Comment appliquer un enduit à la chaux ? Comment poser des dalles sur une chape de chaux fraîche ? Rendez-vous sur le chantier participatif d'un couple isérois qui rénove un ancien corps de ferme à Saint-Jean-de-Vaulx, grâce à des techniques ancestrales, remises au goût du jour.
Ils sont une demi-douzaine à s'activer à Saint-Jean-de-Vaulx sur le chantier de rénovation de la maison d'Emilie et d'Alexandre. Si les voisins et les amis ont déjà donné un coup de main, ce week-end ce sont des habitants de la région qui sont venus prêter main forte au couple. Des inconnus qui mettent leurs bras à disposition gratuitement. En échange, ils sont nourris et formés par une professionnelle à la pose d'enduits ou de dalles à la chaux.
Chacun y trouve son compte, comme Aurélie, architecte, venue se confronter à la réalité du terrain. Ce matin, elle pose du carrelage en pierre naturelle, des travertins, sur une chape à la chaux. "J'avais envie d'apprendre à construire. Moi, je suis dans le métier de l'architecture, donc je trouve ça intéressant de savoir comment on fait avant de donner des directives ou des protocoles d'intervention aux entreprises".
Elle fonctionne "à l'avancée, grâce à la méthode des bains soufflants", explique Monique Cerro, formatrice en rénovation du bâti ancien, qui encadre ce chantier participatif.
Un cours pratique qui profite aux propriétaires et aux bénévoles
Aurélie a appris cette technique il n'y a que quelques heures. "Des méthodes simples mais qui demandent beaucoup de main d'oeuvre", ajoute Monique Cerro. A genoux au-dessus des dalles, Aurélie est appliquée. "Je suis assez contente de mon expérience, c'est enrichissant autant du point de vue humain que de ce que j'apprends", renchérit-elle. "Après, c'est physique. Ici, certains sont dans la construction, il y a d'autres archis aussi, mais on est dans la création et pas dans le faire. Donc, forcément, on essaye de comprendre comment se positionner pour ne pas se faire mal".
Dans la pièce adjacente, Monique entame l'atelier de pose d'enduit. Et là encore, les conseils fusent pour éviter les mauvaises postures. "Pour pouvoir envoyer correctement, il faut être détendu. Les épaules, les coudes, les poignets, les genoux, les hanches, il faut être détendu de façon à ne forcer avec rien parce que c'est très physique, dès qu'on se met à forcer, on se fait mal. Donc, je prélève l'enduit sur la truelle, je tourne et j'envoie d'un mouvement sec. Vous verrez, la chaux colle beaucoup".
"Laisser respirer les murs"
Monique "envoie" un mortier fait à base de sable et de chaux. Au préalable, les surfaces ont été mises à nu. Le ciment a été retiré "car il coinçait l'eau dans les murs". "On a appliqué d'abord un gobetis (ndlr : couche d'accrochage de l'enduit sur le mur) puis un renformis pour boucher les plus gros trous (ndlr : une première couche) et là on va dresser grâce à l'enduit".
Ces techniques et ces matériaux sont ancestraux mais se sont peu à peu perdus, faute de rentabilité. Car utiliser de la chaux, du chanvre, du bois, de la pierre ou de la paille est chronophage. C'est le principal inconvénient. A part ça, Monique Cerro ne trouve que des avantages à la remise au goût du jour de ce savoir-faire.
"Ce sont des matériaux qui sont propres, nobles, écologiques et respecteux du bâti parce que ce bâti a besoin de respirer, d'évacuer l'eau qui s'accumule à l'intérieur parce qu'il est capillaire. Et ce sont des produits qui permettent justement de préserver ces qualités respirantes", insiste-t-elle.
"Des techniques et des matériaux pérennes"
Des qualités qui ont séduit Emilie Urbain, la propriétaire de cet ancien corps de ferme. Difficile de savoir exactement de quelle époque datent les bâtiments qui appartenaient à ses arrières-grands-parents. Mais pour la jeune femme, il était cohérent d'employer ces techniques sur des murs qui ont été jadis montés à la pierre avec de la terre et de la chaux.
"Ce sont des techniques plus pérennes", dit-elle "et pour moi, il y a l'idée de pouvoir un jour transmettre à nouveau ce qui m'a été donné". Mais l'emploi de ces méthodes séculaires a un coût : des seaux et des seaux d'huile de coude, des montagnes de motivation et des années de labeur. Emilie et son mari Alexandre habitent sur le chantier depuis 2018. Ils travaillent seuls la plupart du temps pour rénover les 250 mètres carré de bâtiment.
