Dans les chemins et les prés d’Auvergne, ce début d'été 2020 est un festival de couleurs et de parfums. Depuis plusieurs semaines déjà, dans le nectar et le pollen des fleurs, les insectes se régalent. Et nous avec.
« Je n'ai jamais vu nos ruches et nos abeilles dans cet état ! » L'état d'abeilles gavées de nectar et de pollen, à ne plus savoir où s'en mettre. Toutes pourraient recevoir cette année le titre de meilleure ouvrière de France. Tellement elles ne chôment pas et c'est peu dire. Sébastien Pinto est le premier à s'en féliciter, depuis chez lui, à Châteaugay (Puy-de-Dôme). Son cheptel profite des grandes largesses d'une floraison exceptionnelle. Dans ses douze ruches, et dans un ballet incessant les abeilles carburent plein pot. De cette abondance, il en fait son miel. D'ailleurs, c'est bien la première fois que cet apiculteur amateur réalisait sa première récolte avec deux mois d'avance. « Cela fait 8 ans qu'on a décidé avec ma femme de faire du miel pour le plaisir et notre consommation personnelle et on n'a jamais vu ça ! » se réjouit l'apiculteur. « Jusque-là, on ne faisait qu'une seule récolte au mois d'août. 30 kilos et c'était tout. Là, on en a déjà fait une de 70 kilos, une seconde de 50 kilos et nous sommes qu'au mois de juillet ! ». Mieux ! Il y aura donc la récolte du mois prochain que le couple estime à « 40 kilos ». Du miel toutes fleurs avec prédominance de fruitiers. « Et notamment, de cerisiers, nos voisins en ont tous un » précise Sébastien.
Les cerisiers en fleurs n'ont pas attendu avril pour se parer de blanc. Souvenons-nous, le mois de mars, chacun derrière nos fenêtres, nombreux nous étions à nous étonner d'un temps estival. Mars figure d'ailleurs parmi les plus chauds jamais enregistrés. Quand arrive avril. Là encore, nouveau record de chaleur battu. Selon une étude américaine, jusqu'à 5 degrés de plus que la normale. Soit deux mois de températures supérieures à la norme qui interviennent après l'hiver le plus chaud que la planète n'a jamais connu depuis le début du 20ème siècle. « Le mercure, la lumière, les niveaux d'eau, toutes les conditions étaient réunies pour que les plantes et les arbres se réveillent de leur dormance » explique Stéphane Hutin, de l'Université de Grenoble-Alpes dans la revue The Conversation (article du 4 juin 2020). « Du jour au lendemain, les plantes ont explosé en fleurs, tout leur indiquait qu'elles pouvaient fleurir et réussir leur reproduction » ajoute-t-il. En résumé, tout a donc fleuri plus tôt que prévu, grâce ou à cause du réchauffement climatique.Les plantes ont explosé en fleurs
Sur les terres du Cantal, personne ne viendrait contredire le phénomène observé. Surtout pas Jean-Jacques Vermeersch, vice-président de l'association interprofessionnelle Gentiana Lutéa. « C'est vrai qu'on n’a pas eu de gelées, pas de Saints de glace. On a vu les gentianes en fleurs très tôt, avec 15 jours d'avance sur les versants sud de nos vallées et entre 7 et 10 jours d'avance sur les versants nord » souligne l'artisan liquoriste d'Aurillac. « On constate un développement végétatif très important, mais pas que des gentianes. Les framboises, les mûres abondent aussi. En 2018, c'était déjà le cas, 2020 sera encore une année à confitures, on va s'en mettre partout ! Cela sera donc aussi une année à... VTT ! » plaisante avec gourmandise ce bon vivant. Pendant ce temps, sur le terrain, fourches du diable en mains, les gentianaires travaillent d'arrache-pied depuis la semaine dernière. Et sans relâche jusqu'aux premiers gels.C'est une année à confitures et à... VTT !
A ce rythme, y-aura-t-il encore des fleurs au cœur de l'été ?
Les botanistes sont eux aussi aux anges. Guy Lalière, spécialiste des plantes comestibles et médicinales, reconnaît le fleurissement spectaculaire. Néanmoins, lui qui passe son temps à accompagner des groupes du Massif Central aux Alpes jusqu'en Crête, s'interroge quand même : « Je ne sais pas comment je vais pouvoir faire mes stages dans quelques semaines. Y' aura-t-il encore des fleurs à ce rythme ? Les myrtilles sont déjà mûres. Et je ne sais pas si c'est dû au hasard, mais j'ai même vu sur le Puy Giroux, à Opme (Puy-de-Dôme), un Pigamon jaune, c'est une plante toxique que je n'avais plus vu depuis bien longtemps ».Les sentiers nous accueillent avec des haies d'honneurs bigarrées. Dans des cascades de rose, de parme, de fuchsia. Comme si toutes autant qu'elles sont, les fleurs avaient elles aussi attendu l'heure du déconfinement pour reprendre goût à la vie et célébrer la liberté retrouvée. Ici, un nid de lis martagon côtoie un tapis d'oeillets des bois. Quand, plus loin, une compagnie de campanules à belles fleurs toisent de leur grandeur une colonie de mauves musquées. Il semblerait, en tout cas, que de là où elles sont, toutes ces fleurs de printemps se moquent bien du climat et de ses bouleversements. Elles nous montrent la voie de l’adaptation et semblent nous inviter à l’emprunter.