C'est un couple déchiré, dévasté par l'engrenage et la spirale de la violence conjugale que le tribunal correctionnel de Grenoble a entendu. Elle, sur le banc des parties civiles, lui, sur le banc des prévenus. Il a été condamné à 15 mois de prison, avec sursis probatoire.
C'est la première fois qu'ils se recroisent, mais dans la salle d'audience, ils ne s'accorderont pas un seul regard, c'est à leurs doigts qu'ils tordent, ou à un mouvement de colère de la tête, quand l'autre donne sa propre version, que l'on ressent combien ce couple est arrivé "à un point de non- retour".
Ils ont ensemble trois enfants âgés de 1 à 7 ans.
Hamed* comparaît pour "violences habituelles par une personne étant ou ayant été conjoint". D'abord en garde-à-vue, il a été placé sous contrôle judiciaire il y a trois mois. Malika* s'est constituée partie civile en tout début d'audience.
"Je suis d'ordinaire quelqu'un de très calme, c'est elle qui me met hors de moi"
Après le rappel des faits, c'est lui qui le premier est entendu à la barre. Il reconnaît les violences et les coups. Dans le dossier, les photos des blessures de son épouse, constatées par un médecin, sont sans équivoque. Mais dès ses premiers mots il martèle : "c'est le contexte qu'il faut rappeler. On ne peut rien comprendre sans parler du contexte, par exemple ce jour dont vous parlez," explique-il à la présidente "c'est elle qui m'a agressé, j'étais dans mon bureau, devant la télé avec mes enfants, et c'est elle qui a renversé l'écran sur nous. La voisine ne peut pas avoir vu autre chose ce jour-là."
Son ton est calme, son argumentation construite : "vous l'avez dit vous-même, mon fils a témoigné et il a dit "c'est maman qui tape papa et papa qui tape maman". C'est elle qui crie et qui hurle tout le temps".
Il poursuit : "Plusieurs fois c'est elle qui m'a agressé. Alors j'aurais dû faire quoi ? Aller porter plainte ? C'est pas mon genre. Je ne savais pas comment m'en sortir. C'est vrai que c'est terrible d'en être arrivés là. On a pourtant eu des années de bonheur".
Et il insiste: "ça fait 18 ans que je travaille de nuit, il faut être calme pour tenir ce rythme-là. C'est elle qui me met hors de moi, les coups c'était pour me sortir de cette situation". "Pourtant en aucun cas, à aucun moment, vous n'avez cherché de l'aide, ni auprès d'une voisine ou de quelqu'un d'extérieur" lui fait remarquer la présidente. "Non c'est vrai" reconnaît-il. Et pourquoi il ne partait pas quand la situation devenait explosive ? "Cela m'est arrivé" répond-il, en contre-attaquant aussitôt : "mais pourquoi ce serait à moi de partir ? Et la laisser crier sur les enfants ? C'est pour eux que je suis resté".
"J'ai fini par me laisser enfermer dans sa nasse, sa violence et son dénigrement permanent"
"Oui, c'est vrai je finissais par crier, je n'en pouvais plus. Il fallait que je hurle ma douleur", témoigne Malika*, le regard fatigué mais la jeune femme est cette fois déterminée et elle raconte : "je me suis laissée enfermer, en huis-clos, dans toute cette souffrance. Il y avait les coups mais le plus dur peut-être, c'était les insultes, devant les enfants, il me traitait de mauvaise mère, il dénigrait tout ce que je faisais ou je disais, tout le temps. J'en venais parfois même à douter. J'ai fini par me laisser enfermer dans sa nasse, sa violence, et son dénigrement permanent".
Malika* est allée plusieurs fois faire constater ses blessures, s'est à plusieurs reprises réfugiée ailleurs mais elle revenait toujours. Les tensions et les rapports entre le couple n'ont fait qu'empirer, "surtout quand je suis tombée enceinte de notre dernier. Alors même que je portais cette vie en moi, je suis tombée en dépression. Il n'a pas voulu reconnaître l'enfant, il n'arrêtait pas de dire qu'il n'était pas sûr qu'il était de lui. Il ne voulait pas s'en occuper. Entre nous c'était soit le mutisme, soit des cris et des coups".
Hamed* proteste : "je n'ai appris qu'elle était enceinte qu'à quatre mois de sa grossesse. Si, je m'en occupais, mais je travaillais la nuit, elle le jour, j'emmenais les enfants à l'école le matin, mais avec le dernier, c'était compliqué, je ne pouvais pas me reposer".
Malika* sombre dans la dépression, fait une tentative de suicide, est hospitalisée d'urgence, et passe quelques jours en psychiatrie. "Une fois il m'a dit que je n'avais qu'à sauter du neuvième étage" poursuit -elle, étrangement calme et sans un sanglot dans la voix : "c'est vrai qu'à la fin, je tapais aussi, pour me défendre, et [finalement] j'ai fini par dire stop".
