Depuis 1986, les archéologues ont creusé une profondeur de six mètres sur 80 m² dans l'abri sous roche de la Grande Rivoire dans le Vercors. Un voyage temporel de 10 000 ans en arrière, à la rencontre des chasseurs-cueilleurs du mésolithique.
Imaginons. Une belle habitation orientée plein sud, 80 m² très aérée, avec un joli panorama forestier et montagneux depuis la terrasse sur la vallée du Furon. Non, cette description n'est pas celle d'un luxueux loft perdu en pleine nature, mais bien celle d'un abri préhistorique, utilisé par les hommes depuis 10 000 ans.
L'abri-sous-roche de la Grande Rivoire, situé dans le Nord du Vercors au-dessus de Sassenage en Isère, est un site de fouilles depuis 1986. Et plus de 30 ans plus tard, les archéologues en atteignent enfin les zones les plus profondes.
"Il nous reste une quarantaine de centimètres pour atteindre les substrats stériles, ce qui représente environ un millénaire d'occupation", explique Alexandre Angelin, archéologue responsable des fouilles sur le site. Le substrat stérile, c'est la couche à partir de laquelle on ne trouve plus aucune trace de présence humaine.
L'évolution technique de l'Homme
Mais au-dessus ce ce substrat, les traces sont bien visibles. Des silex, des os, des résidus d'outils, et même des éléments parures et de poteries sur les couches supérieures. En 8 000 ans, homo sapiens a eu tout le temps de marquer les lieux de son empreinte.Les couches les plus profondes du site correspondent à environ -8500. C'est alors le début du mésolithique, période préhistorique de transition entre le paléolithique - l'époque des chasseurs-cueilleurs nomades - et le néolithique - à partir duquel se démocratisent agriculture, élevage et donc sédentarisation.
L'abri, qui semble avoir été un relai de chasse pendant des siècles, recèle d'une multitude de résidus d'armes de chasse. Et plus on avance dans le temps, plus les armes deviennent fines et légères. Un processus de miniaturisation qui s'explique par une nécessité simple, comme le détaille Alexandre Angelin :
Les hommes du mésolithiques sont des chasseurs. Ils vivent dans un milieu forestier, fermé, où la chasse à l'arc est tout à fait adaptée. Et il faut des pointes de flèche légères, sinon ça ne marche pas.
Un travail minutieux et de longue haleine
Les pointes des flèches mésolithiques de la Grande Rivoire sont ainsi constituées de deux sortes de morceaux de pierre taillée. Au bout de la flèche se situe l'inévitable pointe, qui permet à l'arme de pénétrer la chair de l'animal. Et sur les côté, des triangles scalènes sont "emmanchés avec une résine comme une barbelure, pour éviter que la flèche ne ressorte" une fois plantée.Le bois et la résine ayant disparu avec les années, ne subsistent que ces minuscules morceaux de pierre, "tellement petits qu'on ne les trouve qu'au tamisage". Car une fois la terre raclée autour d'un objet conséquent, elle se fait avaler par un aspirateur avant de passer par des tamis successifs de différentes tailles. Ceux-ci permettent de séparer la poussière des petits et des gros cailloux, ou des pointes de flèches.
Un travail minutieux et patient, qui a permis d'excaver des centaines de mobiliers archéologiques, tous cotés en trois dimensions par des outils de géomètre. Et ainsi de retracer l'occupation de la Grande Rivoire du mésolithique jusqu'aux débuts de l'occupation romaine en Gaule, après que l'abri est devenu bergerie pendant le néolithique. Une maquette du lieu dans cette dernière configuration est visible au musée départemental de l'Ancien Evêché à Grenoble.
Pour remonter le temps jusqu'en -8500 et gratter la dernière couche de 40 cm de haut, il reste encore aux archéologues de la Grande Rivoire deux ans de travail et de patience.