TEMOIGNAGE. Accusés par la Sécu de prescrire "trop d'arrêts maladie", des médecins dénoncent "un climat de terreur"

Depuis quelques semaines, de nombreux médecins ont reçu des avertissements de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie, les accusant de délivrer trop d’arrêts de travail. Ils sont incités à réduire leur prescription, sous peine de pénalités pouvant aller jusqu'à 9000 euros. "Choquée et inquiète", une médecin généraliste iséroise témoigne.

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"Je vais bosser avec la boule au ventre alors que j’adore mon boulot". Depuis quelques semaines, le quotidien de Claire* est bousculé. Cette jeune médecin généraliste a été contactée par l’Assurance Maladie, qui l’accuse de prescrire trop d’arrêts de travail. "Ils m’ont dit que je risquais d’être mise sous objectifs en septembre, c’est-à-dire que j’aurais un nombre d’arrêts maladies à ne pas dépasser sous peine de pénalités allant jusqu’à 9000 euros, déplore la trentenaire qui exerce en Isère. Mais ils ne prennent pas en compte ma patientèle ! J’ai beaucoup d’actifs, qui ont des pathologies d’épuisements professionnels, de burn-out, et aussi des maçons et des ouvriers exposés aux troubles musculo-squelettiques".

Se disant "choquée", elle a tout de suite contacté son syndicat MG France pour partager ses inquiétudes.

30 % des généralistes dans le viseur ?

"On a reçu un nombre anormalement élevé de collègues menacés par la caisse d’assurance maladie, confirme Gilles Perrin, généraliste grenoblois et trésorier de l’antenne iséroise du syndicat. On a l’habitude des contrôles quand trop d’arrêts maladie sont prescrits, mais là c’est très élevé. L’Assurance Maladie a baissé le niveau d’alarme à un niveau déraisonnable. On doit être à 30 % des médecins qui sont inquiétés !".

Dans un communiqué, le syndicat MG France estime qu’un millier de "forts prescripteurs sont ciblés en priorité", mais aussi que "5 000 médecins traitants seront convoqués à des entretiens confraternels" et "15 000 recevront au moins une visite de délégués de l’Assurance Maladie pour les avertir d’une pratique excessive".

Une cure de rigueur en vue pour l'Assurance Maladie ?

"Cette problématique est connue depuis plusieurs années, mais la Sécu et la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) veulent taper fort car ils se rendent compte que les arrêts de travail sont en hausse" poursuit Gilles Perrin.

En effet, le prochain budget de la Sécurité Sociale, qui sera présenté dans trois mois, semble déjà dans le viseur de l'exécutif. Bruno Le Maire en fait même le "premier axe" de son plan présenté lundi pour réduire le déficit public. Le ministre de l'Économie cible en particulier le "chantier" des arrêts maladie, dont le coût (hors Covid) a dépassé 14 milliards d'euros l'an dernier. "Il y a des gens qui (en) abusent", a-t-il insisté mardi sur France 2, déplorant cet "argent jeté par les fenêtres" et estimant le gain potentiel à "plusieurs centaines de millions d'euros" par an.

L'offensive a en réalité commencé depuis plusieurs jours. Son collègue des Comptes publics Gabriel Attal en a fait une priorité de son "plan fraude" dévoilé fin mai, promettant de s'attaquer aux "faux arrêts du lundi" et annonçant une "campagne de contrôle" des principaux prescripteurs.

Ce n’est pas qu’on prescrit plus par complaisance, c’est juste que les gens vont de moins en moins bien.

Claire, médecin généraliste

"Je ne vois pas comment réduire mes arrêts, s'inquiète Claire. Depuis le Covid, il y a une souffrance psychologique au travail plus importante, les gens sont épuisés et la réforme des retraites empire les choses. Ce n’est pas qu’on prescrit plus par complaisance, c’est juste que les gens vont de moins en moins bien ».

Contactée par France 3 Alpes, la CPAM de l’Isère se veut rassurante. "Cette procédure de contrôle se fait dans tous les départements. Ça n’a pas de rapport avec les positions gouvernementales, et nos critères n’ont pas évolué", justifie Rémi Blanc, le directeur santé de la caisse départementale. 

Ce dernier précise que la CPAM de l’Isère est "la sixième caisse de France en termes de dépenses d’arrêts de travail". Et il réfute le chiffre de 30 % de médecins épinglés, avancé par le syndicat MG. "On compare toujours à une moyenne d’arrêts prescrits sur un territoire comparable, détaille Rémi Blanc. Et les médecins contactés par l’Assurance Maladie prescrivent deux, trois ou quatre fois plus que leurs confrères. Il est vrai qu’on a envoyé une lettre à un peu plus de médecins que l’année dernière. En Isère, 39 médecins sur 1150 (soit 3,4 %, ndlr) que compte le département ont été contactés. On a une mission de régulation qu’on assume complètement pour que l’argent des cotisants soit bien utilisé."

Une attitude "pyromane"

La CPAM de l’Isère indique les médecins destinataires des courriers bénéficient d’un mois pour justifier les spécificités de leur patientèle, et expliquer "les raisons légitimes de leurs prescriptions d’arrêts maladie". Si la procédure est maintenue, les généralistes épinglés devront réduire leurs prescriptions et seront "accompagnés" par un médecin référent de l’Assurance Maladie. "En cas de non-respect, et après avis d’une commission, une pénalité peut être prononcée de maximum 9 000 euros. Mais je crois que ça n’est jamais arrivé", assure Rémi Blanc.

Ce qui n’empêche pas Gilles Perrin de qualifier la CPAM de "pyromane". "On a une population médicale qui n’a pas le moral, la Sécurité Sociale nous martyrise. C’est un climat de terreur. Parmi les médecins visés, certains se demandent comment ils vont tenir. Les plus âgés proches de la retraite disent qu’ils vont arrêter", prévient le syndicaliste.

*le prénom a été modifié.

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