Grâce au Covid, j’ai appris à coudre mon masque... et ceux des autres

Comment une totale débutante en couture ose se lancer dans la confection d'un masque puis deux puis trois pour équiper sa famille, ses proches, tout son entourage et parfois des inconnus : témoignage au temps du Covid.

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Avant le Covid, la couture et moi, c’était deux galaxies opposées et bien séparées. Bien sur, il y avait des rêves de rapprochement : "et si je me mettais à faire ma robe, c’est tellement plus économique, écologique, épanouissant", mais les tissus achetés dormaient jusque-là sagement pliés au fond d’un placard. Et puis le Tsunami du Covid nous tombe dessus avec très vite l’envie de retrousser ses manches pour agir.

 

Un tutoriel estampillé "CHU de Grenoble"


Dès le début de la crise circule à Grenoble un tutoriel estampillé "CHU de Grenoble" pour fabriquer un masque en tissu 3 couches pour se protéger et protéger l’autre.

Le réseau des couturières grenobloises se met en branle comme une formidable armée déjà bien rodée. Sous la houlette de Cécile Beriot de la Maison de la couture à Grenoble.
A l’actif de Cécile, plusieurs opérations de couture solidaire, comme les coussins cœur pour les femmes opérées du cancer du sein, ou les pochettes pour pompe à morphine pour les services palliatifs ou la pédiatrie. Tout cela a rodé le dispositif et construit un réseau solide.

Ainsi, quand l’appel du docteur Legeais, vice président de l’ordre des médecins à Grenoble retentit, les couturières de toute l’agglomération dégainent les nappes, les draps, les élastiques de soutien-gorge, pour équiper les Ephad, les auxiliaires de vie... les fameuses premières et secondes lignes.
 
Pendant ce temps, je ne sais toujours pas coudre, je n’ai jamais touché une machine mais ma voisine m’invite sur un coin de table à faire un masque pour moi et mon mari : un petit "liberty à fleurs" pour moi et des cactus pour Monsieur. Dans mon empressement, j’assemble les motifs à l’envers ! Je repars avec la tête pleine et la perspective d’un Everest à gravir.

 

On n’est pas sorti des ronces 

Je décide d’aller chercher des fournitures. Cecile Beriot, comme un général sur un champ de bataille, dispatche gratuitement le tissu, le molleton et l’élastique aux couturières bénévoles. Tout est récupéré, donné, offert par des restaurateurs qui changent leurs nappes et leur déco, des artistes ou des entreprises.

Le magasin est fermé mais une permanence est assurée pour cette distribution. Je contemple les machines alignées comme des soldats endormis et je demande : "le modèle pour débutant,c’est quoi ? Un truc simple mais costaud..."
Walid, le technicien de la maison, me montre celle qui paraît-t-il  équipe les élèves couturières. Je l’embarque, advienne que pourra.

Air effaré de mon mari, mes enfants, quand je rentre à la maison avec cette chose volumineuse et pas forcément facile d’accès une fois déballée.
 

Je réalise que je suis toute seule et que je vais devoir apprendre à coudre, comme si je devais apprendre à nager, entre le plongeoir et la piscine. Je me lance dans une consultation frénétique de tutoriels sur Internet. Bingo, le blog de Couture débutante me sauvera avec la bonne démo pour ma machine. Je le visionne un milliard de fois au moins !

Enfiler la bobine... Faire une canette... C’est quoi tous ces boutons, je ne touche aucun réglage de toute façon, je n’y comprends rien. Je ne suis pas d’ordinaire un foudre de guerre en bricolage manuel, totalement empotée pour tout dire.

Quand mon mari rentre, il se penche sur la bête et découvre qu’il existe un chouette système pour enfiler le fil dans l’aiguille. J’ai mis une demi-heure à le faire manuellement, en plissant mes yeux de myope astigmate !

Et nous voilà partis, oui mon mari a rejoint l’aventure, convaincu que nous devons faire vite pour produire ces masques que tout le monde attend. Des souvenirs de sa maman couturière lui reviennent : "le tissu il faut le guider doucement l’accompagner pas le brusquer."
 

Notre petite entreprise se met en branle, nous commettons nos premiers masques.
 

Il coupe le tissu, j’assemble, il crante, on finalise.


Je ne suis pas bien sur d’ailleurs que ces premiers prototypes aient bénéficié de point d’arrêt ou de certaines bidouilles glanées par la suite.


Qu’importe, les premiers récipiendaires de ces masques alternatifs les reçoivent comme le saint Graal. Certains nous proposent de l’argent...


