Après Milan et Bologne, Turin est l'ultime étape de l'exposition anniversaire des 80 ans du photographe Oliviero Toscani. Photographe de mode pour le magazine "Elle", ses clichés provocateurs sur les grands thèmes de société sont, pour lui, "un traitement médical".
"La provocation pour moi : ce n'est qu'une conséquence", nous explique au téléphone Oliviero Toscani. "Qu'est-ce qu'un médecin fait d'autre lorsqu'il provoque la réaction de l'organisme de son patient avec un traitement ? Créer, c'est forcément provoquer."
Et en matière de provocation, le photographe, originaire de Milan, où il est né le 26 février 1942, s'est révélé être un grand créateur. En tant que photographe de mode, tout d'abord, pour les magazines Vogue, Harper's Bazaar, Esquire ou encore Elle. En 1973, c'est la photo d'une publicité pour une marque de jeans, qui lui offre l'opportunité de laisser son empreinte : la photo devient la première polémique de dimension mondiale autour d'un article de mode.
Les polémiques générées par cette photo permettent à Oliviero d'en sortir grandi par l'intervention, en sa faveur, d'illustres soutiens tels que Pasolini lui-même. A la une du journal le Corriere della Sera, le cinéaste et philosophe italien pourfend le "moralisme facile" de ceux qui s'insurgent contre le cliché. Il y voit un "fait artistique nouveau au potentiel d'expression imprévu".
La photo de mode comme arme de dénonciation
Un potentiel de transgression affirmé allié à un goût de l'événement et à un sens du moment qui lui vient de ses origines. Oliviero Toscani a d'abord été le fils de son père : Fedele, le premier reporter photo du Corriere della Sera. Les dimanches d'après-guerre, il le voyait couvrir les matchs de football avec son vieil appareil à plaques : "Le but, il fallait le saisir du premier coup, mais il ne se trompait jamais", se souvenait encore en 2003, Oliviero dans une interview au quotidien Libération. Son sens de l'impact décisif de l'image, c'est là que le fils Toscani l'a appris.
Et il va s'en servir. Non pas en marchant dans les pas journalistiques de son père, mais en illustrant avec ses photos plusieurs campagnes de publicité pour la marque de prêt-à-porter italienne : "Benetton". Ces campagnes ont toutes fait date parce qu'elles rompent avec la tradition de la publicité "neutre", qui doit flatter le consommateur sans faire référence à des questions de société clivantes. En soit, le slogan : "United colors of Benetton" dans un monde alors marqué par l'Apartheid en Afrique du Sud est déjà un manifeste.
"Je me suis rapidement aperçu que la photo de publicité, pour la mode en particulier, avait beaucoup plus de puissance que la photo de presse, pour poser une question de société", avoue Oliviero Toscani.
Le "devoir" de transgression
"Quand en 1993, j'ai commencé à faire des photos illustrant le sida, personne ne voulait en entendre parler à l'époque. La provocation, je m'en sers comme d'une stratégie", explique-t-il.
Une stratégie appliquée avec plus ou moins de bonheur auprès des consommateurs, au fil de 15 ans de campagne "Benetton" (notamment celle sur le sida, montrant un malade en phase terminale, ou encore celle sur la peine de mort affichant des photos de condamnés à mort américains). Mais au final, ces photos de publicité sont devenues iconiques, et ont toujours été accueillies avec enthousiasme par les élites culturelles : elles constituent une alternative à la "pensée unique". Aussi choquantes qu'elles soient, toutes ces images posent de vraies questions sur les débats qui agitent la société.
Exposition :
"TOSCANI CHEZ MAZZOLENI"
Commissaire de l'exposition: Nicolas Ballario
Mazzoleni. Piazza Solferino, 2, Turin, jusqu'au 14 janvier 2023.