Immunologiste au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, Stéphane Paul est l'un des neufs membres du "comité scientifique vaccins covid19". Ce groupe d'experts conseille notamment l'Etat sur la qualité des vaccins avant qu'il ne définisse sa stratégie vaccinale.
En France, une multitude d'instances contribuent à déterminer et à mettre en oeuvre la fameuse stratégie de vaccination.
Parmi elles, le Comité scientifique "vaccins Covid19" est composé de 9 membres. On y trouve des immunologistes, des spécialistes de la production, ou dans le développement industriel. Présidé par la virologue Marie-Paule Kieny, ancienne directrice de l'OMS, il a pour rôle de conseiller l'Etat, et plus particulièrement le Ministère de la Santé et le Cabinet du premier Ministre, pour ses commandes et réservations de lots de vaccins. Créé en juin 2020, il a pour fonction d'évaluer les producteurs de vaccins les plus avancés, et d'émettre un avis scientifique favorable (ou pas), avant que l'Etat ne préempte des doses. Le stéphanois Stéphane Paul est l'un de ses membres.
Yannick Kusy : Le déploiement de la vaccination en France est très critiqué, notamment taxé de "lenteur". Votre comité en porte-t-il la responsabilité ?
Stéphane Paul : Pas du tout. On ne gère pas les déficits. Notre rôle a consisté à évaluer plusieurs vaccins et à émettre un avis scientifique. Il s'agit de dire : il faut acheter plutôt celui-ci que celui-là. Ensuite, la réservation des doses, le nombre acheté et donc la stratégie vaccinale dépendent d'une part de la Commission européenne, qui a effectué les achats, et de la Haute-Autorité de Santé en France.
Un mot sur cette stratégie. Que pensez-vous des choix du gouvernement ?
La stratégie vaccinale a été un choix politique. Elle a consisté à commencer par vacciner les pensionnaires des Ehpads, notamment. Nous, on pensait au départ qu'il fallait, bien sûr, vacciner les personnes âgées et les personnels soignants. Mais le choix des Ehpads a plutôt été favorisé pour des raisons logistiques. Il s'agissait de s'appuyer sur des lieux "fermés" pour pouvoir plus aisément développer la logistique compliquée de la vaccination. A mon avis, ce n'était pas forcément le meilleur choix à faire au tout début.
N'aurait-il pas fallu plutôt commencer par vacciner en priorité les jeunes et les actifs, qui sont mobiles et qui transportent ce virus ?
Si on a un vaccin dont on démontre l'efficacité sur la transmission, c'est vrai. Mais ce que l'on ne sait pas pour le moment, c'est si quelqu'un, lorsqu'il est vacciné, est tout de même capable (ou non) de transmettre le virus. Pour cela, nous n'avons pas encore les données, sauf sur des modèles animaux. Cela n'a pas été démontré ni en phase 2, ni en phase 3. En clair, tant que l'on ne sait pas si les personnes vaccinées ont encore du virus dans le nez ou dans la sphère ORL, il demeure un risque éventuel que ces personnes continuent de transmettre ce virus. Si on arrive à démontrer que le vaccin stoppe tout risque de contamination, vous aurez raison, ce sera la population la plus active, qui a le plus de contacts potentiels qu'il faudra vacciner. Pour le moment on sait juste que, lorsque l'on vaccine quelqu'un, dans 90% des cas, il va échapper à une forme sévère de la Covid. Donc la meilleure cible, ce sont les gens qui ont des comorbidités, et des gens âgés.
En octobre dernier, vous étiez pessimistes sur la possibilité d'avoir un vaccin avant mars-avril. Vous avez été dépassés?
A cette époque, nous n'avions pas les résultats de phase3. A titre personnel, sincèrement, je ne m'attendais pas à ce que l'on ait des vaccins aussi efficaces. Ces résultats, qui sont finalement arrivés en décembre, ont été une très bonne surprise.
Les avis que vous avez émis sur les vaccins actuels sont-ils toujours valables?
A vrai dire, nous ne les évaluons pas qu'une seule fois. Le comité se réunit environ tous les quinze jours depuis le mois de juin, et on réévalue en fonction des nouvelles données. On a ainsi pu évaluer une douzaine de vaccins différents. On les revoit en fonction des données qui sont fournies, à différents stades. Lorsque l'on a débuté en juin, on n'avait quasiment aucune donnée. Au fur et à mesure, nos recommandations se sont affinées. Concernant la dangerosité, nous n'avons pas émis d'avis potentiellement défavorable par rapport aux profils de sécurité d'utilisation de ces vaccins.
Même l'arrivée de nouveaux variants ne les a pas remis en question ?
Pour le moment, ce que l'on observe, ce sont des variants qui affectent de toutes petites régions de la protéine qui sert au vaccin. On sait qu'il faudrait des modifications assez importantes de la protéine, elle-même. Tant que cela en reste à ce stade, sans évolution démesurée de ces mutations, on pense que cela ne va pas affecter de manière notable l'efficacité de ces vaccins. Les données scientifiques que nous avons, encore aujourd'hui, c'est que le variant "anglais" ne semble pas affecter l'efficacité du vaccin chez ceux qui sont déjà vaccinés. D'autres données sont en cours d'évaluation avec le vaccin "sud-africain". Une première publication montre, là aussi, qu'il n'affecte que de manière non-significative l'efficacité du vaccin Pfizer, sur lequel on a un peu de recul.
Pourquoi n'a-t-on toujours pas de vaccin français ?
Il en existe, mais ce ne sont pas les plus avancés. Le vaccin Sanofi n'a pas démontré une grande efficacité, notamment sur les personnes âgées dans la phase 1, pour des raisons plutôt méthodologiques. Probablement a-t-il été sous-dosé pour être efficace. Ils sont en train de le redévelopper, donc ça avance. Mais effectivement ils sont en retard. Il existe également un vaccin d'une société nantaise, qui s'appelle Valneva, et qui est en cours de développement et beaucoup moins avancé.