PORTRAIT. "Il faut donner aux femmes des modèles" : Elodie Le Comte, guide de haute montagne, encourage les femmes alpinistes à atteindre les sommets

Elle fait partie des 2,5% de femmes guides de haute montagne en France. Formatrice à l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme à Chamonix, Elodie Le Comte co-encadre pour la deuxième année une promotion 100% féminine. Objectif : donner un coup d'accélérateur à la féminisation du métier et du milieu montagnard. À la veille de la journée internationale des droits des femmes, France 3 Alpes vous fait découvrir cette femme inspirante.

Elle a grandi près de Genève dans une famille très éloignée de l'alpinisme. Elle n'est donc pas issue du sérail, d'un milieu montagnard où les hommes se transmettent le métier de guide de génération en génération.

L'alpinisme, Elodie Le Comte, l'a découvert en Amérique du Sud, après le bac, lors d'un voyage d'un an, sac au dos, qui l'a emmenée en Patagonie et en Terre de feu. Elle a, alors, 18-19 ans. "C'est là que j'ai mis les crampons pour la première fois", nous confie-t-elle, "avec des Argentins".

C'est donc à l'autre bout du monde qu'elle a contracté le virus des sommets. À son retour en Suisse, Elodie Le Comte s'engage dans un cursus en faculté d'histoire. Les montagnes, elle en fait d'abord un objet d'études. Elle se consacre à l'histoire culturelle des Alpes et de l'alpinisme, elle est d'ailleurs l'autrice d'un livre sur l'alpinisme genevois de 1865 à 1970.

En parallèle, la jeune femme d'1,58 m, se familiarise avec l'altitude, multiplie les sorties, acquiert des compétences, se forme à l'alpinisme "avec des compagnons guides" et lors de stages avec le club alpin suisse. La grimpe est alors un plaisir "en amateur", mais peu à peu se dessine un projet. A 33 ans, elle passe le diplôme d'accompagnateur de montagne en Suisse.

Être une femme n'est pas un handicap

Puis, en 2012, elle décide d'abandonner sa carrière universitaire pour tenter le probatoire de l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme de Chamonix (Ensa) : le concours d'entrée à la formation de guide de haute montagne. Être une femme ne lui a jamais vraiment semblé être un handicap. 

"J'ai eu la chance d'avoir un compagnon qui m'a encouragée à passer en tête, on avait une pratique qui était assez égalitaire de la montagne et je pense que c'est ça qui m'a permis de passer au-delà du tabou qui disait que c'était impossible de faire ça", raconte-t-elle.

"Lui aussi venait d'un milieu qui n'était pas du tout dans l'alpinisme, il a découvert aussi ces activités par lui-même et fait son chemin par lui-même. Je pense qu'il m'a un peu transmis ça, alors que les personnes que j'avais connues avant, avaient plutôt entretenu l'idée de dire que le guide, c'était quelque chose d'inaccessible", indique-t-elle.

Se faire une place en montagne quand on vient "de la plaine"

Pour elle, les barrières semblent plutôt venir du fait qu'elle soit une "fille de la plaine". "En Suisse, où la formation était plutôt gérée par les cantons alpins et où tout le monde se connaît un peu, j'avais l'impression que c'était plus difficile de faire sa place si on n'est pas déjà intégrés dans ces milieux-là", estime Elodie Le Comte.

"C'était peut-être faux, mais c'était mon ressenti, ce qui me venait après avoir côtoyé des gens dans les milieux alpins de Genève. Ce milieu me semblait un peu à la traîne en termes d'ouverture d'esprit", dit la quadragénaire.

Reposons le cadre. À l’époque, en 2012, le métier de guide de haute montagne en France est à plus de 99% masculin. À titre d'exemple, Sylviane Tavernier fut la première femme guide intronisée en 1988 dans le club très fermé de la compagnie des guides de Chamonix. Elle restera la seule, pendant 25 ans (voir notre reportage ci-dessous).

Le probatoire de l'Ensa en 2012

Pour se présenter au probatoire de l'Ensa, il faut avoir validé des courses de haut niveau et disposer d'un niveau technique, lui aussi, de haut niveau.

