Plan cancer : à Grenoble, 20 ans d'innovations et d'expérimentations sur la prise en charge de la maladie

Emmanuel Macron a présenté le 4 février les grandes lignes du prochain "plan cancer". Retour sur 20 ans de recherches et d'expérimentations dans la lutte contre le cancer, à travers cinq innovations développées et testées à Grenoble

L'objectif est clair : diminuer d'un tiers les morts du cancer en France. C'est en tout cas la volonté affichée par le président de la République Emmanuel Macron, en présentant la stratégie décennale contre le cancer (ou "plan cancer") le 4 février dernier. Un objectif à atteindre en mettant l'accent sur la prévention et le dépistage, mais aussi sur la recherche.

Le budget des cinq premières années du plan décennal sera ainsi porté à 1,7 milliard d'euros pour 2021-2025, a promis le chef de l'Etat. Soit une hausse de 20% des moyens déployés contre une maladie qui reste la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes (150 000 morts par an) en France. Et la moitié de ce budget sera consacré à la recherche médicale.

"C'est un effort très significatif fait par la France", estime le professeur Pierre Hainaut, président du Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (Clara). Pour lui, ce plan décennal est "porteur de promesses d'avoir une action efficace", et montre "une volonté d'innover dans la prise en charge, au niveau sociétal, du cancer", qui est pour lui "le problème numéro 1 en santé publique" dans l'Hexagone. 

Les plans cancer, c'est une histoire de plus de 20 ans, née des Etats généraux des malades atteints de cancer de 1998, prévus pour organiser une réponse au niveau de la santé publique, à la fois en matière de prévention, de dépistage, de traitements et d'accompagnement. "Il y a 30 ans, un diagnostic de cancer était une condamnation. Aujourd’hui, on a des épisodes de rémission pour des cancers qu’on considérait incurables il y a 10 ans", se réjouit Pierre Hainaut. En partie grâce aux plans cancer ?

Depuis 20 ans, une "révolution" des pratiques

La prise en charge du cancer a considérablement évolué ces dernières années, grâce à la recherche et l'avancement de la connaissance médicale en particulier. Et notamment en Isère :

Grenoble est un pole de recherche sur le cancer de dimension nationale et internationale. La région Auvergne-Rhône-Alpes pèse pour 10% de la recherche sur le cancer en France, la deuxième région derrière Paris en matière de brevets. Et Grenoble représente un tiers des brevets en AURA.

Pierre Hainaut, président du Clara

La recherche sur le cancer en Isère a ainsi pu s'appuyer sur le puissant "plateau de recherche technique et fondamental de niveau mondial" de Grenoble. "En vaccinologie, Grenoble a été leader sur le développement de cellules présentatrices d'antigènes", précise le professeur. Autrement dit : le développement de cellules qui, une fois injectées dans le corps, sont capables de présenter la signature d'une tumeur au système immunitaire, pour l'aider à identifier et combattre le cancer. 

Autre preuve de l'innovation grenoblose : l'Institut pour l'Avancée des Biosciences (IAB), basé à Grenoble et dont Pierre Hainaut est directeur, a produit 1 200 publications scientifiques et une trentaine de brevets, souvent porteurs d'innovations en matière de traitement des cancers.

Et du côté des patients...

En 2004, la pharmacienne et épidémiologiste Leila Gofti-Laroche arrive au CHU avec pour mission de décliner sur le terrain les mesures prévues par le premier plan cancer. Et notamment ce qu'elle estime être "une des révolutions" de ce plan : "La qualité des soins le vécu des patients sont autant dépendants de l'expertise médicale que de paramètres organisationnels." Par exemple, il y a 20 ans, "des médecins annonçaient un diagnostic de cancer sur un répondeur", explique-t-elle. Une pratique aujourd'hui interdite, alors qu'est désormais imposée la programmation d'une consultation d'annonce entre le médecin et le patient.

