Accusations d'abus sexuels : le témoignage d'une ancienne gymnaste du pôle France de Saint-Etienne

Les faits remontent à la fin des années 80. Trois anciennes gymnastes du pôle France de Saint-Etienne affirment avoir été abusées sexuellement par un entraîneur bénévole. Pour la justice, les faits sont prescrits. Mais trente ans plus tard, elles souhaitent malgré tout être entendues. Témoignage.

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Caroline Jacquey a mis plusieurs dizaines d'années avant d'être entendue. Mariée, mère d'une fille qui aura bientôt 20 ans, l'ancienne gymnaste du pôle élite de Saint-Etienne, ressent encore beaucoup de colère. Parce qu'au lendemain de l'agression sexuelle dont elle dit avoir été victime, elle a tout raconté à son entraîneur de l'époque. "Je lui ai tout déballé, je sanglotais, et j'avais les épaules qui montaient comme ça, et elle me disait "calme-toi, je comprends rien à ce que tu m'expliques, souffle, et parle-moi". Du coup, je lui ai déballé tout de cette nuit-là, etc. Et en fait, elle a eu une réaction que je n'oublierai jamais, c'est à dire pas une main sur l'épaule, elle ne m'a pas prise dans ses bras, elle ne m'a pas dit "ça va aller, on va t'aider". Elle est restée super froide, super distante, elle n'était pas du tout choquée".

"Je veux qu'ils sachent que 30 ans après, ils peuvent se retrouver devant leurs responsabilités"

Caroline Jacquey a porté plainte à la gendarmerie en 2010, en tant que victime d'une agression sexuelle commise une nuit d'été 1988 par un entraîneur bénévole. Mais tout de suite, on lui répond que les faits sont prescrits. Dix années passent, avant de tenter une nouvelle fois de lever le voile sur cette affaire. Caroline a repris contact avec deux autres femmes, qui étaient elles-aussi au centre d'élite de gymnastique de Saint-Etienne. Elles-aussi accusent ce même entraîneur bénévole d'avoir abusé d'elles. Les trois femmes informent la Fédération française en avril 2020, et en janvier 2021, elles apprennent qu'une enquête administrative a été ouverte.

Aujourd'hui, elles témoignent dans les médias. Caroline Jacquey a accepté de se confier, même si son récit est régulièrement haché par un sanglot et quelques secondes de silence, avant de pouvoir reprendre. Après ses confidences à son entraîneur de l'époque, ses parents sont venus la chercher, pour qu'elle rentre "se reposer". Caroline pense alors que ses parents ont été mis au courant, et que le staff va réagir et l'aider. Il n'en sera rien. "C'est ça qui a été le plus dur", tente d'expliquer Caroline. "On est seul à porter ça, personne ne s'est occupé de nous. Du coup, après on se fait une raison. On met un masque et on porte ça seule. Et moi je me disais, peut-être que c'est comme cela que l'on guérit". 

L'omerta, le silence... Caroline Jacquey ne le supporte plus. Et même si le Parquet de Saint-Etienne a confirmé ne pas ouvrir de nouvelles enquêtes compte-tenu de la prescription, plus question de se taire. "Je pense à tous les dirigeants, tous les centres qui étouffent des affaires comme celle-là, et je me dis, peut être que ça en fera réfléchir certains; peut-être qu'ils ne choisiront pas cette option, d'étouffer et de dissimuler, parce que je pense que c'est ce qui détruit le plus les gamines".

"Je me souviens de m'être dit dans ma tête d'enfant, deux mains ça ne suffit pas pour tout protéger"

Caroline Jacquey a longtemps cru que son agression datait des années 90. Mais en recoupant ses souvenirs avec deux autres anciennes gymnastes, Morgane et Juliette, elle peut mettre une date sur ce qui s'est passé quand elle n'était âgée que de 11 ans. Caroline est au pôle France de gymnastique de Saint-Etienne. Été 1988, une sortie en bateau se termine un peu tard, et le staff préfère que les jeunes filles restent dormir non loin pour reprendre l'entraînement tôt le lendemain. Caroline et Juliette sont envoyées chez un entraîneur bénévole.

"Les souvenir sont là, à partir du moment où nous sommes allées nous doucher", raconte Caroline. "Je me souviens d'une porte en bois, marron foncée, et il y avait un trou, à hauteur d'oeil. Avec Juliette, on a tiqué. Je lui ai dit pendant que tu prends ta douche, moi je vais mettre le doigt sur le trou, et puis après on changera. Et c'est ce qu'on a fait". Après la douche, l'entraîneur les envoie se coucher dans son lit, et lui annonce qu'il va dormir dans le canapé du salon. Caroline ne sait pas si elle s'est endormie, si elle a été réveillée dans son sommeil. Mais elle décrit avec détails ce qui a suivi.

"Il est rentré dans le lit de mon côté, il s'est collé à moi, et il a commencé à me tripoter les seins, en bas.... Quand je me protégeais en haut, il me touchait le sexe, et du coup je n'arrêtais pas de me retourner, de me mettre sur le ventre, sur le dos, mais il essayait de rentrer ses doigts dans mes fesses. Je pleurais, et je lui disais, "non arrêtez, s'il vous plait, arrêtez", mais je ne criais pas, j'avais peur de réveiller ma copine. À un moment je ne pouvais plus encaisser ça, et je suis sortie du lit, et je suis allée m'enfermer dans les toilettes".

L'impossible pardon

Selon le journal L'Equipe auprès duquel les anciennes gymnastes se sont confiées en premier lieu, l'entraîneur bénévole incriminé nie totalement les faits, et la moindre agression sexuelle. Après cette nuit de juillet 1988, Caroline est restée pendant encore trois ans au centre de gymnastique stéphanois. Puis elle a coupé court. 

"Je leur en veux et je ne pourrai pas leur pardonner, parce que cela m'a détruit. Pour être honnête, c'est méchant et égoïste, mais je veux qu'ils souffrent. Je veux qu'ils aient du mal à se regarder dans le miroir. Qu'ils vivent avec le regard de leurs proches leur disant "tu as été capable de faire ça à une gamine qui avait 11 ans, comment tu as pu ?"

Caroline en veut au staff qui, après ses confidences du lendemain, n'a jamais rien dit à ses parents venus la chercher. "Ils l'ont appris quand j'avais 30 ans", raconte encore Caroline, évoquant une lettre de réponse à un appel à témoignages de victimes de viols et d'agressions qu'elle leur fait lire. "Je pensais qu'ils savaient. Ça a été un choc. Et là j'ai compris, qu'ils ne leur avaient rien dit".

Caroline Jacquey et Juliette Drahi témoignent et accusent un entraîneur bénévole du pôle France de gymnastique de Saint-Etienne d'agression sexuelle en 1988

Trente-trois ans après, la blessure est toujours vive. La colère, surtout. Face à ce silence, cette omerta. Caroline ne peut comprendre que le staff "ait pu le laisser revenir dans le gymnase, alors qu'ils savaient de quoi il était capable. Il est revenu entraîner des filles..." L'ancienne gymnaste est convaincue qu'il y a eu d'autres victimes. Alors, elle espère que la parole se libère. Et aimerait surtout prouver que, même 30 ans après, les responsables peuvent se retrouver "face à leurs actes, face à leurs responsabilités, qu'ils payent l'addition".

 

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