Adréa Mutuelle veut vendre le Groupement Hospitalier Mutualiste grenoblois. En 60 ans d'existence, le GHM, établissement privé mais non-lucratif, est devenu le deuxième acteur de santé isérois. Salariés et habitants veulent créer une coopérative pour racheter "la Mut'".
Fin septembre 2019, nous apprenions que le conseil d'administration du Groupe Hospitalier Mutualiste avait décidé de vendre les cliniques mutualistes grenobloises. "Pour sauver l'offre de soin, en pérennisant l'activité ainsi que les emplois, alors que la structure est dans une situation financière très préoccupante", expliquait à l'époque la direction du groupe.Selon les chiffres qu'elle mettait en avant, le groupe accuse un déficit structurel avec des pertes qui atteignent en cumulé 17 millions d'euros pour 130 millions de chiffre d'affaires. Et un niveau d'endettement préoccupant de 21,9 milllions d'euros fin 2018, ce qui représente 150% des fonds propres.
La direction ajoutait que ce déficit structurel était en partie causé par la prise en charge intégrale par le GHM des dépassements d'honoraires qui ne sont ainsi pas répercutés sur les patients.
Les offres de rachat devaient être déposées fin janvier 2020, pour un choix final en juin. Adréa, l'associé majoritaire du GHM, déclarait rester "vigilant à ce que les éventuels candidats présentent une offre qui garantisse à la fois l'emploi et les conditions d'accueil des patients".
Une clinique privée, mais non-lucrative
Le GHM est un établissement de santé privé "d'intérêt collectif", à but non-lucratif, participant au service public hospitalier.
Autour de la clinique Mutualiste, la fameuse "Mut'", s'est construit en 60 ans un véritable groupe grenoblois, avec la clinique d'Alembert et le Centre Daniel Hollard.
En 2018, ce groupe employait plus de 1 200 salariés dont 200 médecins, enregistrait 33 000 passages aux Urgences, et près de 90 000 consultations externes.
Le GHM est actuellement détenu par Adréa Mutuelle (majoritaire) et la Mutualité Française. Cette dernière est le premier réseau privé non lucratif à capitaux français, qui compte à ce jour 85 établissements et pèse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
"Notre clinique n'est pas une marchandise"
C'est le slogan des salariés du GHM, qui ne veulent pas d'un rachat par le privé lucratif. Autour du syndicat FO, majoritaire au GHM, et des habitants du quartier Chorier-Berriat, un collectif des usagers a vu le jour.
Il s'inquiète de la vente "dans le but de faire de l'argent et non de permettre à toutes et tous de pouvoir se soigner".
Actuellement, le GHM soigne "gratuitement" les patients. Les soins sont intégralement pris en charge par l'Assurance Maladie. Pas de dépassement d'honoraires.
Salariés et habitants se sont retrouvés le 13 janvier dernier à l'Ampérage. La salle était archi-comble. Les usagers ont lancé une pétition signée à ce jour par plus de 7 000 personnes.
Pour Thierry Carron, secrétaire du syndicat FO et secrétaire du comité d'établissement de GHM, "cette décision purement mercantile piétine le long investissement de militants mutualistes locaux qui ont fait de ce groupement le deuxième par son importance sur le territoire national."
Thierry Carron ajoute : "si ces cliniques sont vendues, il ne restera, après le Centre Hospitalier de Grenoble, que des cliniques privées lucratives".
"En signant cette pétition, nous réclamons le maintien sur l'agglomération d'une réponse complémentaire. Une réponse qui ne rémunère pas d'actionnaires, qui est soucieuse de l'intérêt général, une prise en charge de qualité innovante qui promeut la démocratie sanitaire."
Une société coopérative ?
Salariés et habitants préparent actuellement un projet de SCIC, société coopérative d'intérêt collectif. A but non-lucratif.
Dans ce cadre, les salariés ne sont pas obligés d'acheter 51% des parts, contrairement à ce qui est demandé dans les SCOP.
"La SCIC est constituée de plusieurs collèges qui vont être les propriétaires de la structure", explique Thierry Carron.
"Dans le collège salariés, chaque associé aura une voix. Et chaque salarié pourra devenir associé en versant un montant minimum, par exemple 30 euros" poursuit Thierry Carron.
"Nous allons aussi, avec l'aide des experts des SCIC, chercher les financeurs de ce projet comme les collectivités territoriales, les mairies, la Métro, les mutuelles et les banques, la population grenobloise".
La réaction du maire de Grenoble
Eric Piolle nous a adressé un communiqué dans lequel il demande "à ce que l'offre de soins soit maintenue". La Ville a interpellé l'Agence Régionale de Santé pour faire part des ses craintes quant à la vente de La Mut'.
L'ARS lui a répondu qu'elle serait vigilante quant au maintien d'une offre de soins de qualité, mais qu'elle ne pouvait intervenir sur ce projet de vente, s'agissant d'une affaire entre acteurs privés.
Au regard de cette réponse "qui n'apporte aucune garantie quant à un éventuel repreneur qui viendrait spéculer (...) en délaissant les services les moins rentables", le maire a proposé un rendez-vous au directeur de l'ARS.
Eric Piolle écrit : "en plus d'impacter les populations les plus fragiles, la cession à un acteur à but lucratif aurait également des conséquences dramatiques pour les équipes du CHU déjà complètement pressurisées. En effet, ce sera vers cette institution que les personnes devront alors se retourner... si elles ne renoncent pas aux soins".
"J'ai demandé un report du délai du dépôt des dossiers de reprise prévu fin janvier. Des projets coopératifs (...) sont en train d'émerger. Il serait dommage voire dommageable qu'ils ne puissent pas être présentés faute de temps".
On ne sait pas pour autant si la Ville de Grenoble s'engagera concrètement dans la SCIC. Pas de commentaire non plus de la Métro pour l'instant.
Débrayage à La Mut' le 30 janvier
L'intersydicale de la Clinique Mutualiste organise un débrayage jeudi 30 janvier entre 12 et 14 heures. Cette manifestation aux portes de l'établissement réunira salariés et habitants.
Le président de l'Union de gestion du GHM de Grenoble, Edmond Giorgetti, nous apprend ce 22 janvier que la dette continue de s'accroître. "C'est une offre de soin performante, mais fragile économiquement. Notre déficit est structurel et non conjoncturel".
Quant à la date de clôture des offres, Edmond Giorgetti évoque la mi-février.
Le collectif d'usagers aura-t-il le temps de rédiger un projet sérieux d'ici là ? Une coopérative aurait-elle les reins assez solides pour faire face à la situation financière décrite par ses gestionnaires ?
On en saura peut-être plus le 30 janvier.