Et même si "l'hôpital de Grenoble n'a pas le dimensionnement des grands hôpitaux parisiens ou lyonnais", comme le concède Pierre Hainaut, le CHU a tout de même pu faire son bonhomme de chemin dans l'expérimentation contre le cancer. Les équipes répondaient "à des appels d'offres issus des plans cancer, pour expérimenter puis pérenniser le soutien psychologique, les équipes mobiles de recherche clinique, etc", explique Leila Gofti-Laroche.

Voici quelques exemples de progrès made in Grenoble dans la lutte contre le cancer :

  • La biologie moléculaire, cibler la tumeur

L'IAB a piloté la mise en place d'un plateau de séquençage du génome des tumeurs, qui permettent d'identifier les différentes mutations d'un cancer, et ainsi d'adapter le traitement en fonction.

Ainsi, en l'espace de deux décennies, "on s'est rendu compte que ce qui était important, c'était pas toujours le siège de la tumeur que les caractéristiques de la tumeur", explique Leila Gofti-Laroche, qui s'est depuis investie dans la RCP de génétique moléculaire des cancers, et a intégré le service d’oncopédiatrie et l'équipe AJA de l'hôpital de Grenoble.

Dans les années 1990, "pour chaque cancer du poumon de stade 3 opérable mais agressif, on faisait une chirurgie et une chimio, c'était pareil pour tout le monde", rappelle Pierre Hainaut. Désormais, en séquençant le génome des tumeurs, les médecins sont capables de prédire "à quel [traitement] les patients répondront le mieux".

  • Les RCP, la meilleure prise en charge possible

Dans le cadre de sa mission, Leila Gofti-Laroche a, avec le professeur Michel Bolla, accompagné le développement à Grenoble des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), qui réunissent des professionnels de différentes spécialités pour évaluer de manière personnalisé la situation de chaque patient et faire des recommandations de traitements. "Un cancer du sein n'est plus aujourd'hui traité en ville par un gynécologue seul", précise-t-elle, mais va mobiliser l'apport d'un cancérologue, d'un gynécologue, d'un radiothérapeute, de biologistes, de pharmaciens, etc. 

Ces RCP peuvent réunir entre trois et une quinzaine de praticiens, et sont au nombre de 24 chaque semaine à Grenoble, soit trois fois plus que lors de la promulgation du premier plan cancer en 2003. "Quand les RCP ont été généralisées, il y en avait déjà au CHU depuis 1980, affirme la praticienne. Grenoble avait 20 ans d'avance."

Ces RCP ont pour but d'"apporter le top de la connaissance disponible". Une mise en commun devenue nécessaire à cause de "l’accumulation exponentielle des connaissances en médecine", affirme Leila Gofti-Laroche. Un médecin seul "ne peut plus tout savoir. Il n’y a plus un cerveau humain qui peut suivre".

  • L'intelligence artificielle au service de la lutte contre le cancer

L'innovation grenobloise souhaite aussi apporter sa solution à ce problème de stockage limité du cerveau humain. La startup Reckonect, incubée à Grenoble, souhaite ainsi "créer des outils d’intelligence artificielle qui permettent au médecin de visualiser les connaissances mondiales [accessibles en open source, ndlr], de facon à aider à décider la meilleure thérapie", se réjouit Pierre Hainaut. 

Toujours sur la corde de l'intelligence artificielle -domaine dans lequel "Grenoble est leader" selon Pierre Hainaut-, le centre de recherche TIMC travaille à regrouper les données médicales des hôpitaux, de la médecine de ville, de la sécurité sociale, ainsi que les registres épidémiologiques, afin de constituer un "big data" médical. Objectif : discerner des parcours de patients, mesurer leurs trajectoires avant, pendant et après le cancer, et évaluer l'influence de l'environnement sur ce parcours.

