Ludovic Bertin a livré, ce mercredi, sa version des faits sur la mort de Victorine Dartois. Jugé pour meurtre précédé d'une tentative de viol, il a reconnu avoir donné la mort à l'étudiante de 18 ans mais contesté la motivation sexuelle.
"J’ai complètement pété un câble ce jour-là." Après avoir annoncé qu'il garderait le silence, Ludovic Bertin s'est résigné à prendre la parole ce mercredi 4 décembre devant la cour d'assises de l'Isère. Dans une longue déposition, il a livré sa version des faits sur le meurtre de Victorine Dartois, le 26 septembre 2020 à Villefontaine (Isère). Une journée "banale" lors de laquelle "tout a dérapé".
Ce samedi-là, l'accusé, chef d'entreprise, se lève à 6 heures pour remplacer l'un de ses chauffeurs qui ne s'est pas présenté au travail. "Je dis bonjour à tout le monde. Je regarde ce que je dois faire, je ne connais pas la tournée. On me dit que c’est une journée calme. Je prends un dernier café et je pars tout seul dans mon camion", déroule le jeune homme de 29 ans, pull noir et montre au poignet.
Il est 11h30. La tournée est terminée, c'est "le début de mon week-end", dit-il. Comme souvent, il part retrouver son ami Yohane en début d'après-midi. "On discute. Il avait plein de projets en tête, il me demande souvent des conseils. J’essaye de l’aider. On se partage trois bières. (...) Ma femme me contacte et me demande de passer récupérer des médicaments à la pharmacie", explique Ludovic Bertin, les mains posées sur le rebord du box.
Le père de famille prend la route en quête d'une officine, rentre chez lui. "Il me reste une heure avant que ma femme arrive", dit celui qui avait déjà consommé "quelques (rails) de cocaïne" au cours de la journée. "Avec le temps, il fallait que je prenne beaucoup plus de cocaïne pour avoir les effets recherchés. Sinon, j’avais les mauvais effets, du mal à parler, ajoute-t-il, se disant dépendant. Ma solution, c’est de prendre l’air, faire un tour et ça allait partir."
"Je l'ai attrapée par le cou"
Prendre l'air, et peut-être courir. Malgré des témoins quasi-unanimes selon lesquels Ludovic Bertin ne faisait plus de footing, celui-ci maintient ses déclarations : "J’ai couru, c’est avéré." Le jeune homme apparaît sur des images de vidéosurveillance peu avant 19 heures, vêtu d'un jogging et d'un sweat gris.
"Sur les caméras, on voit un mec qui court, pas un mec qui rôde. C’est jour de match, je sais que (Benjamin*) joue. Il y a du monde. Si je veux faire un truc de dingue comme ça, c’est pas là-bas que j’irais faire ces atrocités, en bas de chez moi", assure-t-il en agitant les bras, jetant de brefs regards à la famille de Victorine Dartois.
C'est sur un petit escalier bordant le stade la Prairie que "tout dérape". Sur la onzième marche, assurera l'accusé, il bouscule Victorine Dartois. "Pour sa famille, ce n'est peut-être pas envisageable mais elle m’a mal parlé. J’ai mal réagi. Je l’ai attrapée par le cou", poursuit Ludovic Bertin d'un ton plus saccadé.
Un premier étranglement qu'il présente comme une réaction à "l’insulte" prononcée par la victime, que tous ses proches ont décrite comme étant timide, douce et peureuse vis-à-vis des hommes. Ludovic Bertin affirme "relâcher" Victorine Dartois qu'il voit tituber avant un "ultime coup de folie". "Je suis retourné vers elle, je l’ai attrapé de la même manière et j’ai serré, j’ai serré, j’ai serré… J’ai complètement pété un câble ce jour-là. Ça m’a paru super long, interminable", raconte-t-il.
