Professeur de santé publique à Grenoble, Philippe Cinquin mène des recherches sur la réutilisation des masques chirurgicaux. Les premiers résultats montrent qu'ils pourraient être lavés jusqu'à dix fois en machine, mais un frein législatif entrave la poursuite des tests.
On en voit partout, abandonnés sur la chaussée ou dans les poubelles. Avec la pandémie de Covid-19, les masques chirurgicaux ont envahi notre quotidien. Obligatoires au travail, dans les transports, dans la rue... Nombre d'entre eux finissent dans la nature où ils mettent 400 ans à se décomposer.
Cette pollution pourrait-elle être évitée ? Une étude publiée par l'UFC-Que choisir mardi 10 novembre a replacé cette question au centre du débat. L'association avance que les masques chirurgicaux peuvent être lavés jusqu'à dix fois sans que leur qualité de filtration ne soit altérée. Des résultats qui vont dans le sens des recherches menées par le professeur Philippe Cinquin, chercheur à l'université Grenoble Alpes-CNRS.
#Masques chirurgicaux - Vous pouvez les laver et les réutiliser !
— UFC-Que Choisir (@UFCquechoisir) November 10, 2020
Bonne nouvelle pour le porte-monnaie et la planète ! Les masques chirurgicaux conservent de très bonnes capacités de filtration après 10 lavages en machine à 60 °C.
? https://t.co/7cU0hr5yLe pic.twitter.com/vMR69csAyM
Le professeur de santé publique a commencé ses travaux au printemps, lors du premier confinement. "A cette époque, il y avait une tension énorme sur les masques et il y avait même une inquiétude sur le fait qu'on puisse continuer à équiper" les soignants, se rappelle-t-il. Un consortium de médecins, scientifiques et industriels grenoblois s'est alors formé pour élaborer un protocole permettant de réutiliser ces masques que les autorités sanitaires conseillent de jeter au bout de 4 heures d'utilisation.
Les premiers résultats démontrent que les masques chirurgicaux garderaient des propriétés de filtration conforme à la norme au bout de dix lavages en machine. Et pourraient donc être réutilisés par le grand public. Mais la poursuite de ces recherches se heurte à un frein législatif.
"On a eu une réponse où [l'Agence nationale de sécurité du médicament, NDLR] nous disait : 'On ne va pas regarder votre protocole parce qu'il y a deux choses qui nous gênent. D'une part, il existe un décret qui interdit la réutilisation de dispositifs à usage unique. Et d'autre part, vous ne faites pas progresser la connaissance biologique et médicale'", explique le Pr Cinquin. Impossible, donc, de passer aux tests en conditions réelles qui permettraient de valider le protocole.
"Situation assez triste"
Il s'agirait de sélectionner des volontaires qui se prêteraient à l'exercice pour comparer ces nouveaux résultats avec ceux obtenus en laboratoire. Sans cette étape, il est encore trop tôt pour formuler des recommandations au grand public, selon le chercheur, se disant toutefois "très confiant" des résultats attendus. Cela porterait la durée de vie de ces masques de 4 à 40 heures d'utilisation.
"On est dans une situation assez triste où on a une solution qui pourrait être utilisée en toute sécurité avec un impact écologique et économique considérable. On espère que ce cadre évoluera et qu'on sera en mesure d'aller un cran plus loin", souhaite-t-il.
La direction générale de la santé (DGS) préfère, pour l'heure, rester prudente. "En principe, et selon les recommandations du Haut Conseil de la santé publique, les masques chirurgicaux à usage unique doivent être jetés dans une poubelle après utilisation", a-t-elle réaffirmé jeudi à France Télévisions, précisant que "des travaux sont en cours en France pour étudier si une éventuelle réutilisation est possible garantissant leur efficacité et leur capacité de filtration".