3 euros le ticket pour contribuer à sauver la biodiversité. Dès lundi 23 octobre, la Française des jeux mettra en vente son jeu à gratter "Mission nature". Parmi les 20 projets retenus pour recevoir des fonds, ceux liés au repeuplement du gypaète barbu dans les Alpes françaises, une espèce jugée "fragile".
"L'environnement étant toujours le parent pauvre des financements publics ou privés, ça ne peut que faire du bien !" Le président de la LPO 73 (Ligue de protection des oiseaux), ne fait pas la fine bouche.
Même si l'association ne touchera que quelques-uns des 43 centimes d'euro par ticket vendu pour financer des projets destinés à la biodiversité, tout ce qui peut donner de la visibilité médiatique à l'urgence de conforter l'implantation alpine de ce "grand voilier qu'est le gypaète", est bon à prendre, selon Dominique Secondi.
Une réimplantation vieille de 25 ans, mais très lente
Après en avoir été chassé par les hommes pendant des décennies, le gypaète a été réintroduit dans les Alpes en 1987, grâce notamment aux travaux du conservatoire d'espaces naturels de Haute-Savoie (Asters). C'est sous son égide qu'a été mené, depuis le début, un programme de réintroduction et de conservation du Gypaète barbu. Dans son département, et actuellement sur l'ensemble des Alpes françaises.
Un programme qui s'est avéré payant pour cet oiseau, dont la fonction "d'éboueur des montagnes" est désormais connue et reconnue. Se nourrissant le plus souvent des os des bêtes mortes, il a longtemps été exterminé pour sa mauvaise réputation de charognard. Avant que les hommes ne prennent conscience de son utilité dans la biodiversité.
Le travail de réintroduction a porté ses fruits. Dans le dernier bilan de natalité 2023 des gypaètes, les techniciens d'Asters notent une année record : 25 couples adultes ont produit 23 œufs pour 16 poussins à l’envol. Du jamais vu !
Même tendance pour les naissances en captivité. 35 poussins recensés par l'ensemble des partenaires du réseau d'élevage, dont deux pour le seul centre de reproduction de l'espèce des Alpes françaises, situé dans la vallée de l'Arve (Haute-Savoie). Leurs noms : Dromie et Gypaillette.
Une tendance positive qui va dans le sens des programmes d'actions visant à créer une "métapopulation" de gypaètes au niveau des quatre pays de l'arc alpin. 250 à 350 spécimens y résideraient. Des chiffres qui ne doivent pourtant pas faire illusion.
"C'est un repeuplement très lent, en fait, pondère Anne-Laurence Mazenq, du Conservatoire d'espaces naturels (CEN74). Déjà, car le gypaète ne peut pas se reproduire avant l'âge de 7 ans...Et puis, il ne fait généralement pas plus d'un poussin par an".
Une contribution... pour quelles actions ?
Alors, en quoi la nouvelle manne issue des jeux de hasard va-t-elle pouvoir aider à sauver définitivement la population de gypaète dans les Alpes ?
"L'urgence, c'est de limiter les causes de mortalités de l'espèce", explique Etienne Marlé, chargé de projet "Gypaète barbu et grande faune" d'Asters. "Accélérer le travail d'installation de systèmes de visualisation des câbles de téléskis ou de télésièges avec les opérateurs de remontées mécaniques. Idem pour les lignes électriques. Multiplier les flotteurs sur les lignes électriques aériennes. Des opérateurs comme RTE ou Enedis travaillent déjà avec nous pour éliminer ces pièges à gypaètes".
Avec ses 2 mètres 80 d'envergure, il est vrai que les ailes du "grand voilier" ont tout loisir de se prendre dans tout ce que le ciel moderne peut compter de lignes et autres câbles. Mais c'est loin d'être le seul danger qui guette le gypaète.
" On a beau signaler systématiquement les zones de montagnes où des couples de gypaètes ont été relâchés ou viennent s'installer, il est toujours possible que des activités humaines viennent gêner la tranquillité de ces reproducteurs : que ce soit la pratique de l'escalade, du parapente, de l'hélicoptère...", note encore Etienne Marlé.
Mais la prise de conscience de la fragilité de l'espèce avance peu à peu. A l'image de la convention signée cette année entre la LPO, Asters et les pratiquants du vol libre (FFVL :Fédération Française de vol libre). En s'appuyant sur un réseau de 159 ZSM (zones de sensibilité majeures) pour la nidification du gypaète, il s'agit de créer les conditions optimales pour sa reproduction dans les alpes, dans les pyréennées ou en Corse.
Victimes d'empoisonnements divers
Victime de la négligence des hommes, le gypaète l'est aussi, parfois, de leur stupidité. "Lorsque des personnes introduisent des produits nocifs dans la nature. Pour tuer des loups, comme c'est arrivé en Maurienne, il y a quelques mois, et que le poison se retrouve dans la chaîne alimentaire", s'insurge pour sa part Dominique Secondi. "Le gypaète se nourrit d'os. Mais pour nourrir ses poussins, il a besoin de viande. C'est comme ça que l'on perd à la fois l'adulte et son petit".
Et puis, parce qu'ils se nourrissent essentiellement de carcasses d'animaux morts, parfois c'est l'adulte qui se retrouve victime de saturnisme à cause du plomb employé dans les cartouches utilisées par les chasseurs.
L'argent dégagé par la "mission nature" de la FDJ (Française des Jeux) permettra peut-être d'engager des opérations de communication pour rappeler l'humain à ses devoirs de protection de la biodiversité.
"Mais avant cela, il serait certainement utile d'augmenter le nombre d'oiseaux équipés de balise GPS", explique encore le président de la LPO (Ligue de protection des oiseaux) de la Savoie. "On pourrait améliorer la connaissance scientifique sur les échanges de population, notamment, qui s'opèrent avec d'autres vallées, d'autres massifs... Le gypaète est un grand voyageur !"
Et pas seulement dans les montagnes. D'après des observateurs de la LPO, des gypaètes auraient ainsi été récupérés au bord de la mer, vers la Rochelle et même, plus récemment, aux Pays-Bas.