Le 21 janvier, le Sénat a voté à l’unanimité la loi protégeant le patrimoine sensoriel des campagnes. Il ne sera donc plus possible d’avoir recours à des procédures judiciaires autour des bruits et odeurs considérés comme inhérents à la ruralité, tels le chant du coq ou les odeurs de fumier.
Bonne nouvelle pour les campagnes d’Auvergne : qu'ils s'appellent Marcel ou Maurice, les coqs de France vont pouvoir chanter sans craindre les conflits de voisinage... c'est ce que vise le texte pour "protéger le patrimoine sensoriel des campagnes" adopté définitivement jeudi par le Parlement, via un ultime vote unanime du Sénat. La chambre des territoires a voté à main levée, sans modifications, une proposition de loi UDI-Agir déjà adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, inscrite à l'ordre du jour à la demande du groupe centriste.
Le texte porté par le député Pierre Morel-A-L'Huissier, qui introduit la notion de "patrimoine sensoriel" des campagnes dans le droit français, est ainsi définitivement adopté. Cette décision unanime réjouit Sébastien Gouttebel, président de l'association des maires ruraux du Puy-de-Dôme : "Je crois que ce vote redonne du sens à la vie de nos campagnes. Murol étant une commune touristiques, il n’est pas rare que nous ayons, l’été à la mairie, des mails de touristes contents d’être dans notre commune mais qui se plaignent des cloches la nuit. C’est le quotidien des maires, entre le coq, les bruits de la ferme, les engins agricoles…"
Les bruits et odeurs dans le code de l'environnement
Sonnerie des cloches, chant du coq ou des cigales, coassement des grenouilles, cancanement des canards, mais aussi effluves de crottin de cheval ou d'étable : sons et odeurs caractérisant les espaces naturels, parfois dénoncés comme des nuisances, entrent désormais dans le code de l'environnement. Une consécration qui permet de les inscrire dans le patrimoine commun de la nation. Le secrétaire d'Etat chargé de la Ruralité Joël Giraud a salué "une bonne proposition de loi de défense de la ruralité", notant que "la vie à la campagne suppose d'accepter quelques nuisances".
Un "outil utile" pour résoudre les conflits de voisinage
Pour le rapporteur du texte au Sénat, Pierre-Antoine Levi, "la symbolique est forte". Et le texte "peut constituer un outil utile pour les élus locaux au quotidien pour les accompagner dans leurs démarches de pédagogie et de médiation" et leur permettre de désamorcer en amont les contentieux. S'il n'existe pas de statistiques officielles sur le nombre de troubles du voisinage, et encore moins sur leur localisation en milieu rural ou urbain, M. Levi rapporte "un sentiment de sollicitations croissantes" chez les élus locaux. En témoigne la médiatisation de certaines affaires, qui prêtent parfois à sourire, mais n'en sont pas moins chronophages pour les édiles et finissent parfois devant les tribunaux. "Quand on voit le nombre de procédures, d’après ce que j’ai compris, plus de 18 000, ça reste énorme sur un pays. Je crois qu’il n’y a pas lieu d’encombrer les tribunaux sur ces sujets. Quand on arrive dans un territoire, c’est à nous de nous adapter au territoire et ce n’est pas l’inverse qui doit se produire", rappelle Sébastien Gouttebel.
Des affaires marquantes en Auvergne
En Auvergne, on peut citer l’exemple de Lacapelle-Viescamp, dans le Cantal, où une querelle de voisinage avait défrayé la chronique. Un agriculteur avait été condamné le 19 novembre 2019 par la Cour d'appel de Limoges à payer 8 000 euros à cause de l’odeur causée par son élevage de vaches. La bataille judiciaire avait duré une dizaine d’années, entre l’agriculteur et un couple de retraités.
Dans le petit village de Pignols, dans le Puy-de-Dôme, certains habitants s’étaient plaints auprès de leur maire des nuisances liées aux déjections d’abeilles.
La ruralité préservée
Ailleurs en France, le rapporteur cite l'exemple étonnant de vacanciers qui en 2018 dans le Var avaient réclamé le recours à des insecticides pour se débarrasser de cigales trop bruyantes. Le coq Maurice lui est passé à la postérité après avoir été en 2019 au centre d'un conflit judiciaire, lancé par les voisins qui se plaignaient de son cocorico matinal. La justice avait finalement autorisé le coq à continuer de chanter. Il est mort de maladie l'année d'après, son propriétaire louant "un emblème, un symbole de la ruralité, un héros".
Vers des mesures dissuasives ?
Les auteurs de la proposition de loi attendent un effet dissuasif en matière de plaintes pour nuisances. "Les avocats vont pouvoir prévenir leurs clients, 'Attention, il y a un patrimoine sensoriel protégé, on risque de se faire bananer' ", déclarait Pierre Morel-A-L'Huissier, lors de l'examen à l'Assemblée il y a un an. Interrogé par l'AFP, le maire du petit village de Gajac en Gironde, Bruno Dionis, qui avait lancé en 2019 l'association "l'écho de nos campagnes", se demande cependant : "Est-ce que les gens ne pourront vraiment plus attaquer les bruits et les odeurs de la campagne ? Il faudrait au moins qu'ils en soient dissuadés notamment par des amendes en cas de plaintes abusives devant les tribunaux". Une analyse que partage Sébastien Gouttebel : "Dans le code de l’urbanisme, il existe des articles qui parlent des recours abusifs. Il n’y a pas de raison qu’il ne puisse pas y avoir des parallèles, dans le respect bien sûr des règles sanitaires et d’hygiène, on est d’accord."
Qualifier l'identité culturelle des territoires
La proposition de loi prévoit également de confier aux services régionaux de l'inventaire du patrimoine culturel une mission d'étude et de qualification de "l'identité culturelle des territoires". Est enfin prévue la remise d'un rapport du gouvernement sur le trouble anormal du voisinage. M. Levi estime que ce rapport "est de nature à éclairer les futurs débats" sur une réforme de la responsabilité civile "prévue depuis plusieurs années, sans avoir encore abouti".