L'accusé nie la tentative de viol
Victorine Dartois tombe "inconsciente", selon le jeune homme qui réunit les affaires de la victime pour "disparaître de là". "Je vois le ruisseau en contrebas, très difficile d’accès. La tirer par les jambes, c’était pas possible, ça bloquait. J’attrapais son bras, je tirais", mime l'accusé qui lui retire aussi son pantalon pour "faire disparaître les preuves", selon lui.
Un point sur lequel Ludovic Bertin a varié à de nombreuses reprises pendant l'instruction. "J’avais du mal à dire que j’avais enlevé son pantalon et les chaussures", reconnaît-il en niant la tentative de viol pour laquelle il est également jugé. "C'est pour ça que j’ai du mal à accepter le fait d’avoir enlevé un pantalon, parce que des gens y voient une tentative de viol, mais non."
Selon une analyste comportementale de la gendarmerie entendue jeudi par la cour, le mobile sexuel ne faisait aucun doute. "Le meurtre de Victorine Dartois est clairement à connotation sexuelle, la motivation était sexuelle", a-t-elle assuré. Ludovic Bertin n'a pas reconnu la tentative de viol "en raison de la perte d’estime de lui-même et de l’image qu’il allait renvoyer aux autres. Cela lui était insupportable", a déclaré l'experte qui a assisté à sa première garde à vue.
Ludovic Bertin affirme jeter le corps de l'étudiante de 18 ans au pied d'un déversoir avant de rentrer chez lui. "Quand je me réveille, c’est Samia* [son ex-femme, NDLR] qui me dit qu’ils cherchent une fille qui s’appelle Victorine. Je comprends que c’est réel, que c'est pas un rêve. C’est le début du cauchemar, de ma nouvelle vie", dit-il avant de s’effondrer en larmes.
Des questions en suspens
"Je peux pas me rendre, j’y arrive pas, je vais sûrement devoir me suicider, c’était la seule solution", affirme l’accusé alors que la famille Dartois le scrute, bras croisés. Le père de famille se confie sur son geste auprès de son meilleur ami Maxime* qui le dénoncera aux gendarmes quelques jours plus tard. Ludovic Bertin est interpellé à une station-service le 13 octobre 2020. Une arme avec laquelle il comptait se "suicider" est découverte dans le vide-poche de son véhicule.
Plusieurs questions restent toutefois sans réponse. "Comment pouvez-vous vous retrouver derrière Victorine à l’escalier sachant que vous êtes tous les deux au début du chemin à 18h49", demande la présidente. "Il y a une hypothèse, suggère la magistrate, vous doublez (Victorine et un promeneur) au début du chemin, vous continuez votre chemin et lorsque Victorine arrive en haut de l’escalier, vous y êtes et vous l’attendez. Sinon, comment l’expliquer ?"
Ludovic Bertin affirme qu'il n'est "pas d’accord" avec ce scénario, sans proposer d'explication. Pourquoi l'accusé ne s'est-il pas rendu compte que Victorine Dartois, décédée par noyade, était vivante lorsqu'il la jette dans l'eau ? "Elle est inconsciente. Pour moi, elle était morte. Le deuxième étranglement a été long. Tant qu’il y avait des signes de vie, je lâchais pas." Pourquoi le corps de la victime a-t-il été retrouvé jambes et bras croisés ? "C’est comme ça qu’elle est arrivée."
Questionné par son avocat, Me Arnaud Adélise, Ludovic Bertin s'est adressé à la famille de la victime : "Je voulais demander pardon. Je compte leur redemander pardon mais ce n’est pas facile pour moi. À leur place, je n’aurais pas accepté. Je comprendrais que ça ne soit pas accepté."
La famille Dartois est restée au premier rang de la salle d'audience tout au long de la déposition de l'accusé, les yeux rivés sur son box. "On est tous dans le même camp ici. Je sais qu’il faut que je paye", conclut Ludovic Bertin dans une réaction de stupeur générale.
* Prénom d'emprunt.