"Transfrontières" vous emmène à la découverte d'un fromage emblématique de la Suisse, le gruyère. Un fromage doublé d'un village sous le choc depuis que la justice américaine permet à ses fromagers de commercialiser leur production sous la prestigieuse appellation, pourtant protégée en Europe.
"Les Américains nous volent notre gruyère", tonnait Philippe Bardet en janvier, à la une des journaux suisses. Le directeur de l’association des producteurs suisses de gruyère ne décolère pas contre la décision d'un tribunal de l'Etat de Virginie.
Une recette traditionnelle qui date de plusieurs siècles
"Le gruyère représente une recette traditionnelle vieille de plusieurs siècles, et une région de Suisse, a-t-il déclaré dans une interview au journal Blick. Dans notre pays, le gruyère est produit dans les cantons de Fribourg, Berne, Neuchâtel, Vaud et Jura. Il existe également des producteurs de gruyère en France, mais uniquement parce que des fromagers suisses y ont émigré il y a des siècles. En Europe, l’appellation est protégée. Mais ce n’est pas le cas aux États-Unis".
Au pays de l'oncle Sam, en effet, pas de tradition qui tienne. Depuis au moins 30 ans, les producteurs de fromage américains appliquent le label "gruyère" aux fromages en provenance de pays comme le Danemark, l’Égypte et la Tunisie. La Suisse, la France sont là-bas des pays producteurs de gruyère au même titre que les autres.
Les chiffres de l'import-export du département américain de l'agriculture en font foi : entre 2010 et 2020, les États-Unis ont importé plus de fromage appelé gruyère des Pays-Bas et d’Allemagne que de Suisse et de France.
"Lorsqu’un consommateur achète un gruyère aux États-Unis, il n’a aucune idée de ce qui l’attend, s’énerve Philippe Bardet, interrogé par Blick. Les producteurs suisses de gruyère peuvent se vanter de n'utiliser que du lait cru de vaches ; au pâturage en été, et alimentées au foin en hiver". Ce qui est loin d'être le cas aux Etats-Unis où leur gruyère peut être fait y compris avec du lait bon marché.
La Suisse pleure quand les Etats-Unis rient
Entre Suisse et Etats-Unis, le dossier "gruyère" tend à se transformer en fromage à raclette tant il est chaud.
Derrière la déception affichée par le gouvernement suisse face à la décision de justice américaine, c'est aussi une vraie inquiétude qui point. "L’utilisation du terme gruyère pour un fromage produit aux États-Unis menace la réputation du produit d’origine, sa place sur le marché étranger et ne peut que nuire à l’ensemble du secteur”, a fait savoir Berne. Une position qui ne pèse pas lourd face à la sacro-sainte liberté du marché invoquée par Washington.
Tradition contre libre concurrence
"Si nous voulons avoir un marché dynamique et compétitif, d’autres producteurs doivent être en mesure de vendre des produits sous le nom commun que les consommateurs reconnaissent". Interviewée par le New York Times, c'est ce qu'a répondu Margo A. Bagley, une professeure de droit de la faculté d'Atlanta, non sans se féliciter au passage de la décision de justice de la cour de Virginie.
Une satisfaction qui n'est rien face à la réelle joie exprimée par le directeur du Consortium américain des appellations de produits destinés à l'alimentation. Interrogé lui aussi par le quotidien new-yorkais, Jaime Castaneda s'est dit littéralement "ravi". Et va même beaucoup plus loin que le simple cas du gruyère suisse.
"Pour nous, cette décision ne concerne pas que le gruyère, a-t-il déclaré. La question de l'appellation gruyère est emblématique du grand combat que nous avons avec l’Europe qui essaie de confisquer tous ces noms au profit de ses producteurs, et au détriment des autres".