Alors que l'Italie vit au rythme des négociations politiques précédant la naissance d’un gouvernement dirigé par l'extrême droite, certaines déclarations venues de la nouvelle majorité ne cessent d’inquiéter la communauté LGBT. Le 8 octobre dernier à Aoste, des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour participer à la première "Pride" de la ville.
"En Italie, on a toujours été un peu en retard pour ce qui est de défendre les droits de notre minorité", clamait le 7 octobre dernier sur la scène de la "Citadella dei giovani" d'Aoste, la marraine du premier défilé pour les droits de la communauté LGBT+, Vladimir Luxuria.
L'organisateur(ice), transgenre, de la première "Pride" de l'histoire italienne, à Rome en 1994, n'a pas manqué de rappeler que beaucoup de grandes villes dans le monde, telles que Paris ou New York, s'étaient lancées dans l'organisation de "marches des fiertés" bien avant la capitale italienne.
"Les derniers pays qui nous ont dépassé récemment en matière de reconnaissance des mariages gays et lesbiens sont la Slovénie et Cuba", a-t-elle ajouté. Une façon de souligner les blocages politiques qui existent encore en Italie pour mettre en adéquation le cadre législatif avec la réalité vécue par des milliers de familles italiennes.
4000 participants... contre 1500 attendus
"Est-ce que tu réussis à te sentir libre d'être toi-même dans ce pays ? " interrogeait une consœur de la Rai vallée d'Aoste, la télévision publique italienne, lors du grand défilé conclusif du samedi 8octobre. La jeune femme, lesbienne, marque un long temps d'arrêt avant de laisser échapper dans un demi sourire, un timide: "si !!"...et d'ajouter : "Oui...mais il reste beaucoup de chemin à faire".
Une opinion bien ancrée dans la communauté LGBT italienne et confortée par le dernier rapport de l'ILGA (International Lesbian and Gay Association Europe). Il classe l'Italie à la 33ème place (sur 49 pays européens) en matière de droits accordés aux personnes LGBT+. (La France se place en 7ème position).
La dernière avancée des droits des couples homosexuels, note ainsi la revue "Orrizzonti politici" remonte à l'adoption de la loi Cirinnà de 2016. "Bien accueillie par la communauté LGBT+, la loi a eu le mérite de poser un cadre juridique pour les unions civiles entre personnes de même sexe."
Mais depuis, plus rien. D'où l'invitation de l'ILGA adressée au gouvernement italien de "mieux accompagner les mineurs ne sentant pas d'appartenance à un genre. De permettre l'adoption d'enfants par les couples homosexuels. Et enfin, de compléter les lois contre l'homophobie et l'homo transphobie".
Très ou trop catholique Italie?
"Le problème en Italie, explique pour sa part Giulio Gasperini, c'est que l'on fait toujours comme s'il n'existait qu'un seul type de famille. Alors que les familles que l'on appelle "arcobaleno" (arc en ciel) existent déjà. Ces couples d'homosexuels ou de lesbiennes avec enfants, on préfère refuser de les voir. Mais un jour ou l'autre, il faudra bien que l'Etat italien accepte de les considérer".
Une situation de déni, jusqu'alors plutôt encouragée par la forte imprégnation catholique de l'opinion publique italienne et soulignée par de nombreux rapports, dont celui de l'institut Eurispes. Depuis 40 ans que "l'Institut de recherche des italiens", publie des études, il relève que 49,3 % des italiens font toujours davantage confiance à l'église catholique qu'à l'Etat (20,8%).
"Il ne peut exister aucune confusion possible entre la famille voulue par Dieu et quelque autre forme d'union", déclarait le Pape François en 2016 quant à l'éventualité d'accorder la possibilité d'adopter aux couples "arc en ciel". Une phrase qui semble encore faire figure de mantra pour nombre d'italiens.
"Dieu, Famille, Patrie"
Et davantage encore pour celle qui devrait présider sous peu aux destinées de nos voisins : Georgia Meloni. "Nous défendrons Dieu, la famille et la Patrie qui dégoûtent tellement certains", déclarait en 2019 lors du congrès des familles de Vérone, celle qui devrait devenir d'ici quelques jours la nouvelle présidente du Conseil de la 3ème puissance de l'Union Européenne. Et d'ajouter, citant un auteur anglais pour montrer toute sa détermination: "Des feux seront attisés pour démontrer que 2 + 2 font 4. Et des épées dégainées pour démontrer que les feuilles sont vertes en été".