Il y a des jours avec et des jours horribles où tout est tordu, vilain, à l’envers. La machine nous fait des siennes, des bourrages, des caprices, des bugs. Je casse l’aiguille...
 

Je tremble à chaque fois que je dois changer la canette. J’en rêve la nuit, j’en transpire et je me venge en la baptisant "The Beast". 

Une journaliste du Huffington Post me contacte et dans son article, "The Beast" et ses prouesses sont mises à l’honneur !

Une anthropologue souhaite aussi travailler sur nos témoignages. Pendant ce temps là, à France3,  Sandrine,Virginie, Marie, Ana, cousent elles aussi pour les autres des masques à tour de bras.

Chaque semaine, je vais me réapprovisionner en fournitures. Sur mon attestation est cochée la case "assistance aux personnes vulnérables". Car après tout, on est bien vulnérable face à ce virus.

Je distribue ces masques aux commerçants qui rouvrent, aux collègues, aux voisins, aux amis d’amis, et puis j’en récupère aussi de toute cette grande chaîne.

Une centaine de masques sera donnée à Claire David de l’association Le Grain de Sel Hors-les-Murs qui accueille et accompagne les jeunes SDF à Grenoble.
 

 

Les normes AFNOR


Et puis au milieu de ce ciel presque paisible, débarquent les normes AFNOR...

Il est désormais décrété que le modèle "CHU de Grenoble", avec la couture sommitale, est à éviter et qu’il faut coudre dorénavant un rectangle à plis.

Dépitée, je me replonge dans une forêt de tutoriels : avec poche double couche, les élastiques cousus à l’intérieur...
Je tente des essais et me remets à cauchemarder jusqu’au moment où je me lance dans un modèle à ma sauce, un carré trois couches avec pince-nez (le pince-nez, c’est une barrette de sachet de thé offerte par mon magasin favori à qui j’ai fourni... deux masques).
Il y a aussi une piqûre à l’intérieur par ce que les piqûres ça gratte.

Et me revoilà repartie pour une nouvelle salve car tout le monde veut les nouveaux modèles, d’autant que j’ai craqué pour des popelines pimpantes, des Liberty aussi jolis que légers mais filtrants. L’équation impossible du parfait masque : respirant et filtrant.
Vous ne devez pas suffoquer mais vous ne devez pas non plus pouvoir souffler une flamme de bougie.
 
 
Entre temps, Cecile m’a trouvé un molleton de compétition, fin et ultra filtrant, testé dans un organisme très sérieux.

Je suis contactée sur Instagram par un atelier de couture allemand, Wieder et Wider, installé à Berlin qui a suivi mes tribulations sur le fil et qui gentiment me propose de m'accompagner un peu dans mes galères de grande débutante. 
Ils veulent rôder des cours à distance et ils me proposent de faire le cobaye.
J’ai droit à plus d’une heure d’échanges passionnants avec Cristina, qui me parle tension du fil, grosseur d’aiguille, comment piquer droit... Une foison d'astuces et de trucs  et surtout Cristina m’explique comment fonctionne the Beast.
Nous nous donnons rendez-vous dans quelques semaines pour faire ensemble un bloomer pour mon petit fils... Et peut être irais-je un jour faire un atelier là-bas à Berlin quand le Covid ne sera plus qu’un très mauvais souvenir. 

Et aujourd’hui ?

Je continue à coudre ces masques au fil des jours car les demandes continuent d'affluer
Et ça me fait plaisir de faire sur mesure un petit masque mignon pour une petite fille

Ou un joli bien taillé pour une collègue coquette et élégante 

Ou deux noirs pour une dame corse pour qui le noir, c’est un porte bonheur 

The Beast trône dans le salon prête à nous inventer ses chausses-trappes qu’elle affectionne tant. 

Dois-je dire merci à ce fichu virus pour m’avoir fait sortir du bois et développé un petit savoir-faire ?  ( oui, je change la canette les yeux fermés maintenant) : Certainement !  Je ne suis pas encore une sewista mais grâce à mes marraines de couture qui ont veillé sur moi,  je pourrai peut être bientôt sortir du placard ce beau tissu double gaze à fleurs ou cette viscose  aubergine à tomber pour me faire une robe toute simple, hein... Pour la fermeture éclair ou les boutonnières, on attendra encore un peu.

Et au final combien de masques ?

Je ne sais pas ...J’ai perdu le fil ...
Au début,  je faisais le décompte  de tous ces paquets envoyés partout en France et même en Angleterre mais maintenant j'ai lâché. 
Je sais que la centaine a largement été dépassée...Largement. Grace au Covid, j'ai  appris à coudre mon masque et ceux des autres.  
 







 











 



 
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