Il y a 74 ans, les deux Français Maurice Herzog et Louis Lachenal étaient les premiers alpinistes à gravir l'Annapurna et ainsi à franchir officiellement le seuil symbolique des 8 000 mètres. Encore célébré aujourd'hui au Népal, Maurice Herzog est resté dans les mémoires comme un héros alors que Louis Lachenal est davantage tombé dans l'oubli.
Le 3 juin 1950, l'altitude symbolique des 8 000 mètres est gravie par Maurice Herzog et Louis Lachenal. Ce duo d'alpiniste français est le premier à avoir atteint le sommet de l'Annapurna, culminant à 8 091 mètres au sein du massif de l'Himalaya. Cet exploit, accompli sans oxygène, avait retenti dans le monde entier. Les deux alpinistes n'en sont pas ressortis indemnes, Louis Lachenal a été amputé d'une partie de ses pieds et Maurice Herzog, de ses doigts et de ses orteils.
Encore aujourd'hui, cette dangereuse ascension est marquée par un taux de mortalité plus élevée que celle de l'Everest. Pour rendre hommage au 74e anniversaire de cette ascension, le Népal a dévoilé, ce lundi 3 juin, une statue à l'effigie de Maurice Herzog. En revanche, rien pour son compagnon de cordée Louis Lachenal. Cette célébration relance une vieille polémique entre les deux hommes.
La France au sommet : le récit national
En 1950, la réalisation de cette première ascension de l'Annapurna par deux Français permet de faire rayonner le drapeau tricolore dans le monde entier. Embourbée dans la guerre d'Indochine, la France tente encore de se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale. C’est dans ce contexte particulier que se monte l’expédition himalayenne. "On avait besoin de retrouver des occasions de fierté après une guerre que l’on n’avait pas gagnée tout seul", explique l'historien Yves Ballu.
On avait besoin de retrouver des occasions de fierté après une guerre que l’on n’avait pas gagnée tous seuls.
Yves Ballu, historien
Maurice Herzog, ancien résistant dans un bataillon de chasseurs alpins, incarne parfaitement ce gaullisme triomphant. Bien qu'étant le moins expérimenté de toute l'équipe, il est choisi pour diriger le cortège. À côté, l'Annécien Louis Lachenal n'est qu'un guide de haute montagne, bien que membre de la prestigieuse Compagnie des guides de Chamonix.
Avant de partir, Maurice Herzog et les autres membres de l'équipe ont passé un contrat. Tous se sont accordés à laisser l'exclusivité du récit à l'ancien résistant pendant cinq ans. "Tous ont joué le jeu parce qu’ils avaient envie d’aller dans l’Himalaya. Dans cette course aux 8 000, la parole est verrouillée et les récits doivent aller dans le sens des États", expliquait le réalisateur Johan Andrieux en 2020 lors de la sortie de son documentaire "Annapurna 1950, pour la patrie, par la montagne".
Publiée en une de Paris Match, la photo de Maurice Herzog sur le toit du monde est une consécration. La publication de son livre "Annapurna, premier 8 000" achève l'édification de son personnage en héros.
Héroïque ou inconscient ?
Mais quelques mois avant sa mort accidentelle dans une crevasse du Mont-Blanc, Louis Lachenal avait entrepris d'écrire son propre récit de l'ascension. Il faudra attendre 1996, soit 41 ans après sa mort, pour lire la version intégrale de ses "Carnets du vertige", dont le premier livre en 1956 avait été interdit à la vente. Il ternissait l’image du héros Maurice Herzog.
Lors de l'ascension, la question de continuer se pose au vu des conditions. Louis Lachenal fait honneur à son éthique de guide et se force à continuer. Malgré les risques, il refuse de laisser partir son compagnon de cordée, enivré par les envies de gloires, vers une mort quasi certaine : "Moi, je voulais descendre. J'ai posé à Maurice la question de savoir ce qu'il ferait dans ce cas. Il m'a dit qu'il continuerait. Je n'avais pas à juger de ses raisons ; l'alpinisme est une chose trop personnelle. Mais j'estimais que s'il continuait seul, il ne reviendrait pas. C'est pour lui et pour lui seul que je n'ai pas fait demi-tour. Cette marche au sommet n'était pas une affaire de prestige national. C'était une affaire de cordée".
Légende ou légendaire ?
À leur retour, Maurice Herzog et Louis Lachenal sont reçus à l’Élysée par le Président Vincent Auriol. La réussite de cette ascension est celle d'une équipe de neuf alpinistes, sans compter les nombreux porteurs et sherpas mais Maurice Herzog est le seul à véritablement entrer dans la légende. Il devient par la suite Haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, puis secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports. Élu député de la Haute-Savoie, il sera maire de Chamonix de 1968 à 1977.
Mais sont-ils vraiment allés au sommet ? Pour certains, le doute persiste. Le paysage et le sommet ne sont visibles sur aucun cliché pris pendant l'ascension. La description de l'itinéraire emprunté est restée imprécise. "On doute depuis l'origine, ce qui, dans le milieu, est assez rare. La règle, c'est de laisser un souvenir là-haut, un cairn, pour attester son passage. Or, au sommet de l'Annapurna, il n'y a rien", avait raconté l'historien de la montagne Yves Ballu, dans une interview accordée après le décès de Maurice Herzog.