C’est une première mondiale. Une équipe franco-suisse a réussi à redonner de la mobilité à un patient paraplégique, lui permettant de contrôler sa marche par la pensée grâce à une innovation numérique. Le fruit d’une collaboration entre des centres de recherches de Grenoble et de Lausanne.
"C’est le résultat de 20 ans de recherches", annoncent fièrement Grégoire Courtine, professeur de neurosciences à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et la professeure Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au Centre hospitalier universitaire canton de Vaud (CHUV).
En collaboration avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Grenoble, les deux scientifiques ont réalisé une incroyable prouesse : celle de faire remarcher un patient paraplégique à l’aide de ses pensées.
Il y a dix ans, Gert-Jan Oskam, un Hollandais de 40 ans, perd l’usage de ses jambes à la suite d’un accident de vélo. Aujourd’hui, il a ainsi retrouvé le contrôle naturel de ses membres inférieurs et peut marcher en actionnant leur mouvement uniquement par la pensée. "J'ai attendu dix ans pour pouvoir me lever et boire un verre avec des amis, c’est quelque chose que les gens ne réalisent pas", témoigne Gert-Jan Oskam.
Cette première mondiale a fait l'objet d'une publication, jeudi 25 mai, dans la prestigieuse revue scientifique Nature.
"Un pont numérique" entre le cerveau et la moelle épinière
"Quand on veut marcher, le cerveau envoie une commande vers la région de la moelle épinière qui contrôle les muscles et les jambes. S’il y a une lésion de la moelle épinière, cette connexion est interrompue, conséquence, c'est la paralysie permanente", explique Grégoire Courtine. Il poursuit : "Nous, on a rétabli la communication entre le cerveau et la moelle épinière, avec un pont numérique".
On capture les pensées du patient et on les transforme en stimulation de la moelle épinière qui vont lui permettre de remarcher.
Grégoire Courtine, professeur de neurosciences à l'EPFL
Ce "pont numérique" implique deux opérations chirurgicales. D’abord, des électrodes sans fil sont implantées au niveau du crâne, pour enregistrer les signaux envoyés par le cerveau. Un implant développé par les chercheurs grenoblois de Clinatec au sein du CEA. Ces mêmes chercheurs ont déjà développé par le passé un exosquelette contrôlé par la pensée, permettant à un patient paralysé des quatre membres de bouger.
Dans un deuxième temps, 16 électrodes sont posées sur la région de la moelle épinière responsable de la locomotion. "Ensuite, on fait communiquer ces deux implants", résume Jocelyne Bloch.
"Un espoir énorme"
Chez Gert-Jan Oskam, il a simplement fallu d’un essai pour que l’expérience soit menée à bien. "Ça a fonctionné immédiatement ! On avait fait un travail préliminaire chez le singe, et quand on a un implanté ce premier patient, le jour même du premier test, il a pu faire ses premiers pas", se réjouit la neurochirurgienne. "C'est arrivé après deux jours, en 10 minutes, j’ai pu contrôler mes hanches", témoigne Gert-Jan Oskam.
C’est un espoir énorme pour les paraplégiques, les tétraplégiques et par la suite peut-être d’autres, comme les patients victimes d’AVC.
Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV
La découverte en est au stade de l'essai clinique et le chemin est encore long avant une application à grande échelle. En revanche, les chercheurs de l’EPFL, du CHUV et du CEA prévoient de rapidement miniaturiser son dispositif, "pour en faire un produit disponible commercialement dans les années qui viennent", indique Grégoire Courtine. En attendant, l’essai clinique devrait être étendu à d’autres patients.