  • La prise en charge psychologique et sociale

Depuis les années 90, la manière d’aborder le parcours de soins des patients a beaucoup évolué, du fait de la guérison d’un plus grand nombre de malades. "Avant, on traitait pour sauver, à tout prix. Malheureusement, certains patients guéris gardaient des séquelles importantes liées aux traitements, et certains jeunes patients par exemple avaient été rendus stériles", se souvient Leila Gofti-Laroche. Une approche qui a considérablement évolué depuis : "Il y a 20 ans, on parlait de prise en charge des séquelles. Aujourd'hui, on fait de la prévention, en amont."

Le vécu du cancer est très fortement dépendant de la qualité de l'accompagnement du patient, et pas seulement de l'efficacité de son traitement. Le CHU de Grenoble a ainsi été l'un des premiers établissements de France à expérimenter le fait d'"avoir des psychologues directement dans les services". "Pour certains patients, le cancer n'est même pas la chose plus grave qui leur arrive", se désole la praticienne.

L'accompagnement des patients se fait également grâce à l'intervention d'assistants sociaux, qui montent des dossiers de "demandes d'aides, comme les tiers temps pour les jeunes, ou pour accéder à certains droits, à mettre en place les aides à la vie quotidienne, pour le retour à la maison, le retour au travail, l’accès à des formations adaptées". 

Des initiatives, émergées des plans cancer, qui permettent à des patients "guéris" du cancer de retrouver un état de bonne santé "au sens de l'OMS, soit un état de bien-être physique, mental et social, et pas seulement une absence de pathologie", précise Leila Gofti-Laroche. 

  • La vie hors de l'hôpital

"95% de son temps, le patient le passe chez lui. Pourtant, beaucoup de moyens sont accordés à l'hôpital et trop peu aux professionnels de ville. C'est comme si, hors de l'hôpital, il n'existait pas", estime Leila Gofti-Laroche. La praticienne connait le sujet : ella avait été missionnée par l'ARS entre 2004 et 2012  pour améliorer et structurer le lien médecine de ville-hôpital en Isère. C'est à cette période que le CHU est devenu pionnier de la chimiothérapie à domicile.

Autre initiative grenobloise, l'essai "Elan Rev" a mis en avant "l'intérêt de pratiquer une activité physique adaptée pour les patients atteints de cancer, dès le début du traitement", ajoute la praticienne : 

Pendant des années, le cancer fait perdre beaucoup d'autonomie. Le corps médical décide du planning, des allées et venues … et puis à la fin des traitements, le patient s’entend souvent dire : "C’est bon, reprenez le cours de votre vie". Le sport, en plus des effets positifs sur la santé, c’est aussi une façon de permettre au patient de rester acteur de son corps et de sa vie, et lui faciliter le retour à la vie « « normale ».

Leila Gofti-Laroche, praticienne hospitalière au CHU de Grenoble

Et maintenant ?

Pierre Hainaut et Leila Gofti-Laroche s'accordent sur la révolution qu'a connu le traitement et la prise en charge du cancer ces vingt dernières années. Des changements si spectaculaires qu'il est possible de se demander : le cancer va-t-il disparaître ? "L'idée de dire que nous pourrions vivre dans un monde débarrassé du cancer est une réalité", se réjouit le président du Clara. 

Evidemment, "il restera des cancers foudroyants". Mais Pierre Hainaut note que la conjonction des politiques de prévention et des nouvelles techniques de prise en charge sont suffisantes pour réduire drastiquement la mortalité des cancers dans les prochaines décennies. "Avec tout ce qu'on sait de l'impact environnemental [tabac, alcool, sédentarisation, alimentation, etc, ndlr], on pourrait prévenir 40% des cas de cancers", rien que ça.

Car, si 50% des 1,7 milliards d'euros du nouveau plan cancer seront perfusés dans les veines de la recherche, la prévention aura aussi son coup de pouce. Emmanuel Macron dit viser une future "génération sans tabac". "Attention aux déclarations d'intentions qui ne sont pas encore votées", avertit de son côté Leila Gofti-Laroche. 

A Grenoble, comme ailleurs en France, les progrès continuent, mais seul le temps permettra d'évaluer réellement les effets de la politique actuelle.

 

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