"C'est une nouvelle terrible. Les sondages étaient clairs. Mais lorsqu'une chose comme ça arrive, c'est très choquant"
Alessia Crocini, présidente de l'Association italienne des familles arc en cieleuronews
Au soir des résultats des dernières élections générales, le 26 septembre dernier, la stupéfaction affichée par l'une des principales représentantes des familles issues de couples homosexuels en disait long sur les inquiétudes de toute la communauté LGBT+ italienne. Une inquiétude que, dans son bureau de la mairie d'Aoste, Samuele Tedesco a partagée le même soir.
Un débat politique sur les droits civils miné
"Lors des conseils municipaux où nous avons débattu du soutien que la mairie souhaitait apporter à l'événement, la Lega (le second parti politique d'extrême droite de la coalition dirigée par Georgia Meloni. NDLR) s'est employée à faire le maximum de bazar", explique l'adjoint à la culture du maire d'Aoste et membre de la communauté LGBT de la vallée d'Aoste.
N'osant visiblement pas remettre en cause ouvertement la manifestation, les conseillers municipaux de la Lega se sont ainsi ingéniés à contester toute forme d'aide financière ou logistique apportée à la tenue de la Pride. Jusqu'au blason de la commune dont ils ont contesté la mention sur l'affiche de l'événement!
"Une vraie guerre de tranchées, davantage qu'un débat de fond", confesse Samuele qui est allé jusqu'à prendre conseil auprès des avocats de la mairie pour juger du bien-fondé d'engager d'éventuelles actions en justice. "C'est tout de même choquant d'entendre des opposants menacer de couper tout financement aux associations LGBT dès que le nouveau gouvernement sera en place", conclut l'adjoint au maire.
"Malgré tout, je ne pense pas que le futur gouvernement se risque à nous enlever des droits", pense de son côté, l'organisateur de la première Pride aostienne. "Ce qui m'inquiète davantage, c'est la façon dont ils vont certainement tenter de les réduire. Par exemple, en ce qui concerne le droit à l'avortement, je crains qu'ils financent toujours plus les mouvements "Pro life" . Qu'ils les encouragent à faire des opérations "commando" dans les centres d'avortement et remettent en cause le libre choix des femmes".
Nous continuons à être fermement convaincus que le rôle de la politique est de partager avec nos concitoyens, des évènements susceptibles d'ouvrir le regard des uns sur les autres
Clotilde Forcellati, adjointe à l'aide sociale du maire d'AosteAostasera
Meloni-Trump même combat ?
A l'instar de certains faits survenus dans d'autres régions d'Italie, les inquiétudes de Giulio et de son association "Arcigay Vda" ne sont pas sans fondements.
Dans la région des Marches, devenue depuis deux ans le "laboratoire" de la politique sanitaire de l'extrême droite, avorter est devenu quasiment mission impossible pour nombre de femmes. Dans cette région du littoral adriatique, le gouvernement régional encourage les médecins à se déclarer "objecteur" (une disposition de la loi sur l'avortement italienne qui permet à tout médecin de refuser de pratiquer une IVG). Résultat : ils seraient désormais plus de 90% du corps médical de la région à se déclarer objecteurs, obligeant les femmes à aller ailleurs, partir à l'étranger ou se faire avorter "à l'ancienne", c'est à dire illégalement.
"Ce n'est pas tant un retour au fascisme qui est à craindre avec Georgia Meloni", a expliqué à la chaîne Euronews le journaliste américain et spécialiste de l'Italie Alan Friedman. "C'est davantage une remise en cause des droits des femmes, des homosexuels et des immigrés. Et le journaliste, pourtant auteur d'une biographie jugée "très complaisante" à l'égard de Silvio Berlusconi, de conclure : "Meloni a une vision de la politique sociale, parfaitement identique à celle de Donald Trump. Vous verrez, qu'elle essaiera de leur retirer nombre de droits que ces minorités ont acquis ces dernières années".
Une théorie qui devra être jugée à l'épreuve des faits dès la nomination du prochain gouvernement italien. Sergio Matterella, le président de la République italienne doit recevoir vendredi 21 octobre, Georgia Meloni et la charger officiellement de former un gouvernement avec ses alliés : la Lega, le parti de l'ancien ministre de l'intérieur Matteo Salvini et Forza Italia, la formation politique de Silvio Berlusconi.