Une "descente aux enfers" aggravée par le confinement
De la tentative de suicide de sa femme, Hamed* interrogé par la présidente ne sait qu'en dire: "Pourquoi? je sais pas". Il se tait un instant, cherche pour la première fois ses mots et bredouille :"ça m'a... déstabilisé". Il se souvient surtout... du confinement . "Cela a été très compliqué, on était enfermés toute la journée, je me suis un moment retrouvé seul avec les enfants, il fallait que je les éduque, c'est faux de dire que je passais mon temps devant les jeux vidéos, je ne suis pas addict, j'aime les voitures de course, je cours sur des circuits virtuels, j'aime ça, et avec mon fils, on avait décidé que lui pourrait jouer un peu, comme une récréation".
Malika* est rentrée au domicile, elle a finalement retiré la plainte qu'elle avait déposée en mars. Elle aussi se souvient du confinement "comme d'un enfer", avec son mari en permanence à la maison, dans son bureau. Puis Hamed* a de son côté pris un congé parental "sans même m'en parler", assure-t-elle. Malgré le déconfinement, les violences à la maison s'amplifient au point que Hamed* se retrouve en garde-à-vue.
"Cette violence conjugale, à huis-clos, est symptomatique de l'emprise"
Avant de prononcer son réquisitoire, la procureure lors de l'audience lui a posé la question : Que comptez-vous faire? -"Je voudrais m'occuper de mes enfants. Je dois reprendre en septembre 2021, j'ai le droit". "Oui mais j'ai aussi le droit de vous poser la question : vous envisagez de ne pas travailler pendant un an et de rester sans revenus ?" demande la procureure.
Et elle poursuit :"A un moment donné, on pourrait presque à vous écouter se demander finalement qui est la victime ? Cette violence, à huis-clos, est symptomatique de l'emprise. Calme avec les autres, à l'extérieur, et violent avec son épouse. Vous avez certes vu un psychologue, mais je ne vois pas le début d'une remise en cause de votre comportement."
En tenant compte de son casier judiciaire vierge, et du respect de son contrôle judiciaire, elle requiert 15 mois de prison, assortis d'un sursis probatoire de deux ans, avec des obligations à respecter, la première étant celle de ne commettre aucun délit, sous peine de prison ferme. "Vous devrez reprendre le travail. Je pense aussi, qu'il faut protéger votre épouse, qui doit pouvoir se reconstruire, sans être en permanence angoissée", conclut-elle.
"C'est un long chemin pour les victimes de violences conjugales avant de se sortir de la nasse, on le sait" dira l'avocate de Malika, au nom de sa cliente "qui a eu le courage de prendre contact à cinq reprises avec une association de solidarité avec les femmes battues, qui a eu aussi celui de reconnaître ses faiblesses devant un tribunal et ce n'est pas simple, elle a reconnu qu'elle avait tapé, crié, fait une dépression, mais c'est une femme à bout de souffle, qui a perdu 8 kgs en quelques mois,(...) son état psychologique dont son mari se plaint, c'est lui qui en porte la responsabilité et ce n'est pas un hasard si récemment les enfants sont à leur tour devenus violents avec leur mère, en ne faisant que reproduire... le modèle du père".
Et d'annoncer que sa cliente a déposé une requête en divorce. C'est le juge des affaires familiales désormais qui devra définir les modalités concernant les enfants.
Pour sa part, l'avocate de la défense demandera au tribunal sa clémence : "mon client s'est peut-être mal exprimé, mais il reconnaît les faits qui lui sont reprochés, il regrette, il a perdu son calme, il n'a pas su gérer. Le confinement a été déstabilisant pour de nombreuses familles. Mais c'est vrai qu'il s'est investi, d'ailleurs dans sa famille, on le considère comme un pilier, il a souvent aussi gardé ses neveux", assure-t-elle.
Et elle plaide encore pour sa défense : "lors de cette audience, il a peut-être eu des propos malheureux. S'il évoque le traumatisme de sa garde-à-vue, c'est qu'elle l'a profondément marqué, mais il ira plus loin, au fond des choses avec le psychologue, il en a l'intention, il ne l'a vu que deux fois (...) enfin il est prêt à reprendre son travail, on en avait parlé ensemble, il peut le reprendre dans un mois. Je peux vous affirmer qu'il est vraiment très affecté par tout ça".
Quand le tribunal demande à Hamed* s'il a quelque chose à rajouter, il déclare : "je voudrais juste dire que contrairement à ce qui a été dit, je me suis vraiment investi avec mes enfants, et dans le projet conjugal et puis ma femme, je l'ai souvent laissée partir en voyage, elle aimait ça, elle est allée plusieurs fois dans de nombreux pays..."
Pas un mot des violences pour lesquelles il a été condamné, conformément aux sanctions requises, à 15 mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, assortis de l'obligation de travailler, de suivre des soins, l'interdiction totale d'entrer en contact avec sa victime, même par téléphone. Il devra verser par ailleurs 500 euros au titre du préjudice corporel, 1000 euros pour le préjudice moral, et 800 euros de frais de procédure.
*Les prénoms ont été modifiés