Valéry Kossov est le directeur du centre d'études slaves contemporaines à l'université de Grenoble Alpes. Spécialiste de la rhétorique du pouvoir russe, il analyse les dernières prises de parole de Vladimir Poutine.
Les bombes tombent sur Kiev, Kharkiv, la région du Donbass et d'autres grandes villes d'Ukraine. Depuis jeudi 24 février, l'armée russe envahit son voisin en dépit de l'appel à la paix de la communauté internationale. En parallèle du bruit des bombes, il y a les menaces orales très dures adressées par le président russe Vladimir Poutine au régime de Kiev et aux Occidentaux. Le maître du Kremlin a notamment appelé le 24 février à "une démilitarisation et une dénazification de l'Ukraine". Il a aussi menacé les pays qui tenteraient d'interférer dans le conflit d'une réponse armée qui "sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n'avez encore jamais connues".
Depuis l'Isère, Valéry Kossov, le directeur du centre d'études slaves contemporaines à l'université de Grenoble Alpes, observe cette rhétorique guerrière avec attention. Il mène, en effet, des recherches sur les éléments de langage du pouvoir russe depuis une décennie. Il a confié à France 3 Alpes ses observations sur le discours guerrier du régime russe.
"Comment Vladimir Poutine justifie-t-il l'invasion de l'Ukraine auprès de ses concitoyens ?
J'ai le procès-verbal du Conseil de sécurité russe qui s'est tenu le 21 février. Ils ont développé l'idée que des groupes néo-nazis étaient proches du pouvoir à Kiev pour en faire un élément central dans leur volonté d'envahir l'Ukraine. En 2014, lors de l'annexion de la Crimée par la Russie, Vladimir Poutine parlait déjà d'un coup d'Etat inconstitutionnel en Ukraine. Mais là, son argument de "dénazification", qu'il a cité dans son discours d'entrée en guerre le 24 février, devient moins convaincant. Toutes les chaînes de télévision russes reprennent l'argument de la présence de fascistes en Ukraine, mais ça convainc moins les Russes.
Toutes les chaînes de télévision russes reprennent l'argument de la présence de fascistes en Ukraine.
Valéry Kossov.
Y-a-t-il d'autres éléments avancés par le pouvoir russe pour convaincre du bien-fondé de cette invasion ?
J'ai relevé des termes "mensonges" et "chantage" qui sont beaucoup repris par les principaux communicants qui sont autorisés par le pouvoir russe à s'exprimer sur la scène internationale. Les expressions "catastrophe humanitaire" et "génocide" sont aussi couramment employées par les médias russes pour expliquer ce qui se passait, soi-disant, dans la région du Donbass. En Russie, je regarde la chaîne d'information "Russie 24". Ce qui est privilégié, c'est surtout l'aspect humanitaire. Ils mettent l'accent sur le fait que, pendant huit ans, le monde fermait les yeux sur ce qui se passait dans les territoires du Donbass. Ils accusent, contre l'évidence, l'Ukraine d'avoir provoqué une catastrophe humanitaire et un génocide contre les populations des républiques autoproclamées de Louhansk et Donetsk.
Les Russes croient-ils en le discours de Poutine concernant l'Ukraine ?
Communiquer vers l'extérieur n'est pas une priorité pour Poutine. Il ne voit plus l'utilité de convaincre à l'international, il pense que les médias occidentaux ne peuvent plus être convaincus. Il concentre donc son discours vers la population russe. Mais là, sa parole commence à se dérégler. De mon point de vue, il est moins convaincant sur ses éléments de langage. Après, je ne sais pas comment les Russes vont percevoir cela. D'après les sondages, il y a toujours un quart de la population russe qui croira à 100 % Poutine. J'ai quand même des retours sur le fait que des Russes trouvent que Poutine devient moins habile dans sa prise de parole."