En août dernier, 130 hectares de forêt sont partis en fumée sur les contreforts de la Chartreuse, au-dessus de Voreppe, en Isère. Deux mois après l’incendie, la végétation revient. Mais il faudra attendre plusieurs décennies pour que l’écosystème se régénère.
C’est un paysage dévasté, fait de cendres, de roches à vif, et d’arbres brûlés. Au bord de la RD520A, qui mène au col de la Placette après Voreppe (Isère), les traces de l’incendie sautent toujours aux yeux.
"Ça sent encore le carbonisé", remarque Anaëlle Atamaniuk. Tandis qu’elle marche sur les hauteurs de la Chapelle Fronçon en essayant d’éviter les bois noircis, cette chargée de mission faune pour la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) essaye de mesurer l’impact de l’incendie sur la biodiversité. "Ça se compte en dizaine de milliers d’individus", regrette-t-elle.
Des victimes invisibles
Aucun être humain n’est mort pendant cet incendie, qui a mobilisé plus de 200 pompiers du 5 au 15 août dernier. Pourtant, il a fait des dizaines de milliers de victimes invisibles, entre les insectes, les reptiles et les petits mammifères piégés par les flammes. La vidéo ci-dessous témoigne de la violence des flammes, notamment pendant la nuit.
"Là, vous voyez par exemple, on pourrait imaginer que c’est un trou de mulot sylvestre, explique-t-elle en montrant du doigt un trou large comme une balle de golf, dissimulé entre les racines d’un arbre. Et lui, il n’a qu’un seul but dans sa vie, c’est survivre. Donc quand il voit que le feu est là, il pense que sa sécurité est sous terre dans son terrier. Et il y a de fortes chances pour qu’il y soit mort brûlé".
Et pour les espèces rescapées, comme les chevreuils et les oiseaux, la lutte pour la survie continue même deux mois après le sinistre. "Ces animaux-là vont être confrontés à des conflits de territoire. Car lorsqu’ils fuient, ils se retrouvent sur un nouveau territoire déjà occupé. Ils devront donc en occuper un nouveau, le défendre, trouver de la nourriture. Et avec les problèmes de sécheresse et de canicule subis cet été, c’est un traumatisme de plus."
C’est même un traumatisme pour tout l’écosystème de cette zone escarpée. Au total, 130 hectares de forêts privées, composées de buissons, d’arbustes et de chênes, sont partis en fumée à cause d’un impact de foudre.
"On voit que cet arbre a été calciné et que l’écorce commence à se rétracter, souligne Hervé Gléréan, technicien forestier à l'Office National des Forêts (ONF), en glissant son doigt sur une longue fissure striant le tronc d’un chêne pubescent. On estime que lorsqu’on atteint une température de 60 degrés sous l’écorce, les tissus internes de l’arbre vont mourir. Donc celui-là, on est sûr qu’il n’a plus d’avenir."
Outre les arbustes, la plupart des chênes carbonisés avaient entre 60 et 80 ans. Il faudra donc patienter de longues années avant de retrouver un paysage similaire à celui qui a brûlé. "Nous ne le verrons pas de notre vivant", précise le forestier.
Mais la nature est résiliente. Sous les cendres, de jeunes pousses apparaissent déjà. Surtout des ronces et des buissons. Mais ce n’est qu’un début : au printemps prochain, la colonisation de la forêt va recommencer. "La vie va reprendre, confirme-t-il. A partir des souches qui ne sont pas totalement calcinées, on a des rejets de chênes pubescents qui se développent. On a aussi une banque de graines dans le sol. Beaucoup ont brûlé, mais il en reste encore."
Sur ces falaises abruptes et peu accessibles, les acteurs de la filière forestière préfèrent "laisser la nature reprendre ses droits". Lors d’une réunion organisée ce vendredi 21 octobre en présence de l’ONF, de la Direction Départementale des Territoires, des élus locaux et d’associations environnementales, il a été décidé qu’aucun arbre ne serait replanté. "Vu la zone sinistrée, tout le monde est d’accord pour laisser faire la nature. Les premières repousses montrent que le milieu peut se régénérer, résume Luc Rémond, le maire de Voreppe. Il faudra juste couper les troncs brûlés pour les mettre en travers et retenir les roches".
Mieux vaut prévenir que guérir
Probables conséquences du réchauffement climatique, les épisodes de canicules et de sécheresse sont de plus en plus fréquents. En seulement 20 ans, le nombre de feux de forêts a été multiplié par deux dans le monde. Et cet été 2022, la France a battu son record d’incendies.
Alors pour limiter les risques en Chartreuse, un groupe de travail piloté par le Parc Naturel Régional doit se réunir prochainement. Il devra établir, s’il est nécessaire, d’aménager des pistes d’accès dans la forêt, afin de faciliter le travail des pompiers en cas de feu. Des réserves d’eau pourraient aussi être installées.
Fin octobre, la mairie de Voreppe organise de son côté une réunion avec les propriétaires de parcelles boisées. L’objectif est de leur rappeler leurs obligations légales de débroussailler les terrains, afin de limiter les départs de feu lors d’épisodes de sécheresse. "C’est le moment d’anticiper, car s’ils attendent l’été prochain, il sera trop tard", prévient le premier édile.