Chaque année, un Français achète en moyenne 10 kilos de vêtements, chaussures et linge de maison. Que deviennent tous ces textiles lorsqu'ils sont usés ou passés de mode ? Pour l'heure, seul un tiers est recyclé ou réutilisé. L'industrie textile étant très polluante, l'enjeu est capital. Dans la Loire et le Rhône, entre insertion et innovation technologique, le recyclage textile s'étoffe de mois en mois.
"Un t shirt... Un pantalon femme... Un polo taché..." Une fraction de seconde entre les mains de Serena puis les vêtements s'envolent vers de grands bacs. Une sélection éclair. En une journée, une tonne de tissus en tous genres passera entre les mains de Serena et de toutes les ouvrières du Tri d'Emma, une plateforme de tri textile, entreprise d'insertion installée dans la Loire à Villerest, près de Roanne.
Quatorze catégories de tissu, que chacune reconnaît désormais en un clin d'oeil. "Ce qui est dingue, c'est qu'on ne sait même pas de quels tissus sont faits les vêtements que l'on porte tous les jours. On ne sait pas si c'est du lin, du coton, etc... Mais en travaillant ici, on arrive à reconnaître le tissu rien qu'au toucher" s'amuse Serena, devenue une vraie pro du toucher d'étoffe.
2 000 tonnes de vêtements, de chaussures ou encore de linge de maison sont triés chaque année sur cette plateforme du Tri d'Emma. A chaque textile, sa seconde vie : les jeans deviennent de l'isolant, les tissus blancs sont transformés en chiffon pour l'industrie.
Pour les chaussures et les sacs, la reconversion est moins évidente : la plus grosse partie est incinérée pour produire de l'énergie.
La fast fashion fait baisser la qualité des tissus
Evidemment, les vêtements qui sont en bon état sont réutilisés, envoyés en Afrique ou vendus dans les boutiques de seconde main. Mais globalement la qualité des vêtements se dégrade continuellemement. C'est ce que déplore Philippe Prud'homme, le président de l'entreprise Le Tri d'Emma. "De plus en plus, les vêtements qui nous arrivent sont dégradés. La qualité du tissage et du tricotage a beaucoup baissé, et de nombreux vêtements ne vont même pas pouvoir être recyclés. On n'a pas d'autre choix que de les détruire."
Pour revaloriser les tissus de bonne qualité, un atelier d'upcycling a été créé au sein du Tri d'Emma. Ici, à partir de pièces de velours ou d'autres tissus chatoyants, on coud des sacs, des couettes, des oreillers avec un indéniable charme vintage. "En général, ce sont des textiles qui ne sont pas vendables en l'état parce qu'il ya des trous ou des taches" explique Valérie Giroudon, styliste de la marque "maison" Les Inventives d'Emma. "Mais on tombe souvent sur des trésors. On n'a pas forcément immédiatement l'idée de ce qu'on va en faire mais ça vient toujours au bout d'un moment."
Transformer l'existant, c'est une solution mais ce n'est pas la seule. Pourquoi ne pas repartir à zéro en refabriquant du fil à partir des tissus déjà utilisés ? Pour l'instant, ça ne concerne qu'à peine 1 % des textiles récoltés.
Une ligne de tri expérimentale et ultra innovante
Mais en la matière, une spectaculaire innovation vient d'investir un ancien bâtiment de stockage à Amplepuis dans le Rhône. Des machines flambant neuves y permettent désormais le tri automatisé des textiles par composition et par couleur. Les Tissages de Charlieu et Synergies TLC, spécialiste de la collecte de vêtements, se sont associés pour créer l'entreprise Nouvelles Fibres Textiles.
Cette installation expérimentale s'annonce prometteuse. Après un premier tri effectué à la main, une énorme machine avale littéralement de vieux vêtements et autre pièces textiles. A l'autre bout d'un tapis roulant, la machine semble souffler les morceaux de tissu comme on recrache un pépin de pomme !
Une technologie "lumineuse" qui permet de séparer avec précision les matières. "Un faisceau lumineux est projeté sur la surface des textiles, la machine va analyser le reflet de la lumière sur le tissu et déterminer s'il s'agit de coton, de polyester ou d'un mélange de différentes fibres" explique Anthony Duval, directeur du site Nouvelles Fibres Textiles.
Les tissus sont ensuite découpés en petits morceaux et subissent un premier effilochage. Ces fibres parfaitement triées peuvent enfin redevenir... du fil ! "Aujourd'hui, les vêtements en fin de vie sont considérés comme des déchets alors qu'ils n'en sont pas. Ce sont des matières premières exploitables, de qualité, abondantes et accessibles en prix" tient à souligner Eric Boel, le président de Nouvelles Fibres Textiles.
Une usine spécialisée dans le Rhône en 2025
Pour l'instant, cette ligne de tri expérimentale (un investissement de 10 millions d'euros) ne va traiter qu'un millier de tonnes de tissu par an. Il s’agit d’un pilote industriel destiné à être perfectionné par la Recherche et le Développement. L'implantation dans le Rhône d'une véritable usine capable de trier 25 000 tonnes de textile par an pourrait se concrétiser dès 2025.