"C'est un chantier énorme et peut-être qu'on n'avait pas imaginé l'ampleur du travail parce que ce genre de techniques prend du temps à apprendre et à mettre en œuvre. Et on apprend en marchant aussi parce que, moi, je ne suis pas du tout dans le domaine et mon mari non plus. Donc, c'est ce qui prend du temps mais c'est aussi appréciable parce qu'on a l'impression de construire notre chez nous".
Regain de motivation
Emilie est en effet thérapeute par le toucher. Alexandre est lui informaticien. "Tous mes potes se moquent de moi parce qu'il y a trois ans, j'avais dit qu'il y en avait pour six mois", dit-il en riant.
Pas toujours évident de rester motivés quand les travaux semblent faire du sur place. Alors, voir ces paires de bras arriver en renfort, leur redonne le moral. "On voit l'avancement par rapport à quand on travaille à deux. Il faut dire qu'on est relativement exigeant sur ce qu'on fait, donc on avance assez lentement. Quand on a un chantier participatif comme ça, la qualité est bonne et en plus on avance bien, six fois plus vite que quand on est à deux ! Donc, avec ces chantiers participatifs sur quatre week-ends, on va avoir gagné peut-être huit mois. Mentalement et moralement c'est un boost énorme, quand on a déjà fait deux ans de travail... c'est sympa !"
Les femmes de plus en plus présentes sur les chantiers
Tous les participants soulignent aussi "l'ambiance" qui règne ici entre particuliers désireux d'apprendre à construire leur toit. Parmi eux, beaucoup de femmes. Elles représentent désormais "la moitié de l'effectif sur des chantiers participatifs", constate Monique Cerro.
"Elles sont aussi bien à la bétonnière, qu'aux enduits, qu'au tirage de dalles. En fait, au niveau de la difficulté du travail, il n'y en a pratiquement pas. On peut faire de l'électricité, on peut faire de la plomberie, on peut faire des enduits comme les hommes, il n'y a aucune raison. Et si on manque de force, on trouve des astuces : au lieu de remplir la brouette en entier, on la remplit à moitié, le seau on le remplit à moitié, c'est pas grave, le principal c'est que le travail soit fait".
Un an et demi de délai pour faire appel à des professionnels
Sur ce chantier participatif, il y a aussi des hommes comme Nicolas, conducteur de trains. Lui, a un projet de construction à base de matériaux naturels. "Ce qui me plaît c'est le travail d'équipe", indique-t-il. "On est obligé d'être plusieurs, parce que c'est très physique. Et quand on fait quelque chose, c'est pour longtemps, contrairement au ciment, au moellon, au béton qui durent moins longtemps. C'est mon premier chantier participatif. C'est top. Il y a une très bonne ambiance, on apprend beaucoup de choses, on met tout de suite la main à la pâte et comme c'est en faisant qu'on apprend, franchement il n'y a pas mieux, c'est la meilleure école".
Et mettre les mains dans le mortier est aussi finalement la seule solution pour beaucoup de particuliers désireux d'utiliser ces matériaux, faute de professionnels disponibles. "Les entreprises qui font ça sont très prises et c'est très compliqué d'avoir quelque chose dans des délais raisonnables", ajoute Nicolas. "Moi, si je veux construire avec du chanvre, j'ai un an et demi de délai sur une entreprise qui est à côté de chez moi. Ils sont overbookés parce que c'est long à faire donc ils ne peuvent pas faire dix-huit chantiers à l'année. Des grosses maisons comme ça, ils en font une ou deux par an".
Un chantier de cette taille, "c'est un peu une gageure"
Emilie et Alexandre ont encore devant eux de nombreux mois de travail pour finir la restauration de l'ancienne bâtisse. "Si on a un peu de chance, je touche du bois, ce sera peut-être dans deux ans", confie Alexandre Fournier. "C'est pas évident, c'est un peu une gageure".
Organiser ces sessions collectives a un coût pour le couple, qui rémunère Monique Cerro et fournit logistique et repas aux bénévoles. Mais pour eux, cela vaut le coup. Financièrement mais aussi humainement. "Quand on est des particuliers et qu'on fait des rénovations en bâti ancien, c'est compliqué de trouver des professionnels qui sont capables de faire le boulot. Avec ces chantiers participatifs, on a trouvé que c'était chouette parce qu'il y a des gens motivés et qui sont moteurs pour le faire. C'est un gros coup de boost", conclut Alexandre.