qui cherche à imaginer la suite, à anticiper : "c'est peut-être le début d'une nouvelle façon de voyager, plus près de chez soi, et plus soucieuse d'un développement durable (...) peut-être que les habitudes et les comportements vont basculer, qui sait, et qu'il faudra modifier notre offre, on ne le sait pas encore vraiment".
Malgré tout quelques"jolies"petites nouvelles....
Frédéric Giroir, amoureux passionné des sommets et des grands espaces tache de conserver son optimisme, dans cet environnement si compliqué et il le trouve dans des petits détails, qui finalement sont plus que des détails, qui révèlent au moins un attachement profond aux rapports humains.
"Cet été, nous avions un peu peur que les gens aient peur, peur du virus, peur des autres et nous avons été très agréablement surpris. Nous avons plusieurs formules de voyages, des expéditions en groupe, ou seulement en famille, ou même en individuel. Eh bien figurez-vous que ce sont les expéditions en groupe qui ont eu le plus de succès. Les clients partent, sans forcément se connaître. Ils ont pu faire des grandes tablées de 15 personnes en montagne ou en refuge. C'était très chaleureux".
Et les règles de distanciation anti-covid ? Elles sont semble-t-il plutôt faciles à respecter, ce sont les mêmes que pour tout le monde : masque et distance obligatoire pendant les transferts, les voyages en bus, train ou en avion, dans les restaurants ou en refuge, on porte le masque quand on circule, on ne l'enlève que pour manger ou boire un verre, "mais au moins en expédition c'est le grand air et la liberté".
"Nous avons eu de la chance cet été parce que c'était précisément le moment où les restaurants, les hôtels, les structures touristiques sur place pouvaient rouvrir, même sous conditions. Et nous avons eu d'excellents retours de la part de ceux qui étaient partis, ravis précisément qu'il n'y ait pas grand monde, et enchantés d'avoir pu partager leur aventure avec d'autres" raconte-t-il.
Des salariés au chômage partiel et une cellule de "veille active" sur les destinations
Tout le monde dans le groupe s'est mis au télétravail, "ce qui ne pose pas vraiment de problème puisque l'organisation des treks, et les réservations se font sur notre site internet, et l'on peut répondre à toutes les demandes d'information par téléphone ça ne change rien, si ce n'est que sur le plan humain et relationnel, l'on se croise moins".
Dès le confinement, ils ont été nombreux au chômage partiel. "Nous avons tout de même la chance de vivre en France". Les salaires ont été pris en charge par l'Etat à 100%, ils le seront encore à 85%. "Les mesures d'accompagnement des entreprises ont été pour nous vraiment un soulagement".
Depuis le début de la crise, le groupe a mis en place "une cellule de veille active" sur toutes les destinations, afin de ne rien rater d'une réouverture de frontières, mais tout peut évoluer dans le vent contraire très vite.
Les modalités adoptées par les pays sont changeantes et variables selon les continents. Certains imposent des quatorzaines, d'autres pas. Certains exigent des résultats de tests Covid à l'entrée, et d'autres pas. La Réunion demandait des tests de moins de 72 heures. Un casse-tête pour les clients d'autant que les laboratoires et les centres de dépistage sont débordés. C'est parfois un vrai parcours du combattant pour obtenir un rendez-vous qui respecte les délais.
Sur son site, la liste des pays accessibles est régulièrement mise à jour, des destinations sans test, des destinations avec test PCR avant le départ, à consulter par ailleurs sur le site du Ministère des Affaires Etrangères.
Les grandes expéditions en alpinisme inaccessibles
Inutile de rêver en ce moment aux mythiques 8000, enfin si, mais en rêver seulement. Car le coronavirus en a fait des déserts. Pour Allibert Trekking, c'est habituellement l'un des secteurs les plus porteurs de ses activités, qui accompagne entre 500 et 1000 alpinistes chaque année, au Népal notamment. Cette partie du globe est pour l'instant... éteinte.
Le 12 mars dernier, le Grenoblois Arnaud Pasquier arrivé à Katmandou a découvert la suspension de toutes les expéditions décidée par le gouvernement jusqu’à fin avril. Alors que le Népal annonçait la prolongation de son confinement, le Français s'est retrouvé bloqué dans un lodge à Manang, et... seul alpiniste au Népal .
Le Népal a fermé ses frontières en mars, juste avant la haute saison touristique dans l'Himalaya. Il avait décidé fin juillet de rouvrir l'accès à ses massifs, notamment l'Everest, en vue de la saison d'automne (septembre-novembre), mais après une flambée des cas, les liaisons aériennes internationales sont désormais réservées aux Népalais et aux diplomates étrangers
Le seul qui aura le privilège d'entrer au Népal est... un prince de Barhein
Le gouvernement a décidé d'autoriser les 18 membres de l'expédition à entrer au Népal pour faire l'ascension du Manaslu (8.163 m), huitième sommet le plus haut du monde, et du Lobuche (6.119 m)."Une équipe de quinze membres de Bahrein, comprenant un prince de Bahrein et trois citoyens britanniques, arrivera en respectant les protocoles sanitaires", a déclaré le 1er septembre le porte-parole du gouvernement Yuba Raj Khatiwada. Plus d'une cinquantaine de sherpas participeront à l'expédition, avec des hélicoptères pour minimiser les contacts humains, a précisé Seven Summit Treks, un des plus grands organisateurs d'expéditions du pays.
"Pas sûr que ce soit très développement durable tout ça", commente juste d'un mot Frédéric Giroir, "mais bon... ce qui est certain, c'est que c'est difficile en ce moment pour nous, mais encore plus pour les Népalais pour qui le tourisme représente le seul poumon économique, nous travaillons avec eux sur place, et c'est tout simplement une catastrophe".
Le pays, qui abrite huit des quatorze plus hauts sommets du monde, a accueilli l'an passé, selon des chiffres officiels, 1,2 million de visiteurs dont environ un tiers lors de la saison d'automne.
L'automne s'annonce incertain, sur une planète instable pour Allibert Trekking : "c'est la saison des dernières inscriptions, les réservations se portent habituellement hors Europe, parce que les gens ont envie de soleil, mais en ce moment... on ne vend presque rien".