PORTRAIT. "Le foot comme tremplin vers l'inclusion" : avec Soccer de rue, Meriem Naili œuvre à la réinsertion des personnes en grande précarité

Enseignante-chercheuse en droit à l'université de Grenoble, Meriem Naili a co-fondé Soccer de rue, une association qui mise sur le football pour faciliter la réinsertion de toutes les personnes victimes d'exclusion. À quelques jours de la journée internationale des droits des femmes, France 3 Alpes vous fait découvrir cette femme inspirante.

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Elle jongle entre les cours et les entraînements, entre les étudiants en droit et les apprentis footballeurs. De la fac aux terrains, la vie de Meriem Naili tourne autour des droits de l'Homme.

Cette Grenobloise de 36 ans, enseignante-chercheuse en droit à l'université Grenoble-Alpes, a créé Soccer de rue en octobre 2020 avec Robin Lamothe, éducateur sportif chez Handigarde. L'association est née de leur "passion commune pour le foot et d'une volonté de solidarité" pour lutter "contre la précarité et l'isolement". 

Quatre fois par semaine, elle est donc coach et entraîneure d'hommes et de femmes "qui souffrent de tous types d'exclusion, qu'elle soit sociale, économique ou familiale", dit-elle.

Sans-abris, sans-papiers, sans repères

"On a des personnes qui dorment dehors, d'autres qui sont en centres d'hébergement. On a des personnes qui ont un appartement mais qui sont complètement décrochées du monde du travail ou en décrochage scolaire, des personnes sans papiers, des réfugiés, des demandeurs d'asile, des personnes qui sortent de prison, des personnes qui ont fait des séjours en hôpital psychiatrique, d'autres qui ont été en désintoxication. On a des femmes qui ont été victimes de violences conjugales, ou de la prostitution", détaille la trentenaire.

L'idée, c'est de créer du lien sur le terrain, pour que ce lien perdure en dehors du terrain

Meriem Naili

co-fondatrice de Soccer de rue

Ils se retrouvent pendant deux heures pour courir, taper dans un ballon, se dépenser physiquement mais surtout retisser des relations sociales.

"L'idée, c'est de créer du lien sur le terrain, pour que ce lien perdure en dehors du terrain : proposer à des personnes qui sont en rupture souvent à un stade assez avancé, de renouer avec la convivialité, la camaraderie, l'esprit d'équipe, l'entraide, pour qu'elles puissent ensuite renouer avec tout ça en dehors du terrain", explique Meriem Naili.

Le football comme support de la réinsertion

Le sport pour la santé, le sport comme vecteur de solidarité. Le temps de l'entraînement au stade Raymond Espagnac ou sur le practice à côté du gymnase Malherbe, les joueurs oublient leurs addictions, leur mal-logement, leur solitude. Ils retrouvent un cadre, des horaires, des rendez-vous à heure fixe, le plaisir d'une douche chaude.

Ballon au pied, Meriem Naili organise le jeu pour les aider à réorganiser un peu leur vie. "On voit les bienfaits en fonction du nombre de personnes qui arrivent ou à l'inverse des personnes qui ne viennent plus parce qu'elles ont trouvé une autre activité, ou une activité professionnelle. Le foot leur a servi de tremplin pour faire d'autres choses".

Une attaquante venue au football "sur le tard"

La jeune femme a découvert le football "sur le tard", vers 16-17 ans. Cette enfant du quartier Saint-Bruno à Grenoble jouait au handball, mais à l'adolescence son corps change, et elle souffre de troubles du comportement alimentaire. Elle opte alors pour le football où "il n'y a quasiment pas de contacts physiques et où il suffit d'être rapide", dit-elle.

D'avoir un rôle à jouer sur le terrain, cela m'a permis dans la vie de me rendre compte du rôle que j'avais à jouer ailleurs

Meriem Naili

L'émancipation au bout des crampons

Le foot de rue, mixte, avec les copains, l'aide à prendre confiance en elle, pendant les années lycée. "J'étais un petit peu un garçon manqué, j'étais un peu la tête de turc au collège et au lycée : première de la classe avec mon appareil, mes lunettes et mon acnée...", raconte-t-elle.

"D'avoir trouvé dans une équipe de foot du lien, d'avoir été considérée, d'avoir un rôle à jouer sur le terrain, cela m'a permis dans la vie de me rendre compte du rôle que j'avais à jouer ailleurs", poursuit-elle.

Une idée venue d'Irlande du Nord

Après ses études de droit à Grenoble, Meriem Naili s'expatrie en Irlande du Nord. À nouveau, la juriste se sent isolée et rejoint un club de foot pour s'intégrer. L'attaquante y apprend plus que des tactiques de jeu.

Au sein de "Street soccer Northern Ireland", elle découvre "tout ce qu'il se passait à côté du foot, l'intégration par le foot". Le projet la séduit. Elle devient bénévole puis membre du bureau de l'association.

Quelques années plus tard, elle reprend ses études et devient doctorante en droit international. Après le Brexit et le premier confinement, elle revient à Grenoble avec l'idée de créer une structure similaire à celle de l'Irlande du Nord. Depuis, l'idée est devenue un projet puis une association, récemment distinguée par la ville de Grenoble lors des Trophées des sports 2024.

Une trentaine de licenciés

Trois ans après les premiers entraînements, Soccer de rue est passé d'une poignée de bénéficiaires à une trentaine de licenciés. L'association finance l'équipement, les gourdes, la licence auprès de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), et les déplacements.

Certains viennent jouer de manière occasionnelle, d'autres sont assidus pour faire partie des équipes à 5 ou à 7, engagées dans les compétitions. L'association est mixte. Les femmes sont encore minoritaires mais de plus en plus nombreuses, au point de pouvoir désormais leur réserver des créneaux d'entraînement spécifiques et monter une équipe.

Aider les femmes à prendre confiance

"Il y a encore beaucoup de préjugés autour du foot, qui font qu'on l'associe encore à un sport d'hommes", estime la footballeuse. "Quand on va frapper aux portes des associations qui aident les femmes en difficulté, on dit 'foot' et on voit nos interlocuteurs lever les sourcils", raconte-t-elle.

Rapport au corps, déficit de confiance en soi, Meriem Naili tente de faire tomber les barrières.

"Ce sont des décennies de travail. Ce n'est pas en quelques années de Soccer de rue qu'on va changer ça. Mais nos bénéficiaires femmes sont maintenant les porte-parole des activités que nous faisons auprès d'autres femmes. C'est un cercle vertueux", dit-elle. 

Porter le maillot français

L'équipe féminine a déjà participé à des tournois internationaux à Madrid, en Pologne ou aux Etats-Unis. 

Avec le collectif "En jeu" basé à Montpellier, Meriem Naili travaille à la création d'une équipe de France féminine pour participer à la coupe du monde des sans-abris ("homeless world cup fondation").

"Les personnes qui sont éligibles à ces tournois-là n'ont pas forcément la nationalité française, ce sont des personnes qui sont réfugiées par exemple, ou des personnes qui ont des titres de séjour en France", explique la professeure de droit. Elles peuvent donc porter les couleurs de la France. 

"C'est encore un autre niveau d'insertion et d'inclusion", se réjouit Meriem Naili.

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