Ensuite, les candidats passent une série d'épreuves éliminatoires : ski de randonnée et descente en toute neige, épreuve d'escalade en chaussons de niveau 7a (la cotation maximale étant actuellement de 9b), une épreuve en terrain varié pour tester l'agilité, une épreuve d'orientation, puis "cinq jours en montagne, lors desquelles on fait des courses avec des professeurs pour évaluer notre capacité à lire le terrain et à adapter nos choix", indique Elodie Le Comte.

Voie Lepiney - Trident du Tacul - SIMOND from SIMOND CHAMONIX on Vimeo.

Une poignée de femmes

Elle fait partie de la demi-douzaine de femmes en lice sur... environ 180 candidats. Et, elle ne vous le dira pas spontanément, mais elle fut alors la seule femme à réussir toutes les épreuves.

Pour elle, la question du genre ne se posait pas. "Techniquement, je ne me sentais pas en décalage par rapport à mes compagnons de cordée et, après, à l'Ensa, j'ai toujours reçu un accueil favorable qui m'a toujours mise à l'aise dans la formation donc je l'ai très bien vécue. J'arrivais avec une pratique où j'avais vraiment l'habitude de passer en tête et donc pour moi, cette étape-là, de faire tomber cette barrière mentale, elle était déjà acquise", raconte-t-elle.

Diplômée en 2015, Elodie Le Comte réalise des ascensions mémorables, telles que le Bhagirathi III, en Inde à 6454 mètres d'altitude, en duo avec Fanny Tomasi-Schmutz, en 2016. Là encore, il faut lui tirer les vers du nez. Elle n'aime pas vanter ses exploits et se comparer aux autres alpinistes.

Une promotion 100% féminine

Aujourd'hui, à 45 ans, Elodie Le Comte partage son temps entre ses activités de guide et celles de formatrice à l'Ensa. Elle est en pleine phase de sélection des candidates au groupe féminin de la FFCAM et de l'Ensa.

"Pour amener plus de femmes à intégrer le Groupe Excellence Alpinisme National (GEAN) ou le cursus du diplôme d'Etat de guide de haute montagne", les deux structures ont mis en place "un cycle de formation facilitant l'accès aux prérequis".

"On a des femmes qui font de l'alpinisme avec leur compagnon et, en cordée, elles sont souvent en second dans les passages difficiles parce que leurs compagnons sont plus avancés qu'elles techniquement ou dans leur pratique", indique Elodie Le Comte. "Ces filles ont besoin qu'on leur dise : grimpez ensemble et vous vous rendrez compte que vous pouvez le faire", estime la professionnelle.

Regrouper les femmes pour leur prouver qu'elles ne sont pas seules

"On a aussi des filles qui sont jeunes et qui n'ont pas forcément de grandes pratiques. Elles ont le potentiel technique mais elles manquent encore un peu d'expérience en montagne et là, c'est l'occasion d'acquérir des outils, des bases techniques pour y aller elles-mêmes en sécurité, pour consolider leurs acquis et leur permettre de prendre des décisions toutes seules et de faire les choses en autonomie", poursuit la formatrice.

Elodie Le Comte "ne revendique pas un alpinisme féminin", mais "un amour de l'alpinisme pour tous". Cependant, elle estime que ces groupes non mixtes permettent de "créer des cordées, et aux femmes de prendre confiance en elles".

Il faut des modèles et des références qui ne soient pas trop éloignées d'elles-mêmes

Elodie Le Comte

guide de haute montagne

"Je crois beaucoup en ces formations en amont du cursus de guide, justement pour que les filles puissent s'identifier à des personnes qui réussissent la formation de guide, sans se dire que ce sont forcément des personnes qui ont un niveau inatteignable. Il faut des modèles et des références qui ne soient pas trop éloignées d'elles-mêmes", dit-elle.

Faute de visibilité et de parité dans l'exercice de la profession, les groupes féminins sont l'occasion d'évoluer entre paires. 

Ouvrir l'alpinisme à un public plus large

Plus largement, Elodie Le Comte prône un accès de la montagne à des publics plus larges. Elle a cofondé l'association Rêv'asion qui propose des activités en montagne de réinsertion pour les personnes "en rupture".

"En montagne, dans une cordée, c'est un élément dans lequel on se révèle plus que dans notre quotidien. Je trouve que c'est intéressant d'utiliser ce milieu pour tisser du lien entre les gens", conclut la guide de haute montagne.

En 2023, on comptait environ 2,5% de femmes parmi les guides de haute montagne, 6% en prenant en compte les aspirants guides.

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