Ce jour-là dans le Vercors, 40 spéléos sont mobilisés : un des leurs est blessé, coincé à 200 mètres sous terre. Comment vont-ils pouvoir l'acheminer jusqu'à la surface ? Pour vous le faire découvrir, nous avons placé une caméra sur la civière, au coeur de l'action.
Les spéléologues du Spéléo Secours Isère s'entraînent régulièrement sous terre, dans ce milieu complexe voire hostile qu'ils sont les seuls à bien connaître. Chaque année, ils organisent un grand exercice en conditions réelles sous l'égide du préfet.
Ce 29 mai 2021, il se déroulait au TQS, le "Trou Qui Souffle", dans le massif du Vercors. Nous avons pu assister à cet exercice qui a réuni pas moins de 40 spéléos.
Scénario de l'exercice : un spéléo s'est blessé en chutant, à environ 200 mètres sous terre. Suspicion de fracture du fémur. L'un de ses deux coéquipiers l'a placé en sécurité, pendant que l'autre est remonté le plus vite possible à la surface pour donner l'alerte.
Quelques heures plus tard, l'équipe de reconnaissance descend sur le lieu de l'accident. Pour le confort du blessé, elle dresse un "point chaud" : une tente au-dessus d'un réchaud. Il ne fait que sept degrés dans la grotte.
L'équipe médicale les rejoint. Un médecin, un interne et un infirmier effectuent les gestes les plus urgents sur la victime. L'équipe médicale travaille sur quelques mètres carrés, au bord du vide. Dialogue, auscultation, pré-diagnostic, surveillance des paramètres vitaux à l'aide d'un scope, injection de morphine et ketamine, des antidouleurs rapides et puissants, pose d'une attelle spécialement adaptée au secours en montagne et spéléo.
Sous terre, le secours prend forcément plus de temps qu'en surface. Ne serait-ce que le temps de remonter. Ici, pas d'hélico pour évacuer. En spéléo, c'est donc l'hôpital qui vient jusqu'à la victime, et pas l'inverse.
Le médecin décide que le blessé doit être placé sur une civière pour la remontée vers l'air libre. Tous les spéléos présents s'activent alors pour équiper chaque passage délicat. Un seul objectif : permettre à la civière de franchir tous les obstacles sans dommage pour la victime. Un vrai défi technique et humain.
Cinq heures après l'alerte, la civière va pouvoir commencer sa lente remontée. Tout au long, le scope posé par l'équipe médicale émet son bip caractéristique.
Bien sûr, il ne faut pas perdre de temps. Mais ce qui compte plus que tout, c'est de ne pas aggraver l'état du blessé. Les équipiers se relaient pour porter la civière à travers les méandres.
Pour franchir chaque obstacle, les spéléos choisissent la technique de franchissement la plus efficace et confortable. Pour traverser la longue salle de la Vire, ils ont installé une tyrolienne. Comme celle qui vous fait frémir quand vous pratiquez "l'accrobranche". Dans la grotte, la civière coulisse sur une corde tendue au-dessus du vide.
Le secours souterrain requiert beaucoup de moyens humains qualifiés. Une excellente connaissance du milieu et des techniques de progression, une grande solidarité rendent les spéléos incontournables. Ces grottes, ils les ont découvertes et même cartographiées.
Le secours souterrain est fortement médicalisé. Dès la civière arrivée en haut de la tyrolienne, le médecin demande à vérifier les paramètres vitaux sur le scope. En cas d'aggravation, il demande l'installation d'un point chaud pour pouvoir intervenir à nouveau.
En spéléo, le délai de sortie est si long que la victime a peu de chances de survie sans soins appropriés et continus. Le Spéléo Secours Isère s'enorgueillit d'avoir toujours sorti vivants les blessés pris en charge sous terre. A force de formations et d'entraînements comme celui-là.
Dans les passages verticaux, les secouristes spéléos utilisent la technique du contrepoids. Une poulie est installée au sommet du puits. Dans cette poulie passe une corde à laquelle sont reliés : en haut un équipier, et en bas la civière contenant la victime. L'équipier va se laisser descendre doucement, faisant ainsi remonter la civière.
Mais quelquefois, dans les passages les plus étroits, la civière peut frotter le rocher, malgré les efforts des spéléos qui s'affairent tout autour. Heureusement, la victime peut éventuellement, quand elle en a la force, s'aider de ses bras restés libres pour éviter les chocs contre les parois.
Dans les cas les plus extrêmes, les spéléos peuvent recourir aux explosifs. Ils sont qualifiés et entraînés pour élargir la galerie quand c'est la seule solution pour sauver la victime.
Pendant toute la remontée du grand puits de 30 mètres, un équipier grimpe en même temps que la victime sur une corde parallèle. Avec les bras, il tire sur sa poignée de traction pendant que ses jambes poussent sur des pédales.
Ce qui ne l'empêche pas de surveiller le blessé attentivement. Comme l'ont fait ses collègues pendant les cinq heures de remontée.
Une douzaine d'heures après l'alerte, la civière sort enfin à l'air libre. C'est une durée moyenne en secours spéléo. Le blessé, toujours conscient, est stabilisé. Il sera transporté vers l'hôpital le plus proche.
Le secours souterrain, unique en son genre, rassemble en Isère 345 spéléos professionnels et amateurs. Tous bénévoles dans le cadre des secours. Viennent s'ajouter des professionnels du sauvetage : 25 CRS Montagne, 15 gendarmes du PGHM et 25 pompiers du GRIMP. Sans oublier 49 médecins, 29 infirmiers et les radios amateurs de l'ADRASEC.
Depuis 1970, le Spéléo Secours Isère a secouru 407 victimes. C'est le département qui a poussé le plus loin la coopération entre les différents acteurs. Le gage d'une efficacité reconnue.
Notre reportage vidéo complet en immersion avec le Spéléo Secours Isère le 29 mai 2021 au Trou Qui Souffle (JC Pain, D. Bourget, L. Di Bin)